« La femme balance est dangereuse. Cette femme est un homme. La femme balance sait qu’elle peut obtenir tout ce qu’elle souhaite et, qu’il y ait, ou pas, un pénis dans sa vie, être toute aussi capable et dégourdie. (…) Elle a raison. » Ce sont les mots d’un astrologue américain, Fernando Prudhomme, qui ouvre Build Up, le tout premier titre de Libra, deuxième EP paru cette année de Sabrina Bellaouel, chez InFiné. « Build Up, the build up, the build up, the build up, the build up (…) », lance la chanteuse franco-algérienne de sa voix claire et suave, qui pose les mots sans concession, sur ce morceau à mi-chemin entre soul et électro. Edification, déploiement, élévation vers quelque chose de profondément divin. C’est le sens de ce « Build Up ». Le sens de ce Libra, le terme en anglais qui traduit son signe astrologique (balance) et dont elle reconnaît les propriétés jusqu’à être « so high » à la fin de l’EP. Sur « Float », titre romantique où, sur fond d’une trap qui se dégage du sol pour se fondre avec l’air ambiant, elle oscille entre phrasés mélodiques et assertions scandées, voire rappées (tout comme sur le très sensuel « Arab Liquor » où elle en vient même à susurrer). De là se dessine déjà la singularité de Sabrina Bellaouel. Il ne s’agit pas seulement de parler de soul, de RnB, d’électro ou autre style musical qu’il serait trop facile de lui accoler. Il s’agit plutôt du fruit d’une introspection portée par diverses ambiances traversées par une forme de spiritualité puisée, notamment, dans l’astrologie.
« La mathématique de Dieu »
« Depuis plus d’un an, je fais des recherches sur mon thème astral. J’ai véritablement été piquée par l’astrologie que je considère comme la mathématique de Dieu », raconte cette native du 14e arrondissement de Paris, qui a grandi au sein du cocon multiculturel qu’est Bagneux, en banlieue parisienne, et où elle vit encore aujourd’hui. « Je me suis penchée sur l’alignement des planètes propre à mes signes astrologiques solaire et lunaire. Je me suis plongée dans des lectures et j’ai découvert, sur YouTube, l’astrologue américain Fernando Prudhomme. Je me reconnaissais dans ce qu’il disait sur la femme balance. Aussi, j’ai décidé de le sampler. Pour moi, ces recherches équivalent à l’affirmation de soi, à tout un cheminement personnel. » Aussi, Libra n’est qu’un autre des pas qu’effectue la chanteuse de 32 ans, en bonne équilibriste, sur le fil d’un itinéraire enchanté et dont, bien heureusement, il nous n’est pas possible de voir la fin. Ce fil se dirige vers quelque chose de céleste, de lumineux, de duveteux comme, sûrement, doivent l’être les nuages quand on les touche du doigt. Duveteux avant de se changer en une vapeur d’eau enveloppante, ensorcelante. Air et eau…
Liberté et révolutions solaires
Sur Libra, tout est question d’équilibre et de liberté. Le parcours d’équilibriste de Sabrina Bellaouel démarre au milieu des années 2000, à l’époque où elle écume les scènes parisiennes, en tant que principale chanteuse du groupe The Hop. J Dilla, Erykah Badu, Jill Scott, autres « Soulquarians » et artistes du même plumage composent leur univers. « Avec The Hop, j’ai appris à maîtriser ma voix sur scène, à travailler ma présence et dépasser ma timidité maladive. Avec le groupe, on s’est mis à écrire, à composer puis tourner dans toute l’Europe. » Arrive l’année 2014. L’un des membres de The Hop, Espiiem, l’invite à se détacher un brin du collectif pour cultiver son propre répertoire. « Espiiem fait partie de ces beatmakers qui m’ont accompagnée dans ma prise d’indépendance. » Naît alors, en 2016, un trois-titres auto-produit, « Cheikh », distribué par le propre label d’Espiiem, Orfèvre, et sur lequel on retrouve les producteurs Myth Syzer, Rahman et Loubenski. L’année d’après paraît « Illusions », son superbe premier EP en totale auto-production. Les beatmakers AAyhasis, Nadji, Johnny Ola ou Benjamin Benamou font partie des artisans de ce projet. De là, Sabrina Bellaouel se découvre une nouvelle famille au sein de laquelle on retrouve aussi Ichon – qui affirme avoir découvert sa voix grâce à cette dernière, Bonnie Banane – qu’elle considère comme sa sœur – ou même Gracy Hopkins (que l’on entend d’ailleurs dans Libra, sur « Solar Return », laisser un message vocal où il accepte que la chanteuse lui lise sa « révolution solaire »). « On gravite tous, encore aujourd’hui, autour des uns et des autres. On s’invite pour écouter les albums de chacun, boire des cafés, fumer des clopes et partager nos ressentis. Je me suis créé une communauté parce que j’en avais besoin. C’est sans doute le fruit de ma culture algérienne, mais aussi de mon enfance. » À Londres aussi, elle peut compter sur une autre famille. Celle croisée à Goldsmiths, University Of London, où elle mène, alors, un double master en ethnomusicologie et management de l’industrie musicale après une licence en communication et médias à l’Université Paris 13, en France. Tombée amoureuse de Londres – rien d’étonnant à ce qu’elle chante dans un parfait anglais – elle fréquente non seulement des Anglais mais aussi des Allemands ou des Italiens. Le tout en cumulant cinq jobs différents pour subvenir à ses besoins. « Une ouverture sur le monde et une forme de liberté », se remémore-t-elle quant à cette expérience outre-Manche.
« L’Algérie est ma maison »
Mais Sabrina Bellaouel, c’est aussi le continent africain, l’Algérie, son autre pays – sur lequel elle prépare un documentaire – et la langue arabe. « L’Algérie est ma maison. Je suis très attachée à mes racines, aux traditions, aux rituels et à l’histoire de mon peuple. J’ai besoin de cet ancrage pour contrebalancer l’aspect aérien de ma personnalité. » L’équilibre encore. Le clip du morceau Float fait la part belle à sa culture algérienne. Elle fait mine d’imiter la danse des femmes chaouies (tribu de sa mère) avec ses mains couvertes de symboles berbères dessinés au henné. « J’ai parfois peur que ma culture disparaisse avec la globalisation. Je suis tellement fière de la représenter. Elle me donne énormément d’énergie. » Son ancrage, c’est aussi ce que l’on nomme le Maghreb ou la Lybie. « J’ai une tante qui vit à Djanet, à la frontière entre l’Algérie et la Lybie. » Elle en parle avec nostalgie, se remémore quelques souvenirs d’ado au cours desquels on trouve une histoire d’amour transfrontalière. Partir, le soir, direction la Lybie. Un véritable trek ! Se sentir minuscule face au désert et au ciel étoilé tandis que sa tante, guide touristique, retrouve son petit ami libyen en secret. « J’ai associé cette partie du monde à l’amour que l’on dévoile à peine. Comme un secret. L’amour secret, les émotions que l’on cache transparaissent dans ma musique. » Chez Sabrina Bellaouel, on consomme l’amour de façon subtile…
« Transe thérapie »
Libra, elle l’a d’ailleurs enregistré à l’abri des regards, de façon toute organique, dans son appartement de Bagneux transformé en véritable studio où la réverbération sonore se retrouve un peu partout. Surtout la nuit. Ses compositions sont d’abord des formes et des couleurs avant de se traduire en notes. « Ma musique est très visuelle parce que j’essaie de reproduire ce que je vois et ce que je ressens. » Si « Build Up », premier titre de Libra, fait référence à sa « construction personnelle, intime et artistique », à son ancrage et à ce qu’elle qualifie de « libération », « d’envol » destinés à la mener encore plus loin – avec sa voix en guise de fil conducteur-, le dernier titre, She Don’t Care – sur lequel revient la voix de Fernando Prudhomme – est annonciateur de la suite à prévoir dans les mois qui viennent, dit-elle. « Le morceau est plutôt dancefloor, très club. La house, l’electro font partie de mon univers. Plus jeune, j’ai fait pas mal de raves. Danser est, selon moi, une thérapie. On se sent libre à travers nos mouvements. On se sent libre dans notre corps. On retrouve ça dans les musiques algérienne, gnawa, ouest-africaines, … Ce sont des musiques qui appellent à la transe. Je veux développer tout ça : chanter sur un bpm plus élevé, continuer à sampler ma propre voix, faire danser ma mère (rires)… C’est génial et amusant. »
Cap sur l’harmonie
Autant dire que son précédent projet, « We Don’t Need to Be Enemies », électronique de bout en bout, laissait déjà présager d’une telle direction. « We Don’t Need to Be Enemies est la bande-son du premier confinement que nous avons vécu en France. J’avais besoin d’exprimer, de créer vis-à-vis de cette situation inédite. Aussi, j’étais dans l’expérimentation avec toutes ces chutes de voix qui apportent cet aspect quasi liturgique, spirituel. J’avais besoin de me retrouver à un endroit où ma terre et ma spiritualité ne faisaient qu’un, d’être connectée tant avec les autres qu’avec le ciel. Il me fallait explorer cette ouverture. » Et pour faire suite, arrive Libra qui dit aussi sa puissance féminine. Ou, plutôt, témoigne de son énergie féminine. « Je suis entourée de femmes puissantes. J’aime cette énergie féminine que l’on retrouve aussi chez les hommes. » Parce que les balances sont des personnes qui recherchent l’équilibre et l’harmonie en toute chose, l’énergie féminine nourrit son ego émotionnel tandis que l’énergie masculine nourrit son ancrage à la terre. « En règle générale, je fais attention aux gens avec lesquels j’échange car je suis une véritable éponge. J’ai besoin de me protéger et de garder le cap sur l’harmonie, la joie et la positivité. » Trois derniers éléments qui colorent déjà le fil sur lequel l’équilibriste Sabrina Bellaouel avance, pas à pas. Et au bout de ce fil : le premier album d’une chanteuse en phase avec elle-même ?
Libra, maintenant disponible chez InFiné.