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The Pan African Music Magazine
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Lovers Rock : quand Sade revenait à ses premières amours

Si les racines du reggae sont ancrées en Jamaïque, c’est en Grande-Bretagne que l’arbre généalogique du genre s’est en partie étendu. Il y a vingt ans, l’icône soul britannico-nigériane Sade rendait hommage à la branche britannique du reggae avec un album en forme de retour aux sources, Lovers Rock.

« Je pense que nos chansons se perdent dans la façon dont les gens les perçoivent et dont elles sont écoutées. Je ne voulais pas que ce disque soit lissé. Je voulais qu’il soit plus rude, » expliquait Sade lors de la sortie de Lovers Rock en 2000. Le groupe britannique qui depuis les années 80 aura charmé plus d’une génération, s’est trop souvent vu réduit à l’image glamour de sa chanteuse et de ses premiers tubes comme l’éternel « Smooth Operator », au risque d’en oublier la réelle sophistication de sa musique. Son R&B ultra chic teinté de jazz, à contre-courant des tendances de l’époque, avait fini par devenir aux yeux d’un large public (en caricaturant un peu) la bande-son « easy listening » des couples amoureux. En 1993, après la consécration de son quatrième album Love Deluxe, aujourd’hui presque unanimement reconnu comme son chef d’œuvre, la discrète star allait se retirer de la scène pour retrouver en coulisses sa vie privée, loin de l’agitation médiatique. Pendant ce temps, ses musiciens : le guitariste et saxophoniste Stuart Matthewman, le bassiste Paul Denman et le claviériste Andrew Hale faisaient bande à part sous le nom de Sweetback et sortaient, en 1996, un enivrant premier album éponyme trop souvent oublié.

Un séjour sabbatique en Jamaïque, une relation avec le producteur de reggae Bob Morgan, la naissance de son premier enfant et une pluie de sombres rumeurs plus tard, Sade retrouve le chemin de la musique comme elle l’a quitté, en toute discrétion. Entre-temps, les cartes de la pop ont complètement été rebattues. Autant dire que le son soyeux de la bande à Sade n’est plus vraiment le standard, au moment où Beyoncé et consorts s’apprêtent à trôner au sommet des charts en façonnant l’image d’un R&B clinquant aux aspirations définitivement pop. « Je ne pense pas que nous ayons déjà été « dans le moment » », notait Sade avec du recul dans une interview pour The Fader. « Je crois que nous avons été dépassés depuis le début. » Une remarque étonnante, d’autant plus de la part d’une artiste ayant écoulé plus de 50 millions d’albums dans le monde. Huit ans après Love Deluxe, la chanteuse confirme son désintérêt pour les tendances en s’inspirant d’une tranche importante de la bande-son de son adolescence et tout un pan de la jeunesse noire londonienne dans les années 70, le lovers rock.

Sade – Lovers Rock

Derrière le nom charmant de lovers rock, se cache la veine romantique, non pas du rock, mais bien celle du reggae. Une ramification née en Grande-Bretagne grâce à l’importante arrivée d’hommes et de femmes venus des Antilles britanniques au sortir de la Seconde Guerre mondiale pour aider à reconstruire le pays. Ces migrants caribéens (originaires principalement de Jamaïque et de Trinité-et-Tobago) seront plus tard désignés sous le nom de « génération Windrush », en référence au nom du navire qui accosta à Tilbury en 1948, avec à son bord les premiers travailleurs de ces anciennes colonies. En plus de contribuer massivement à la production industrielle, aux nouveaux services de santé ou encore aux transports publics, leur apport dans la culture a été considérable. En emportant avec eux leur bagage musical, ils introduisent et adaptent le reggae pour le public anglais. Dès la fin des sixties, DJs, producteurs et chanteurs répandent un style de reggae lascif, doux, plus orchestral et davantage féminin dans les sound systems aux quatre coins du pays, avec Londres comme épicentre du phénomène. Sous l’appellation lovers rock, la distinction est faite avec le reggae roots jamaïcain et les revendications sociales et politiques qui lui sont généralement associées. Comme en Jamaïque, les sound systems sont les principaux vecteurs de diffusion de ce style neuf auprès de la classe ouvrière, et permettent en plus de toucher un nouveau public en séduisant la jeunesse britannique. Ce sont alors les débuts d’une mixité sociale dans un époque trouble où l’accueil des ces travailleurs étrangers aura été particulièrement mitigé, marqué par la discrimination et les tensions raciales. 

Fruit du multiculturalisme qui poursuit son ouverture en terres anglo-saxonnes, Sade Adu a été bercé par le lovers rock, tout autant que par les grandes voix américaines de la soul telles que celles de Donny Hathaway ou Marvin Gaye. « J’ai toujours aimé le lovers rock parce que c’est une musique douce, directe et sans prétention. Cette influence a toujours été là », se souvient la chanteuse, dont le premier contact avec le genre remonte à ses onze ans lorsqu’elle dansait au rythme du ska dans la salle de spectacle de sa ville de Colchester. En mettant un terme à un hiatus déjà interminable pour l’époque, Sade ouvre un nouveau chapitre de sa discographie avec Lovers Rock. Un album mature et dépouillé, où les chansons d’amour douces amères, qui ont fait sa renommée, frappent en plein cœur. « Il s’agit moins de la surface que des racines », commentera Sade lors de la sortie de l’album. 

Sound Systems Lovers Rock à Londres dans les années 70, tirée du livret de la compilation ‘Lovers Rock In The UK 1975-1992’ chez Soul Jazz Records.

En jetant un œil sur la pochette, on entrevoit l’introspection qui compose l’essence de Lovers Rock. Dans la continuité logique de ses précédentes covers, Sade Adu, profil bas et visiblement dans ses pensées, se dérobe cette fois-ci définitivement à notre regard. Un premier aperçu qui donne immédiatement le ton de l’album. Tout du long, l’énigmatique artiste dresse par touches impressionnistes le tableau des réflexions qui ont animé ses années d’absence. C’est le poids de la douleur suite à une rupture sur les déchirants « King of Sorrow » et « Somebody Already Broke My Heart ». La joie retrouvée dans l’amour maternel avec la berceuse « The Sweetest Gift » et la force de l’amour inconditionnel sur « All About Our Love ». Comme souvent dans l’œuvre de Sade, ce sont aussi des thèmes plus humanistes, abordés avec la même tendresse. Ainsi, elle rend un hommage poignant au courage et à l’esprit de résilience de ses ancêtres africains sur « Slave Song ». « C’est une chanson que j’ai toujours voulu écrire, mais j’étais sceptique parce que c’est un sujet important à aborder dans une chanson », confia-t-elle dans un entretien à Vibe Magazine. « Un jour, nous avons commencé à jammer dessus de façon vraiment dub, et j’ai commencé à sentir le poids de la mer et ce que cela devait être pendant le voyage vers l’Amérique. Puis j’ai pensé à « Redemption Song » de Bob Marley et je me suis demandé où est-ce que je voulais en venir ? J’ai su que si je restais fidèle à cette chanson, tout irait bien. »

Sade – Slave Song

Sade puise aussi dans son histoire familiale en racontant l’expérience du racisme ordinaire vécu par son père nigérian sur l’émouvant « Immigrant ». Elle souligne, par la même occasion, la dignité qui caractérise cette première génération d’immigrés dont faisait partie son père. « Ma mère m’a racontée comment, lorsque mon père est arrivé en Angleterre pour la première fois, ils faisaient des courses et elle a remarqué que l’homme dans le magasin ne voulait pas toucher sa main au moment de lui rendre la monnaie. Ça m’a beaucoup affectée », révélait la native d’Ibadan, au Nigéria, dans ce même entretien.

Vingt ans après sa publication, la bourrasque émotionnelle qu’abrite en toute quiétude Lovers Rock n’a rien perdu de sa puissance. Et la relecture sincère du style que l’album convoque demeure encore aujourd’hui un des plus vibrants hommages au reggae pour cœurs tendres, et esprits profonds.

Écoutez sur Spotify et Deezer notre playlist Lovers Rock, regroupant quelques-uns des meilleurs titres du genre d’hier et d’aujourd’hui, britanniques comme Jamaïcains.

© Albert Watson
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