fbpx → Passer directement au contenu principal
The Pan African Music Magazine
©2024 PAM Magazine - Design par Trafik - Site par Moonshine - Tous droits réservés. IDOL MEDIA, une division du groupe IDOL.
Le lien a été copié
Le lien n'a pas pu être copié.

Percy Yip Tong, la saga de l’activiste seggae (Séga Maurice 5/5)

Pour cet ultime épisode de notre série, PAM s'est rendu à Tamarin, à l'ouest de l'île Maurice chez Percy Yip Tong. Ce touche-à-tout producteur, interprète, activiste, directeur artistique est un pionnier du seggae, au confluent du séga et du reggae. Portrait.

Percy Yip Tong est né britannique en 1960. Hyperactif, ce producteur musical qui parle avec un débit ultra rapide est aussi connu pour son engagement environnemental contre le projet immobilier Legend hill, ou la marée noire provoquée par le vraquier japonais Wakashio qui a touché le sud de l’île en 2020. À Maurice, Percy est célèbre pour avoir accompagné l’éclosion de Kaya, le « Bob Marley de l’Océan indien». Qu’est-ce qui a conduit ce fils de bonne famille – le père de Percy est le premier magistrat chinois de l’île Maurice, et a étudié au lycée français Labourdonnais où poussent les élites – à se lier d’amitié avec Joseph-Réginald Topize alias Kaya, un jeune rasta issu de Rochebois, cité modeste en banlieue de la capitale Port-Louis ? 

Pour le savoir, Percy nous fait faire un flash-back dans son enfance: « J’ai hérité ma fibre artistique de ma mère qui est issue de la minorité chinoise d’Indonésie. Elle a grandi en Europe parce que c’était une colonie hollandaise. Elle parle huit langues, d’où mon métier d’interprète, et elle est aussi artiste peintre, poète, metteur en scène. »

En 1978, à dix-huit ans, bac en poche, Percy est envoyé par son père faire des études de droit et de sciences politiques à Aix-en-Provence. « Chez les Chinois, le garçon doit être médecin ou avocat. » Mais le jeune homme s’ennuie dans ce chemin tout tracé et travaille dans la sécurité lors de concerts dans le département des Bouches-du-Rhône. Il  découvre ainsi les Sénégalais de Touré Kunda, Massilia sound system qui se produit dans les quartiers nord de Marseille et même… Miles Davis: « Moi, petit Mauricien je ne savais pas qui c’était! Comme je parlais anglais on m’a aussi demandé de faire l’interprète pour Dizzy Gillespie à Marseille. J’ai travaillé dans un restaurant pour voir tous les grands sur scène, Simon and Garfunkel, The Who, Bob Marley au stade Mayol à Toulon, les Rolling Stones, Burning Spear, Fela Kuti , trois fois, avec ses choristes aux seins nus, un sorcier qui faisait une prière sur scène… J’ai flashé sur la musique africaine, que j’ai découverte en France. » À Aix-en-Provence, le jeune homme anime sur une radio libre une émission baptisée JR  (pour Jeunesse rebelle) consacrée au séga mauricien, aux musiques de l’Océan indien, d’Afrique… et au reggae! Il complètera sa connaissance du reggae avec des voyages à Londres, dans le quartier jamaïcain de Brixton, et à la Jamaïque.

Première K7 du groupe Natir Chamarel, produit par Percy Yip-Tong.

Rastas des villes et des rastas des champs

Quand Percy revient à Maurice à vingt-cinq ans au milieu des années 1980,  il est littéralement transformé. Il travaille comme responsable de l’animation à l’hôtel Méridien.  Lors d’une randonnée à Chamarel, ce village connu pour sa terre des sept couleurs, Percy entend une voix chanter: « Travailler c’est trop dur et voler c’est pas beau! » À travers cette reprise a capella d’Alpha Blondy le jeune homme découvre dans une case en tôle au fond d’une vallée  le groupe Zenfants Chamarel qui deviendra Natir Chamarel. Comment les produire?  « Le hasard a voulu que je prenne en stop une fille qui allait en stop à Grand Baie. C’était la fille du directeur du centre culturel français Christian Saglio, qui m’a obtenu un rendez-vous avec son père. » Le morceau « Chamarel » enregistré  dans le studio quatre pistes du centre deviendra un tube national de reggae en 1986. Entretemps, Percy lance sa structure Cyper productions et s’associe pour les visuels à Henry Koombes, franco-mauricien qui se fera notamment connaître avec la série de bande dessinée « Tikoulou ».

Et Kaya dans tout ça? On y vient! Un jour, Charles Quirin, designer pour la marque de t-shirts Habit Devo Boyz emmène Percy à Plaisance, rue Racinetatane, chez le bassiste Cyril Languila. Pour le jeune sino-mauricien c’est un changement radical de décor et de mentalité par rapport à l’aventure Natir. Cette fois, il est accueilli par des rastas endurcis issus de cités. Charles se met aux claviers avec un certain… Kaya. « J’ai découvert un type avec une voix limpide comme Bob Marley qui chante en français, en créole, joue de la guitare avec des accords simples qui accrochent l’oreille. » Percy a un coup de foudre pour « Racine pé brilé », un titre qui prône l’unité du peuple mauricien, le mauricianisme. Une titre de “seggae”. Mais qu’est-ce que c’est?  « Le reggae a ce tempo lent avec la basse lourde mais le séga c’est ternaire, plus dansant. Le seggae c’est du séga avec un son reggae, pas l’inverse. Ses textes parlent des fléaux comme la drogue et la pauvreté, les discriminations envers le peuple noir. J’ai tourné le rastafarisme vers le mauricianisme. Le rastafarisme prône le retour à l’Afrique mais l’île Maurice fait partie de l’Afrique et de l’Union africaine. On ne peut pas se battre pour « back to Africa », on y est déjà. Kaya l’a très bien compris! »

Le phénomène Kaya

Au début, dans le monde de la musique à Maurice, presque personne ne croit en Kaya, le rasta de Rochebois. Un numéro de l’émission Mosaïk sur la chaîne nationale la MBC, tourné chez Percy à Tamarin avec des artistes de seggae Ras Natty baby, Natir Chamarel et Racinetatane, le groupe de Kaya, permettra de changer la donne. Avec cette cassette VHS, Percy aborde au bluff un journaliste du Quotidien de la Réunion venu surfer à Tamarin et décroche une interview sur RFO. La première maquette de Kaya  « Seggae nou la mizik » sera enregistrée à la radio Corail à la Réunion, mixée par Percy à la jamaïcaine, avec un « son pourri, saturé, roots. »  « Il ne faut pas oublier » analyse t-il, qu’en Jamaïque Bob Marley a été produit par un Sino-jamaicain, Leslie Kong. Ti Frère et Serge Lebrasse ont été enregistrés par John Venpin dans son studio à Chinatown sur le label Dragons, Cassiya a été lancé par mon cousin Robert Yip Tong. Les Sino-mauriciens qui vendaient des soutien-gorges, des plumes, des stylos, vendaient aussi de la musique, avec les boutiques Do ré mi, Neptune, Power. »

Le 11 février 1990,  Nelson Mandela est libéré en Afrique du sud. La mairie étiquetée à  gauche de Port-Louis rebaptise le stade de foot de Cité-Valijee en son honneur. Racinetatane est choisi pour  l’inauguration du stade : « Il y avait deux policiers, deux hauts-parleurs et un public de sept-mille personnes! Les rues étaient bouchées. Les gens étaient hystériques comme pour un concert des Rolling Stones. Le podium a failli tomber. » Le 11 mars au soir, la veille de la fête de l’indépendance, un autre concert devant le parlement à Port-Louis rassemble 22000 personnes. Le 18 mars, avec le ségatier Michel Legris en première partie, Kaya rassemble 44000 personnes au stade de Rose-Hill.

 « J’ai vraiment vu le mauricianisme ce soir-là, il y avait toutes les composantes de la société, créoles, blancs, chinois, hindous… » se souvient Percy Yip Tong.

Celui-ci finit par se retirer de l’aventure en constatant des malversations dans le circuit de distribution des cassettes de Kaya à la Réunion. « Celui qui dupliquait prétendait en vendre cinq-cent alors qu’il en écoulait cinq-mille. Il y avait tout un trafic qu’on a découvert. »   Dans la foulée, Percy traverse l’Afrique du sud au nord, fonde sa famille en Allemagne, travaille à la Croix-Rouge…

Kaya – Lam sacrifice

En 1997, après avoir écouté le titre « Mo ti zil » issu de l’album « Zistwar revoltan » de Kaya, Percy  décide de revenir à l’île Maurice. Mais l’alchimie avec son ancien alter égo Kaya n’est plus au rendez-vous. En février 1999, à cinq heures du matin Percy reçoit un appel: « Kaya est mort à Alcatraz! (le surnom de la sinistre prison de Port Louis, NDLR) ».  Lors de  la veillée mortuaire au siège du parti Mouvement républicain « j’ai vu des Mauriciens de tous âges et de toute communauté faire la queue. J’ai été choqué par cette dépouille recouverte de bleus. » En représailles de cette mort sous les coups de la police, plusieurs stations de police seront brûlées. « Je me suis retrouvé à Rochebois avec des policiers blessés, des gaz lacrymogènes dans les maisons, des enfants qui pleuraient. Tôt le matin j’ai pris ma voiture pour retourner à Tamarin, ma femme était enceinte de huit mois. Le chanteur Berger Agathe m’a ouvert la voie, il y avait des barrages avec des émeutiers. Plus tard, j’ai reçu un appel m’annonçant qu’il a été tué de soixante-deux balles de chevrotine. » Cette période sombre pour l’île Maurice se terminera par des émeutes raciales. « Kaya qui vivait dans la pauvreté, dans une case en tôle, est mort pour une cause juste, la légalisation du cannabis. Et Percy de conclure : Sa mort a fait qu’il a eu la reconnaissance nationale et internationale qu’il méritait. »

Activiste panafricain

De son côté, Percy continue son activisme musical,  enregistrant notamment le père du séga typik Alphonse Ravaton alias Ti frère. « J’ai fait jouer en live avec Natir Chamarel le groupe Otentik street brothers (OSB) qui était un sound system. J’ai envoyé Eric Triton à Paris. Menwar a fait des premières parties pour Santana, Youssou N’Dour, a joué à la Nouvelle-Orléans, à Montréal. J’ai produit le groupe de séga acoustique Mauravanne, avec Linzy Bacbotte. »

Multi-tâches, Percy a été interprète dans les conférences internationales pour  Abdou Diouf, Thabo Mbeki, Koffi Annan, la FAO, l’Union européenne, les Nations unies. Expert culturel pour l’Organisation internationale de la francophonie pour l’Afrique de l’Est, Australe et l’Océan indien, manager culturel pour l’Institut Goethe sur l’Afrique subsaharienne, il reverse ses gains dans la musique.  Depuis douze ans, Percy promeut en particulier la musique africaine en lien avec celle de l’Océan indien. Il a par exemple fait venir Sakili de l’île Rodrigues en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique, pour jouer son séga tambour imprégné de polka, de valse et de mazurka. « Les Allemands ont vu cette musique européenne transformée par les tambours rodriguais. » Il travaille aussi sur des projets du continent comme Cheny Wa Gune du Mozambique, ou encore Gargar – une troupe de réfugiées somaliennes installées au Kenya, qui remporta un grand-prix de Radio France, ou plus récemment le projet Alostmen qui reçut le prix du magazine britannique Songlines. Ce n’est pas tout. Ce boulimique de culture a coproduit le film « Le premier rasta » de Christophe Farnanier et Hélène Lee (2011) sur la naissance de la religion rastafarienne qui a remporté plusieurs prix internationaux. Ses prochains combats? Obtenir l’ouverture d ‘un centre culturel mauricien et d’une école nationale de ravanne, la percussion emblématique du séga. On n’a pas fini d’entendre parler de Percy Yip Tong!

Chargement
Confirmé
Chargement
Confirmé