Le guitariste qui avait perpétué l’œuvre de Wendo Kolosoy en reprenant le flambeau de son orchestre, est décédé le 25 avril à Kinshasa. Il avait 82 ans, et près de 68 ans de carrière derrière lui.
Un à un, les pionniers de la rumba congolaise s’en vont sans faire de bruit, à petit pas de danseurs toujours amoureux de la vie. Nzoku Mo Ko Buele, dit Bikunda, était de ceux-là, à en croire ceux qui l’ont côtoyé et recueilli ces dernières années ses souvenirs. Ceux du tango ya ba Wendo, le “temps des Wendo” et consorts, tout premiers fers de lance, dans les années 1940, d’une musique qu’on appela rumba et qui incarnerait la modernité congolaise et longtemps, celle de tout un continent. Car c’est auprès de Wendo Sor – chantre de la belle “Marie-Louise” gravé dans la cire en 1948, que Bikunda fera l’essentiel de son chemin. Bien avant cela, lui qui était né en 1939 avait fait ses premières armes dans le groupe Watama, un orchestre fondé par Dewayon où le tout jeune Franco fera aussi ses débuts, sous la houlette des éditions Loningisa. Une chanson enregistrée par le groupe en 1955 porte même son nom, Bikunda.
Mais c’est avec Wendo Kolosoy, marin au long cours et chanteur chroniqueur hors pair qu’il va poursuivre son chemin, à la guitare rythmique. Il accompagne son mentor -qu’il a rencontré via Henri Bowane- dès le milieu des années 60 dans le groupe Victoria King. C’est avec Wendo, mais aussi Lucie Eyenga et les musiciens du Ballet Mobutu Sese Seko qu’il participe à l’enregistrement de l’Anthologie de la rumba congolaise entre 1970 et 1973. Vient ensuite une longue parenthèse, la rumba des doyens étant rangée dans les armoires… jusqu’à ce que le groupe se reforme, après la chute du maréchal (1997) sous l’impulsion de Wendo qui demande alors à Bikunda d’être son chef d’orchestre. Autant dire que papa Bikunda ne se fit pas prier. Le groupe Bakolo Musique repart enfin en tournée et, à l’occasion d’un MASA (marché des arts du spectacle d’Abidjan), enregistre en 1999 un album sous la houlette de Christian Mousset. On peut y entendre un duo inédit avec Anne-Marie Nzié, mais aussi une reprise de “Marie Louise” avec un son plus moderne, et un magnifique hommage à Pépé Kallé décédé quelques mois plus tôt. De quoi redonner une nouvelle vie à Wendo, et à papa Bikunda. C’est à lui d’ailleurs qu’avant sa disparition en 2008, Wendo confiera la charge de perpétuer leur travail, et de faire vivre la rumba d’antan. Le groupe devient Bakolo Muziki International et s’ouvrira quelques années plus tard à de jeunes recrues, dont le chanteur Jocelyn Balu fit partie.
“Il était mon maître”, raconte-t-il encore ému qui prit part à la dernière grande tournée du groupe en 2017 et 2018. Une tournée au centre du film Bakolo Music International qui était à l’affiche du FAME (festival international du film sur la musique de Paris).
La rumba congolaise venait d’être reconnue comme patrimoine immatériel de l’humanité, et papa Bikunda, à Kinshasa, était soulagé. “Je lui ai parlé il y a trois jours encore au téléphone, raconte Jocelyn. Il nous a dit : ma mission est finie, et vous devez continuer avec ce que je vous ai légué, comme j’ai fait après Wendo. Et il a ajouté, poursuit le chanteur : continuez à faire du bien, même si les gens vous font du tort, c’est ainsi que vous aurez la longévité. Si je suis le plus âgé dans la rumba, c’est parce que je n’ai pas fait du mal, même quand on essayait de me nuire”.
La manageuse du groupe, Jeanne Vu Van, parle de Bikunda comme d’un modèle : “près de 70 ans de carrière, 60 ans de mariage avec maman Sophie, et une très grande discrétion, une très grande humilité”. Que la terre lui soit légère, et qu’il continue de chanter au pays des bankolo, “les ancêtres”, en compagnie de Bowane et Wendo.