De retour sur scène après de longs mois d’arrêt forcé, Mayra Andrade retrouvait son public parisien, celui qui l’a vu grandir, pour son tout premier Olympia.
Aucunes des mesures de distanciation sociale n’auront eu raison des grandes retrouvailles entre Mayra Andrade et son public, le mercredi 23 septembre dernier à l’Olympia. L’atmosphère légère mêlée à l’excitation palpable du millier de chanceux présents (après avoir été tenus éloignés plus de six mois des salles de concert), était bien trop forte pour que la fête ne soit à la hauteur de l’évènement. Fouler pour la première fois la scène de l’Olympia en ces temps incertains relevait presque du miracle pour Mayra : « Je suis tellement heureuse que mon premier Olympia n’ait pas été annulé. Et si ça se trouve, s’il avait eu lieu la semaine prochaine, il l’aurait été », explique-t-elle lors de notre rencontre, à la veille du fameux concert.
Ces derniers mois, ses plans ne se sont pas exactement déroulés comme prévu, l’année 2020 en ayant décidé autrement comme pour tout un chacun. Entre un confinement impromptu au Ghana, sa tournée Manga mise en stand-by à quelques dates de sa conclusion en apothéose et de nouveaux projets qui ne verront finalement pas le jour… le coup fût dur. Mais le sens à donner à cette année définitivement à part n’était pas là, comme le rappelle la native de La Havane : « cette année à été très importante pour me remémorer qu’il faut revaloriser ces choses là en fait, appuie Mayra en parlant de son concert « parce qu’on peut se dire : « ouais c’est cool l’Olympia ! Mais on a failli ne plus rien faire et là tu reviens, et tu fais l’Olympia, dans une ville qui t’a vu grandir. C’est une scène hyper mythique, j’en rêvais déjà il y a quinze ans. Et comme dit Charles Aznavour (je m’voyais déjà) : « avoir mon nom en haut de l’affiche ». Je ferais bien gaffe à faire une photo demain ! » lance-t-elle dans un rire malicieux.
Mais avant d’en venir à cette soirée tant attendue, déroulons d’abord le fil des évènements qui ont permis de lui donner une saveur aussi particulière.
Confinée au Ghana, consacrée de Lisbonne à Paris
En février dernier, alors que la crise du Covid commence à prendre le tournant dramatique que l’on connaît, Mayra, en pause de trois semaines dans sa tournée, décide de quitter Lisbonne pour le Ghana, sans savoir que son séjour allait connaître soudain une (longue) prolongation : « En fait je suis passée par plein d’étapes différentes pendant ces cinq mois où j’étais là-bas. Je suis partie en 24h de chez moi, de Lisbonne, pour aller au Ghana deux semaines, avant d’aller au Cap-Vert pour être avec ma famille, mes parents, ma petite-soeur. Et quand je suis partie, j’ai senti qu’ils allaient fermer les frontières donc j’ai fait mes valises et je suis partie le lendemain. »
Depuis qu’elle est tombée amoureuse du Ghana il y a cinq ans, Mayra Andrade entretient une relation toute particulière avec la nation à l’étoile noire. Son effervescence musicale a fait plus qu’alimenter son inspiration, elle l’a régénérée pour donner une toute nouvelle couleur à sa musique, comme on s’en aperçoit dans son dernier album en date, Manga, sorti en février 2019. Pour l’artiste de trente-cinq ans, c’est une oeuvre charnière qui embrasse la dynamique fiévreuse des rythmes actuels d’Afrique de l’Ouest, tout en gardant son âme enracinée au Cap-Vert. Et si elle y était déjà en décembre dernier pour « essayer des choses avec des producteurs locaux », son état d’esprit était tout autre lors de son dernier long séjour ghanéen : « J’ai eu comme ça cette sensation de comprendre un petit peu ce que les gens qui partent en exil forcé vivent en fait. D’abandonner comme ça tous nos repères et partir. (…) À une échelle qui ne se compare pas, mais quand même, j’ai eu cette sensation de « waouh! ». Je ne savais pas si j’allais revenir dans un mois, dans deux mois, la preuve je suis restée presque six mois. Et puis à un moment j’ai compris que les concerts, que la tournée allait être annulée. »
Pour tourner la page de ces déconvenues indépendantes de sa volonté et pour tromper l’ennui, la Capverdienne se met alors en tête, tant bien que mal, de s’atteler à la suite de Manga : « J’avais cette pression de la productivité au bout d’un mois. Je me suis dit : « Il faut que je fasse quelque chose, que je revienne avec un album quasi prêt ». Peut-être pas prêt en termes d’enregistrement mais au niveau de l’écriture. Je me suis dit ça parce que je venais de ce monde normal dans lequel on vit en pression tout le temps. » Cet impératif de productivité était peut-être aussi pour elle une manière de se préparer à l’anniversaire qu’elle célèbre cette année.
« Cette année, c’est l’année de mes vingt ans de carrière. Mon premier concert en nom propre je l’ai fait à Praia à quinze ans, j’avais un groupe, c’était pour le jour de Nossa Senhora da Graça, la Sainte patronne de la ville, et c’était en août de l’an 2000, raconte celle qui se fit appeler « cara-de-pau » (expression en portugais désignant quelqu’un de culotté, NDLR) par sa mère et sa tante en sortant de scène, comme on l’apprend dans le documentaire sorti à l’époque de son remarquable premier album Navega en 2006. « Et voilà c’était mon premier concert, c’était sur la place de la ville en fait, un concert gratuit, c’était absolument incroyable. Enfin pas le concert, mais pour moi », lâche spontanément Mayra qui raconte cette histoire sur la scène de l’Olympia. Le public parisien en rit avec elle.
Dans son élément
« C’est bizarre parce que c’est la fin de tournée mais je me sentais aussi prête qu’on peut l’être pour le premier concert d’une tournée…c’est à dire pas très prête, parce que ça a été une coupure de sept mois depuis le dernier concert, sonde Mayra. « Donc j’avais l’impression d’avoir perdu tous mes repères en fait, c’est très étrange. » Déboussolée, la pure artiste de scène qu’elle est, enchaînant une centaine de dates par an à chaque tournée, a dû retrouver ses marques pour ses trois dates portugaises précédant celle de l’Olympia. Mais chassez le naturel et il revient au galop. Il n’y avait pas de doute à avoir, la scène plus que toute chose est une véritable nécessité pour la chanteuse. Et sa présence à la fois chaleureuse, habitée et enthousiasmante lors de son show tutoyant les deux heures à l’Olympia n’a fait que le confirmer.
Quelques jours avant, elle se produisait à Porto et à Lisbonne, sa ville d’adoption. L’accueil réservé par son public lusophone est loin d’avoir laissé Mayra insensible, visiblement encore remuée en y repensant : « J’ai eu une décharge émotionnelle après le deuxième concert de Lisbonne : je suis sortie de scène, je me suis assise sur une chaise et pendant vingt minutes je n’arrivais pas à bouger en fait. Je n’arrivais plus. J’étais complètement vidée et émotive, et c’était un peu étrange en fait mais quelque part c’était une émotion qui était à la hauteur de ce qu’on a dû fournir pour ce retour et cet au revoir aussi. »
Un au-revoir à la hauteur de son talent pour ses aficionados portugais qui l’ont célébrée comme une artiste nationale, ce qu’elle est, lorsqu’elle posa ses valises dans la ville blanche il y a déjà cinq ans. Mayra s’est même sentie investie d’une mission en remontant sur ces scènes qu’elle connait bien désormais : « J’avais cette sensation que j’étais là pour plus que de la musique en fait. J’étais là pour transmettre un message d’amour, avance-t-elle avant de poursuivre « on a beaucoup de pudeur à parler d’amour parfois quand on parle à des gens qu’on ne connait pas. Et je voulais leur parler de ça, je voulais vraiment qu’ils repartent chez eux avec plus, qu’ils soient chargés en bonne énergie. »
Et c’est avec ce même sentiment extatique, à la fois rempli d’une grande intensité et d’une allégresse toute légère, que Mayra partait à Paris retrouver à bras ouverts le public qui l’accompagne depuis son éclosion médiatique : « Le public parisien m’a toujours énormément gâtée. Il me connait bien, et on parle beaucoup du public parisien comme étant un public blasé, mais moi j’ai pas du tout cette expérience. J’ai été Parisienne pendant quatorze ans, je peux te parler longtemps des Parisiens » s’amuse Mayra,
« par contre le public parisien, enfin mon public en tout cas, est extrêmement généreux, très mixte et très diversifié, en âge, en origines. » Mayra ne se trompe pas. Dans la salle, des personnes de tout âge et de tout horizon communient avec elle, ignorant les frontières de la langue, des générations et des genres.
« J’avais vraiment envie qu’ils repartent avec quelque chose qui dépasserait ce que je pouvais leur donner en musique, même si la musique est un puissant baume je trouve, un puissant remède à beaucoup de choses. » Un remède, c’est précisément ce qu’elle nous a apporté au moment de tirer sa révérence à l’issue de sa prestation rondement menée. Un remède face à la morosité de l’horizon qui se profile, et à l’issue incertaine des lendemains. En choisissant « Guardar Mais », la sublime berceuse d’une grâce rare que son amie et chanteuse luso-capverdienne Sara Tavares a ressortie de ses tiroirs pour la lui offrir, Mayra Andrade clôt le spectacle de la plus belle des manières, sur une grande bouffée d’air . « C’est marrant je l’ai chantée l’autre jour, je sais plus si c’était à Lisbonne ou à Porto. Et quand je disais : « Je veux de l’air pour danser plus », les gens se sont mis à applaudir parce qu’ils étaient tous masqués en fait. Et d’un coup les chansons gagnent un sens différent selon le moment où tu les chantes. »
Si « les crises ne durent pas éternellement » pour reprendre les paroles de cette même chanson, Mayra devrait à nouveau faire le tour du monde avec, dans ses bagages, la même élégance et la même générosité. Et offrir partout, toute en grâce et en légèreté, cette même grande bouffée d’air.
Photographies de Thibault Juillard