L’aîné du duo fondateur du groupe Touré Kunda est décédé à Paris des suites d’une longue maladie, à l’âge de 73 ans. Avec lui, c’est une page de l’histoire d’un des groupes pionniers qui, de Paris, ouvrit les portes de l’occident aux musiques africaines.
Quand en 1973 Ismaïla Touré quitte sa Casamance natale pour venir en France, il a des rêves plein la tête. Un, en particulier : se lancer dans la musique, ce qui lui paraît impossible au Sénégal, sous le regard désapprobateur des parents. Deux ans plus tard, on le retrouve à Paris, étudiant à l’université, tout en multipliant les petits boulots. Quant à ses soirées, il les passe dans le petit milieu des musiciens africains, où il fait ses armes (et où il joue, entre autres, avec son compatriote Wasis Diop). Son frère cadet Sixu le rejoint en 1977 et c’est ensemble qu’ils montent leur premier groupe, rien qu’avec des musiciens français. Il ne s’appelle pas encore Touré Kunda, mais c’est dans cette configuration qu’ils parviennent à se faire connaître, d’abord à l’Hippodrome de Pantin lors du festival Africa Fête lancé par le militant Mamadou Konté, puis au Théâtre Dunois qu’ils occupent un mois durant, avec le relais de la chaîne de télé FR3 qui vient les filmer. Avec l’aide financière du beau-père d’Ismaïla et la solidarité des copains sénégalais de Paris, ils parviennent à enregistrer leur premier album, Mandinka dong (sortie en 1979, réédité par Secousse en 2019), signé de leurs deux noms : Ismaïla et Sixu Touré. Sur la pochette de ce disque très free, qui joue avec les rythmes de Casamance, le mbalax, la funk et le jazz, on les voit tous deux derrière des barreaux. Ismaïla confiera bien plus tard à Jacques Denis, dans le journal Libération :
« La couverture, où on nous voit souriants derrière des barreaux, c’était pour montrer qu’on était enfermés dans des clichés culturels. On était prisonniers du système, mais notre sourire, c’est une manière de dire qu’on allait bientôt passer de l’autre côté« .
« De l’autre côté » les deux frangins – bientôt rejoints par leur aîné Amadou, allaient y parvenir, crevant les barrières qui maintenaient, dans les yeux et les oreilles du grand public français, les musiques africaines dans le ghetto de l’exotisme foklorique. Les Toure Kunda (la famille éléphant, en langue soninkée), sont aussi le premier groupe d’Africains de Paris à connaître un tel succès (après le grand frère Dibango déjà bien installé dans le paysage français). On les verra souvent jouer pour défendre les droits des immigrés. Car le succès des frères Touré lui aussi les représente : « cette percée a permis je crois cette reconnaissance de l’identité de ces gens qui à un moment donné rasaient les murs, et où ils ne pouvaient pas marcher la tête haute » racontait Ismaïla à Philippe Conrath dans le documentaire Paris c’est l’Afrique.
S’ensuivront dans les années 80, au faîte de leur carrière, les tournées internationales – de Paris à New York en passant Tokyo et bien sûr par l’Afrique de l’Ouest, la participation à des moments historiques (comme la cérémonie d’accueil de Nelson Mandela sur le parvis des droits de l’homme à Paris le 8 juin 1990). Malgré les coups durs de la vie (l’aîné de la fratrie, Amadou, décède en 1983), la famille Kunda tiendra bon (Ousmane Touré, puis Hamadou Touré rejoindront le groupe). En 2018, pour les 40 ans de la formation, les deux frangins fondateurs publiaient l’album Lombi (avec en featuring Carlos Santana qui les avait invités autrefois sur son disque, mais aussi Manu Dibango, Lokua Kanza…) et remontaient sur scène, pour un dernier tour de piste. Car l’état de santé d’Ismaïla allait ensuite se détériorer. Jusqu’à ce qu’il ne rende son dernier souffle à Paris, triste nouvelle annoncée ce 27 février par un communiqué de ses proches. Que la terre lui soit légère : PAM adresse ses sincères condoléances à toute la famille, de sang ou d’esprit, des Touré Kunda.