Fort de presque 20 ans de carrière, le rappeur « de Normandie et d’Algérie » prouve qu’il sait traverser les époques en restant à l’aise sur « d’la trap, d’la boom bap et UK drill ».
À 37 ans, Médine Zaouiche, ce « schizophrène de l’humanité » né d’un père algérien et d’une mère française, délivre son septième album, Grand Médine. Originaire du Havre, il débute à la fin des années 1990 aux côtés du collectif La Boussole qui se structurera rapidement sous l’étiquette du label indépendant Din Records. Depuis 2004 et la sortie de son premier album, 11 septembre, récit du 11ème jour, il a su se renouveler et traverser les époques, bien épaulé notamment par son directeur artistique Alassane Konaté et son talentueux beatmaker Proof, qu’il « aime d’un amour filial ».
Ce que confirme Grand Médine, un album ambitieux et complet dans lequel on retrouve un Médine de plus en plus ouvert et spontané dans la forme comme dans le fond. Les sonorités se diversifient, les thématiques s’élargissent, sans perdre la plume acérée et sarcastique qui ont fait la réputation d’un artiste qui sait actualiser sa pensée comme sa musique : « Pour moi, changer de flow et d’avis comme de chemise n’est qu’une question de propreté. »
« J’crois qu’on arrive dans mon quart d’heure et c’est indiqué sur aucune montre »
Vous auriez tort de suivre son conseil et de passer le premier titre intitulé « Ignorez l’intro » car il annonce savamment la couleur : « jJsuis le petit d’Kery, j’suis le petit d’Booba car les bons profs font les bons autodidactes ! » En effet, celui qui affirmait déjà se situer « entre l’homme de paix et l’homme d’épée » dans son titre MC Soraal en 2015 ne saurait être aisément catégorisé. Armé d’une maîtrise technique irréprochable, comme le prouve son passage dans Fanzine, il épouse les codes du rap actuel, avec ses sonorités trap, drill et même « zumba », tout en gardant la plume acérée et le discours provocant. Pour lui « une idée qui n’est pas dangereuse, ce n’est pas une idée ». C’est dit.
Bien qu’il jouisse d’un public de fidèles « convaincus » et de l’estime de ses pairs, Médine reste un compétiteur et vise désormais le disque d’or sans pour autant baisser les gants : « Mes 15 ans de combat valent mieux que leurs disques de platine », affirme-t-il dans « HLM Grand Médine ». Il nous prouve qu’il n’a rien perdu de sa gouaille dans « Grand Paris 2 » sur lequel il permet le brassage des générations et la rencontre de rappeurs aux styles bien distincts, du très en vogue Koba LaD à l’iconique Oxmo Puccino. Et pour que les choses soient bien claires, dans « FC Grand Médine », deuxième extrait de l’album, il ne cache pas ses ambitions : « Cette fois, c’est mon heure, ma golden hour. »
« J’étais déjà là sous Giscard, je serai encore là sous Marine »
Si Médine parvient toujours à moderniser son esthétique musicale, c’est avant tout au service de son propos. Comme à son habitude, l’engagement reste fort dans ses textes, comme dans le titre « Voltaire » dans lequel il dénonce la malveillance du traitement médiatique réservé au rap et, plus largement, aux minorités : « Y’a que du racisme systémique / Derrière leur « On ne peut plus rien dire » / Restez dans l’entre-soi médiatique / En vrai c’est vous les vrais communautaristes. » Il invite le rappeur marseillais Soso Maness dans « Quartier VIP » pour décrire la vie dans « une ville en bord de mer avec vue sur les bâtiments ». Médine, qui a vu se succéder plusieurs gouvernements, déplore que « plutôt que de régler nos problèmes, ils préfèrent faire taire ceux qui les posent » et affirme donc non sans humour : « Il n’y a qu’incinéré que j’remplis l’urne. »
Des prises de position qui parsèment le projet, comme dans « Reste » avec YL, autre rappeur phocéen, dans lequel il aborde les polémiques stigmatisant certaines pratiques religieuses « Lâchez la grappe aux filles voilées, j’parle pas du hijab de la Joconde. » Si Médine a toujours accordé beaucoup d’importance à sa foi au fil de sa discographie, il démontre une nouvelle fois avec « God Complex » qu’il sait aussi en pointer les contradictions : « Beaucoup d’foi pour haïr mais pas assez pour aimer / Préfèrent élever leurs âmes que d’faire des gosses bien élevés. » Cela fait écho au titre « #Faisgafatwa », sortie en 2015, dans lequel il déclarait « heureusement qu’j’ai connu la foi avant d’connaître les pratiquants ». On retrouve également des parallèles surprenants avec des considérations écologiques : « Tant qu’c’est halal, bats les couilles d’la souffrance animale / Tant qu’c’est casher, on s’en tape que ce soit l’dernier d’l’espèce / Bientôt, on pend les écolos tant qu’il reste des arbres. »
« Ton rap soulève aucun débat, […], T’as déjà zappé les Rohingyas »
Depuis son premier disque, Médine à su imposer le storytelling comme une discipline qu’il affectionne tout particulièrement. On s’en rend compte dans le premier single de Grand Médine dans lequel il dépeint le quotidien d’un « Grand dla tess », aux côtés du rappeur Hatik. Mais c’est indéniablement grâce à sa série « Enfants du destin » qu’il s’impose comme un maître en la matière, bien aidé par les compositions sur mesure de Proof. En effet, chacun de ses albums comporte un titre dédié au récit tragique d’un « enfant de la guerre ». Après Sou-Han, David, Petit Cheval, Kounta Kinte, Daoud, Nour, et Ataï, nous faisons la connaissance de Sara, Ouïghours de 12 ans qui tente de fuir les persécutions du régime Chinois. C’est donc par le biais de la narration que Médine se positionne et dénonce toutes formes d’oppressions et de violences, en s’attachant à dépeindre leurs répercussions sur des vies innocentes.
« J’suis pas à une contradiction près, je prêche et je pêche comme un vieux prêtre »
Dans ce septième album, Médine accorde une place importante à l’introspection. C’est particulièrement le cas dans « Imposteur » dans lequel il questionne son rôle et déclare que « artiste, c’est l’autre mot pour dire “mensonge” ». Une remise en question dans laquelle il n’hésite pas à se livrer sans chercher à rassurer ses admirateurs : « J’parle plus à mes fans mais aux DATA, ma sincérité n’est qu’un appât / Ma vie n’est qu’une ruse d’apache, tu cherches la vérité y’en a pas. »
Bien que Médine se positionne naturellement en tant que leader et qu’il n’hésite pas à défendre des opinions fortes, on découvre dans « Ray » qu’il n’en reste pas moins habité par le doute : « Et le soir quand j’suis seul perdu dans le noir / Mes démons et mes anges entre eux qui se parlent. » Il décrit d’ailleurs son processus d’écriture proche de la transe chez nos confrères de Grünt. Des réflexions que l’on retrouve dans le dernier morceau de l’album « F.A.Q » : « Demande-moi de quoi j’ai peur, quand s’éteignent les projecteurs / Demande-moi si je pleure, demande-moi si je meurs. » On perçoit également une certaine nostalgie dans « Tête à cœur », avec Big Flo et Oli, un titre au cours duquel il regarde dans le rétroviseur et reconnaît avoir « l’âge où on a plus de souvenirs que de projets » tout en rétorquant malicieusement que « le vintage n’a jamais été aussi moderne ». Une réflexion finalement bien résumée dans « F.A.Q » : « Demande-moi qui je fus, j’te dirais qui je fuis, si c’est l’enfant ou l’adulte, ou peut-être un peu des deux. »
« Et j’te dirais que si tu veux d’l’amour, il y en a chez moi »
Si la performance, l’engagement et l’introspection ont leur place dans l’album, Médine y invite aussi volontiers sa famille. Une famille que ses abonnés connaissent bien car il partage quotidiennement la vie de son foyer sur les réseaux. Ainsi, sa femme Cheez Nan, et ses enfants Massoud, Mekka et Genghis ont la part belle dans ce septième opus. Dans « À l’essentiel », il évoque l’amour qu’il porte à sa compagne et sa crainte de la voir « un jour sur une civière », avant de lui déclarer sa flamme avec dérision dans « Tue l’amour » : « C’est pas Miss Météo, j’suis pas Monsieur Musclor / J’ai varices, pas d’abdo’, vergetures sur le corps / Mais non, t’es pas grosse, c’est la peau qui déborde / T’es ma Princesse Fiona quand elle se change en ogre. » Dans « Barbapapa », il évoque subtilement la crainte de voir ses enfants grandir grâce à un parallèle entre les friandises et les pièges de l’adolescence. Il crée la surprise en invitant son fils de 11 ans à poser un couplet qui ferait jalouser bon nombre de rappeurs bien plus expérimentés : « Aujourd’hui, j’suis l’fils de Médine mais demain, c’est Médine qui s’ra l’père de Massoud. » C’est sûr : la relève est assurée !
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