Concentré de métissage sonore, ode à la résistance au milieu des tempêtes politiques, voilà l’ADN du quatrième album de Flavia Coelho, le bien nommé DNA. PAM a rencontré la radieuse chanteuse brésilienne, qui croit autant à l’estime de soi qu’aux pouvoirs de la danse face à l’oppression.
Photos : Youri Lenquette
C’est en pénétrant dans une ancienne cave parisienne réaménagée en un superbe studio tout confort, coupé de l’agitation de la ville, que nous nous entretenons avec la chaleureuse Flavia Coelho. Situé à deux pas de l’Institut du monde arabe, c’est ici, au sein de ce cocon souterrain que la chanteuse et son fidèle producteur, Victor Vagh, ont donné naissance à tous ses albums. Après les joyeuses fusions entre reggae, bossa-nova, hip-hop et une pléiade d’autres hybridations solaires entendues successivement sur Bossa Muffin (2011), Mundo Meu (2014) et Sonho Real (2016), la Carioca passe un cap en embrassant totalement ses racines comme l’expose le titre de son nouvel album.
À la fois rayonnante et chargée en messages de résistance, cette nouvelle pierre ajoutée à son édifice discographique, la plus personnelle jusqu’à présent, est inévitablement marquée par l’atmosphère suffocante qui plane actuellement au-dessus du Brésil. L’arrivée au pouvoir du populiste d’extrême droite Jair Bolsonaro (dont elle ne prononce même pas le nom) a brusquement poussé Flavia à revoir la conception de son œuvre, déjà entamée au moment de l’événement. Mais au lieu de céder à la panique ou à toute autre dramatisation stérile, l’artiste garde la tête haute face à l’épreuve que vit son pays, l’esprit bien lucide : « j’avais deux choix : soit écrire un album, soit aller me battre là-bas, j’ai décidé de me battre avec les paroles, avec mes propres mots » confie-t-elle.
Coup de blues au pays de la samba
Il n’y a pas de doute à avoir au sujet de Flavia, son optimisme est inébranlable et profondément contagieux, aussi bien sur scène, où elle excelle, que sur disque. Il transpire même à chaque instant de l’écoute de DNA. Sur un des titres phares de l’album, le galvanisant « Billy Django », elle invoque un personnage fictif façon Tarantino délivrant les Brésiliens du marasme ambiant qui gangrène le territoire. Et lorsqu’on lui demande s’il faut qu’émerge un « Billy Django » parmi le peuple pour contrer le pouvoir en place, elle nous ramène à l’implacable réalité : « Pour moi Billy Django c’est le héros de tous les jours. C’est celui qui se lève tôt, celui qui fait les boulots que personne n’a envie de faire, c’est celui qui est stigmatisé, qui fait partie de la minorité et qui en a marre. Voilà pour moi ce sont eux ces héros-là, c’est le peuple même. »
Voilà maintenant treize ans que Flavia a posé ses valises à Paris, qu’elle sillonne de long en large les scènes du monde entier, de l’Europe à l’Afrique en passant bien évidemment par l’Amérique latine, mais a aucun moment elle n’a oublié d’où elle venait, Rio de Janeiro. L’inscription « Carioca’ et la silhouette du Christ Rédempteur tatouées sur son avant-bras gauche témoignent de son attachement intact pour la ville qui l’a vue naître.
« C’est une des villes que j’aime le plus au monde. Plus je voyage et plus je me rends compte vraiment comment cette ville est extraordinaire », déclare Flavia avec une passion palpable dans la voix. Bien loin des clichés des quartiers de Copacabana, d’Ipanema ou bien des favelas périphériques auxquels est encore trop souvent cantonnée la ville, elle dresse un portrait ambivalent et explosif de la « Cité merveilleuse » sur l’autre morceau de bravoure de l’album, « Cidade Perdida » et sa trap revisitée.
« Depuis que je suis née dans les années 80, j’entends dire que cette ville est brûlée par la corruption, la violence, les affaires de détournements d’argent… Et ça devient de pire en pire » déplore Flavia avant de rajouter : « Le bandit qui était dans la rue, maintenant il est à l’intérieur même du système. Donc il fallait plus que jamais parler de ça et je pense que j’aurais beaucoup regretté, à ce moment précis de ma vie, en tant que femme et que citoyenne, de ne pas dire ces choses là ». Si ce n’est pas la première fois que Flavia Coelho écrit des textes que l’on pourrait être tenté de qualifier d’« engagés », jamais auparavant elle ne s’était faite aussi percutante.
África — Brasil
« Pour moi l’Afrique quand je vivais au Brésil, c’était juste l’Afrique, c’était pas le Sénégal, le Mali, le Congo, l’Afrique du Sud, le Mozambique, l’Angola, et tous les autres pays. Je voyais l’Afrique comme un continent, un gros bloc. C’est en quittant le Brésil que j’ai compris que les gens aussi me voyaient comme ça depuis l’extérieur. » Cette perception n’a plus grand-chose à voir avec l’affection toute particulière qu’elle porte aujourd’hui pour l’Afrique, autant dans sa vie que dans sa musique. Par ailleurs, on apprend au cours de la discussion que les fondements de cet album se sont dessinés à la suite d’un voyage sur ces terres ancestrales africaines. Au Mozambique notamment, où elle tournera plus tard, dans les rues de Maputo, le clip du single phare « DNA », et plus largement dans les pays africains lusophones. Là où la langue lui permet véritablement de se connecter aux gens qu’elle croise et de se plonger au plus près dans cette idée de « roots », comme elle aime à le dire. « Ce sont les retrouvailles avec mes racines brésiliennes, avec l’histoire des ancêtres du Brésil ».
Ces retrouvailles avec ses racines se manifestent bien entendu musicalement. Et si la constitution génétique de DNA est principalement ancrée dans la foisonnante culture musicale brésilienne, du traditionnel forró du Nordeste dont sont originaires ses parents, à la bossa-nova en passant par la samba et un soupçon de baile funk, Flavia puise une fois encore ses inspirations dans le riche héritage musical africain et se les réapproprie à sa manière. Avec son enthousiasme ardent, elle nous fait part de son amour pour les musiques malienne et sénégalaise, pour lesquelles elle s’est prise de passion à la suite de son arrivée à Paris : « Pour moi ça a été un énorme choc quand j’ai écouté les albums de Salif Keita, L’étoile de Dakar, le Super Rail Band de Bamako, tout ça c’était une bouffée d’air, et un choc de voir que toutes ces musiques américaines qu’on écoutait venaient en fait directement du continent africain ».
Après ces découvertes qui élargissent son champ de vision, vient pour Flavia le moment des premières rencontres avec des musiciens d’origine africaine. Pour elle, c’est un déclic : « Quand j’ai rencontré les premiers griots ici à Paris, des artistes extraordinaires qui me font beaucoup penser aux repentistas du Brésil (poètes et chanteurs improvisateurs du Nordeste qui se produisent dans les rues lors de sessions d’improvisations appelées « cantorias ») , […] Tout ça ça m’a chamboulé la tête, ça m’a fait comprendre beaucoup de choses et ça m’a surtout amené à aller un maximum vers ce qui est lié à l’ancestralité du Brésil.»
En continuant à alimenter le pont d’influences entre son pays et le continent africain, sublimé sur DNA, Flavia ne fait que confirmer que l’âme du Brésil est bel et bien restée en Afrique.