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The Pan African Music Magazine
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Luedji Luna, la reine afro‑féministe de Bahia

Porte-parole de la diaspora afro-brésilienne, la Bahianaise Luedji Luna place la femme noire au coeur de sa musique, dans le Brésil de Bolsonaro rongé par les inégalités et le racisme. Mundo, son EP de remixes produits par DJ Nyack, vient de paraître. Portrait de la Erykah Badu brésilienne.

Crédits photo : Pablo Saborido

Luedji Luna est la force tranquille de la nouvelle scène musicale brésilienne. Fille de parents activistes au sein du mouvement militant noir de Salvador de Bahia, Luedji Gomes Santa Rita est née en 1987 dans cette même ville, capitale de la région du Nordeste, connue pour être une des plus anciennes villes coloniales des Amériques et assurément la plus grande ville noire en dehors de l’Afrique. Son prénom, “Luedji”, elle l’hérite d’un hommage à une reine lunda (un royaume anciennement établi aux confins de la République démocratique du Congo, de l’Angola et de la Zambie). Son histoire est consignée dans le livre Lueji – O Nascimento de um Império (Lueji – La naissance d’un Empire), de l’auteur angolais Pepetela. Un ouvrage qui marqua le père de la chanteuse, au point de donner à sa fille le nom de l’héroïne, et qui sait, de la prédestiner à devenir une figure de sa communauté.

C’est donc baignée dans un environnement profondément conscient de ses racines africaines que se forge l’identité de l’artiste. En 2016, Luedji s’établie à São Paulo pour dynamiser sa carrière musicale naissante, laissant derrière elle la petite Afrique qu’est Salvador (surnommée la « Rome noire »), à laquelle elle est tant attachée. Une fois sur place, elle découvre la solitude dans la bouillonnante mégalopole paulista (la plus grande d’Amérique du Sud avec ses 20 millions d’habitants), et connaît une crise identitaire qui donnera naissance à son premier album, hypersensible, sur la dimension diasporique de la négritude : Um Corpo no Mundo (Un Corps dans le Monde). Sorti en 2017 au Brésil, il n’est étrangement distribué en Europe que depuis l’été dernier, accompagnant sa première à tournée à l’international. Heureusement, il est aussi agrémenté d’un EP de remixes de cinq morceaux de l’album, conçu en collaboration avec le producteur DJ Nyack et une liste d’invités triés sur le volet, parmi les plus en vue de la sphère hip-hop brésilienne.

DJ Nyack Luedji Luna

DJ Nyack & Luedji Luna


Saudade ancestrale

Fruit d’un profond sentiment de nostalgie à l’égard de ses racines africaines, Um Corpo no Mundo est traversé par cette « saudade ancestrale » comme aime la qualifier Luedji. La chanteuse, exilée dans la jungle de la ville-monde du Sudeste, s’est inspirée de cette expérience personnelle de migration et de déracinement pour raconter sa propre version de l’histoire de la diaspora noire, à travers le prisme de sa condition de femme noire dans la société brésilienne. Le titre éponyme, une quête introspective aux délicats contours jazz et MPB (música popular brasileira), est justement né de sa rencontre avec l’immigration africaine à São Paulo. C’est ce qui a réveillé en elle la nécessité de se reconnecter avec la culture de ses ancêtres, comme elle l’explique au journal afro-brésilien Afirmativa : « Quand je suis arrivée à São Paulo, […] j’ai commencé à observer que la plupart des noirs que je voyais en centre-ville étaient des immigrés venus de toute l’Afrique. Je me suis donc beaucoup identifiée à eux car je n’étais pas d’ici non plus, et je cherchais une nouveau moyen de gagner ma vie, comme eux. C’est ce qui m’a motivée à vouloir parler de ces négritudes diasporiques dans ma musique, de la mienne et de la leur. » explique Luedji.

Pour la chanteuse, la diaspora n’est pas qu’une idée. Lors de l’enregistrement de l’album, elle s’est entourée de musiciens et de producteurs venus de tous horizons, tous rencontrés lors de son séjour à São Paulo. Autour d’elle, on retrouve ainsi un cocktail de nationalités qui réunit le producteur et multi-instrumentiste suédois Sebastian Notini, installé au Brésil depuis les années 2000 (et qui a collaboré avec Virginia Rodrigues ou Oumou Sangaré), le guitariste kenyan Kato Change, le compositeur brésilien d’origine congolaise François Muleka, le percusionniste bahianais Rudson Daniel et enfin le contrebassiste cubain Aniel Someillan. De ce brassage d’influences pour le moins exaltant sur le papier, il ressort une sobriété déroutante, une homogénéité et une classe qui s’affranchissent des étiquettes et des catégories, tant les genres se mêlent les uns aux autres avec naturel. « L’album est sur un non lieu […] Ce n’est pas le Brésil, ce n’est pas l’Afrique, ni la Bahia stéréotypée. Il s’agit d’une musique du monde, celle de la diaspora » déclare avec justesse la majestueuse chanteuse de 32 ans à cette même revue.

Le monde selon Luedji

Avant de publier son deuxième album, « Bom mesmo é estar debaixo de água » (que l’on pourrait littéralement traduire par « C’est vraiment bien d’être sous l’eau ») attendu pour 2020, Luedji Luna a eu la bonne idée de donner une seconde vie à une poignée de morceaux de son premier album. À l’inverse de la tendance du remix pour le remix comme il est de coutume – parfois jusqu’à l’écoeurement- chez ses homologues nord- américains, la genèse de cette refonte est totalement opportune, bien qu’elle doive presque tout au hasard.

Mars 2018, Luedji est invitée à un événement inédit organisé par Red Bull Music dans sa ville d’adoption, pour une rencontre musicale avec le rappeur américain Illa J (frère du génial et regretté producteur J Dilla). Là-bas, elle croise le chemin d’un certain Nyack qui officie en tant que DJ pour la même soirée. Il remixe le tube de son album, « Banhos de Folhas » – une authentique déclaration d’amour à sa région natale sur un rythme ensorcelant d’axé (musique populaire de l’État de Bahia, associée au carnaval de Salvador) – et le combine avec le beat de « Sunflower » d’Illa J, à la frontière du funk et de la house.

Ce mariage, pas si évident de prime abord et pourtant imparable, marquera le point de départ de la collaboration entre Luedji et Nyack, et surtout de ses premiers pas dans une veine hip hop/ néo-soul, montrant l’étendue de sa palette artistique. À la manière de la magnétique Erykah Badu, Luedji Luna installe sur son EP Mundo une atmosphère empreinte de mysticisme, sans rien perdre de son aura lascive. Les sonorités apaisantes des versions originelles cèdent ici leur place à des instrus boom bap gorgés d’une soul lumineuse, où les éruptions de cuivres et les grooves tout en finesse nous feraient presque penser à la grande époque des Soulquarians, transposée sous la torpeur tropicale. Les insolubles tensions qui agitent la société brésilienne se retrouvent toujours en filigrane dans ses textes, mais habillés de poésie. Ils prennent une toute autre tournure depuis l’élection, le 28 octobre 2018, du populiste d’extrême droite Jair Bolsonaro. En tant que co-fondatrice de Palavra Negra (« Parole noire ») – une initiative visant à donner la parole aux artistes afro-brésiliens, principalement aux femmes, sous la forme de talks et conférences – Luedji a exclusivement convié des rappeurs et chanteurs issus de la communauté noire parmis les plus brillants et prometteurs de leur génération. Au détour de ses cinq morceaux suaves, on croise parmi une foule d’invités le rappeur très en vue Rincon Sapiência, la soulful Tassia Reis ou encore Zudizilla, le rookie de Pelotas.

En ce moment particulièrement trouble et confus de son histoire récente, le Brésil voit éclore une artiste d’une grâce rare, qui cristallise ses maux en célébrant son identité comme seul moyen d’exister dans le monde.

Écoutez Um Corpo no Mundo et Mundo (Remix) ci-dessous :


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