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The Pan African Music Magazine
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Kader Tarhanine : une étoile monte dans le ciel des musiques sahariennes

Avec sa voix sincère et sa guitare acérée, Kader Tarhanine a l’incandescente sentimentalité du regretté Intayaden et le souffle poétique sans limites d’Abdallah ag Al-Housseïni aux débuts de Tinariwen. Il vient de sortir son premier album international.

En 1990, quand les Tinariwen, précurseurs de la musique moderne touarègue ont largement propagé leur première cassette, repiquée et dupliquée à travers le Sahara touareg, Kader Tarhanine venait de naître un an plus tôt dans le nord du Niger. De parents maliens, originaires de Ménaka et de Tombouctou, il a grandi à Tamanrasset (Tam pour les intimes, dans le Sahara algérien). Son groupe est composé de jeunes d’Algérie et du Mali et lui vit, aujourd’hui, à cheval entre les deux pays.

Cheveux bouclés, visage rayonnant, grand sourire permanent et revêtu généralement du classique « deux pièces bazin » (avec chèche en guise d’écharpe), Kader a tout du jeune, homme charismatique et attachant de Tam « la belle ». Sa musique circule dans les réseaux touaregs (amplifiés aujourd’hui par les réseaux sociaux), et a fini par atterrir dans l’oreille attentive du célèbre Manny Ansar, qui fut le tout premier manager des Tinariwen. « Dès que je l’ai entendu, la toute première fois, je savais que c’était une pépite pleine d’un talent prometteur pour l’avenir », reconnaît Manny Ansar, qui deviendra le producteur du jeune prodige. Il le fera monter d’abord sur scène à Bamako, en janvier 2017, lors d’un concert organisé en marge du sommet Afrique-France. Alors qu’il venait de débarquer, quelques semaines auparavant, pour la première fois au Mali, le jeune artiste bourré de talent, avec une fougue impressionnante, avait séduit et conquis un public subjugué (y compris les chefs d’état africains et français).

Kader est un enfant venu dans la tourmente saharienne des années 90, marquée par la première grande rébellion touarègue. Pourtant c’est surtout l’amour, ou la romance amoureuse plus exactement qui irrigue ses différentes chansons. D’ailleurs, par Kader Tarhanine, il faut entendre : Kader, mon Amour. Comme l’antique Majnoun Leïla (fou amoureux de sa cousine Leïla) ou Imro Al-Qaïs, chantre de la poésie amoureuse arabe préislamique, les textes de Tarhanine font feu de ce souffle poétique qui relate avec ardeur les passions du cœur, dans ses enchantements, mais aussi ses tourments. Une obsession permanente, dans les rites et dans la vie quotidienne des Touaregs, depuis des temps immémoriaux. Un texte de l’une des emblématiques chansons de Kader, parle de cet élan : 

Quand nos souvenirs communs me reviennent
Je sens du mal dans l’âme
Il est plus facile pour moi d’imaginer
Mes veines vidées de leur sang
Que mon cœur sans ton amour


Dans ce registre, Kader est le champion de la jeunesse actuelle. Et il lui parle avec des mots qui la touche, car elle les reconnaît et s’y identifie. L’influence de l’artiste à ce niveau ne connaît pas de frontières : d’Oubari à Kidal via Tamanrasset, d’Agadez à Tombouctou et de Ménaka à Bamako… C’est là la fibre de son succès. 


Tout jeune, et déjà maître de la scène

Mais son talent, sa marque de fabrique, c’est sa grande maîtrise de la scène. Il y monte toujours avec une incroyable énergie, aidée par sa jeunesse et son maniement dans l’art de balancer son corps, avec élégance, bien évidemment. Un mouvement top rapide, non juste ou non immédiat dans le tempo, ou encore un déhanchement trop excessif ou non harmonieux serait mal perçu (« malvenu », même, faudrait-il dire) chez les Touaregs et Kader a bien compris et intégré cette contrainte : il bouge et fait bouger son public avec grâce. Ses sensorielles notes produisent des émotions fortes, traversant les esprits pour arriver aux corps et en prendre possession.

C’est d’abord la tête qui bouge la première, comme si elle le faisait malgré elle, puis le reste du corps suit, montant comme par cercles concentriques. Chaque personne est emportée et l’ambiance gagne tout le public, dans une transe sensationnelle : épidermique, « épidémique » et contagieuse. Puis c’est l’apothéose générale, faisant rêver les plus anciens, tenus à une certaine retenue. 

La dernière image, la plus sublime, du pouvoir de Kader sur scène remonte en août dernier au festival Oued-Eddahab de Dakhla, au Sahara occidental. Ce dernier, accompagné de la griotte mauritanienne Garmi mint Abba (sœur « héritière », de la regrettée Dimi mint Abba, la Diva de la musique maure) revêtue de son charmant sari saharien en soie. Tous deux, sur scène, se donnèrent la réplique de leurs voix qui semblaient venir de la lune pour gagner la terre avant de repartir aux cieux, emportant les âmes charmées. Le temps en fut suspendu. Et le moment si mémorable qu’il avait de quoi « achever » – en beauté – les Sahariens (Touaregs, Sahrawis et Maures) en extase, littéralement fascinés par le duo qui marchait naturellement bien ensemble, à l’image de leurs aînés respectifs : Abdallah ag Al-Housseïni et Noura mint Seymali, qui pareillement se répondent dans le dernier album des Tinariwen. Ce soir-là, à Dakhla, alors que la représentation n’était pour ainsi dire pas encore terminée, la vidéo était déjà virale sur les réseaux sociaux.


« Ikewane » : racines touarègues, branches mondialisées

En avril 2018 une autre collaboration, cette fois avec Sidiki Diabaté (le fils héritier de la Kora de Toumani Diabaté) fait parler d’elle, notamment grâce à la diffusion du clip « Tarhanine » qui fait sensation au Mali. La chanson, présentée comme un espoir de dialogue et de paix dans un Mali déchiré entre Nord et Sud, n’était pas sans rappeler à Toumani Diabaté sa propre collaboration, des années auparavant, avec feu Ali Farka Touré, récompensée par un Grammy Award.

Actuellement, Kader Tarhanine tourne, dans le cadre de la promotion de son premier album international, en enchaînant les triomphes. Celui-ci s’intitule « Ikewan » (« Racines » en Tamasheq). Il a été enregistré à Bamako par Essakane production, sous la direction de Manny Ansar, fondateur et président du fameux Festival au Désert d’Essakane. Ce premier disque du jeune Kader porte l’empreinte de son producteur, fin connaisseur des musiques sahélo-sahariennes qu’il collectionne depuis une quarantaine d’années de vie partagée entre le sud et le nord du Mali.
Ce long héritage, fait de métissage et de fusions, est transmis dans Ikewan.
En effet, à comme les racines d’un arbre qui se propagent en ramifications multiples aussi loin que la profondeur terrestre les mènera, le premier disque de Kader invite à entendre les sonorités fondamentales nées au bord du fleuve Niger. On y trouve notamment la très reconnaissable et nostalgique « note de Niafounké », héritée du célèbre Ali Farka Touré, mais aussi les cordes mandingues faisant voyager l’imaginaire vers les méandres connus ou inconnus, et la tendance bluesy syncrétique liant le tout. Ce « tout » est porté, merveilleusement, par le souffle poétique saharien, irrigué d’influences musicales maghrébines et orientales sous-jacentes.
À l’image de certains romanciers et écrivains sahariens (en l’occurrence, le Libyen Ibrahim al Koni et les Mauritaniens Idoumou & Beyrouk), Kader démontre que c’est au Sahara, débarrassé des clichés néocolonialistes, que s’opérera la synthèse – culturelle et humaine – des mondes, notamment africains et moyen-orientaux.
La musique de Kader – et tant d’autres – est la bande sonore de cette synthèse. 

Dans sa chanson « Kel Tamasheq » (c’est ainsi que se nomment les Touaregs, NDLR), Kader rappelle d’ailleurs combien ce Sahara est précieux et qu’il convient d’en prendre davantage soin pour le préserver :

Aux Kel Tamasheq :
Nous avons une terre à travailler
Qu’il ne faut quitter
Main dans la main, vous la gardez.
Vous éloignant vers d’autres horizons
Vous la perdez ! 

Jeune, ouvert et curieux, Kader a su intégrer, en un temps record, les sonorités culturelles voisines au monde Touareg, pour évoluer vers des fusions, beaucoup plus rapidement que ses aînés des autres groupes issus du même mouvement culturel que lui. Toutes les jeunesses raffolent de ses prestations énergiques sur scène, car Kader leur parle de leur époque mondialisée.

Devenue l’idole et le symbole de la jeune génération touarègue, Kader a de beaux jours devant lui, et tous les atouts pour faire (re) découvrir au monde, dans un registre remanié et renouvelé, l’élan poétique et romantique touareg en particulier, et saharien en général.

Ikewane, Essakane productions.

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