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The Pan African Music Magazine
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Edmony Krater a « traversé la mer », et en rapporte un nouvel album
© Christophe Douet

Edmony Krater a « traversé la mer », et en rapporte un nouvel album

L’artiste guadeloupéen a publié au mois d’août un nouvel album, J’ai traversé la mer (Heavenly Sweetness). Il y poursuit ses expériences qui mêlent rythmiques gwo ka, jazz et un soupçon de zouk. Interview.

Depuis la réédition du cultissime album Ti Jan, dédié au tambour majeur Vélo et enregistré en 1988 avec Zepiss, une formation qu’il avait fondée à son arrivée à Paris cinq ans plus tôt, le trompettiste (mais aussi tambour, guitare, claviers) guadeloupéen Edmony Krater vit une seconde jeunesse artistique. Pour preuve, ce nouvel album, J’ai traversé la mer où l’atypique auteur-compositeur affûte sa plume en s’attaquant à des problèmes contemporains comme aux plaies du passé, irriguant sa musique des rythmiques gwo ka (lewoz, kaladja, mendé…) et d’échos du zouk synthétique. État des lieux.  

Ce nouvel album s’inscrit dans ta trajectoire artistique — une expérience, une ouverture musicale à partir de l’identité guadeloupéenne, tout en proposant de nouvelles voies. On y entend une musique plus résolument tournée vers la danse, évoquant même le zouk synthétique. Pourquoi ce choix ?

Dans cet album, j’ai voulu faire une synthèse de ce que j’ai vécu depuis mon enfance en Guadeloupe, et qui soit le reflet des musiciens de ma génération. Bien sûr le gwo ka occupe la première place. À l’époque, j’ai beaucoup écouté des groupes comme les Rapaces, Les Ryco Jazz… qui avaient popularisé un rythme très joué dans les années 1970, le tumbélé. Ils étaient très populaires aux Antilles et en métropole. Comme chaque album, j’aborde un thème : celui de J’ai traversé la mer raconte cette histoire avec une vision poétique et contemporaine, depuis la traversée de nos ancêtres jusqu’à ce que nous sommes devenus aujourd’hui.

Malgré tout le ka demeure la matrice. Peut-on tout faire, oser tous les mélanges, à partir de ces rythmiques ? 

Le gwoka ne se pas réduit à un instrument, c’est aussi le timbre de la voix, une façon de chanter. Artistiquement j’ai toujours osé, dans tous mes albums, prendre des directions différentes en me mettant au service du gwoka. Il n’y a pas qu’une vérité, c’est la sincérité qui compte le plus. C’est vrai que dans cet album la musique est plus tonale, plus populaire parce que j’ai beaucoup aimé les chanteurs : Anzala, Ti Celest, Robert Loison, Taret Turgo, sans parler de Guy Conquet qui est un personnage à part.

© Christophe Douet

Le ka est désormais mieux identifié, à la faveur de nombreuses rééditions, mais aussi de nouvelles productions. Crois-tu néanmoins que les Antillais — je pense notamment à quelqu’un comme Lockel qui fut un diapason pour toute une génération —aient toute la place qu’ils méritent dans le paysage sonore hexagonal ? 

Non, le gwoka n’est pas encore reconnu à sa juste valeur. À voir la programmation des festivals et des radios, il n’occupe pas la place qu’il mérite en France. Mais je pense que nous avons une part de responsabilité, nous devons nous battre pour que notre culture soit entendue. Quant à Gérard Lokel, précurseur du gwoka moden, il n’a été programmé qu’une seule fois en métropole, à Banlieues bleues.  Il ne s’est rien passé depuis.

Justement, l’autre pôle de ta musique est le jazz, encore présent dans ce nouveau disque. Crois-tu qu’il existe une identité spécifique du jazz guadeloupéen ? 

Le jazz n’est qu’une expression qui permet de valoriser sa culture. Le jazz antillais a toujours existé, il existera toujours. Il suffit d’énumérer toutes les générations de musiciens : Alain Jean-Marie, Al Lirvat, Émilien Antile, Robert Mavounzy, André Condouant, Michel Sardaby… tous ont su, au même titre qu’Abdulah Ibrahim, le pianiste sud-africain, valoriser leur culture, guadeloupéenne ou martiniquaise. Et la nouvelle génération apporte une vision très moderne du jazz, à l’image des pianistes Jonathan Jurion et Gregory Privat.

Parlant de jeune génération, tu t’es entouré pour ce disque de musiciens comme le batteur et percussionniste Sonny Troupé, dont tu as bien connu le père, et le pianiste Jonathan Jurion. Qu’apportent-ils dans ta musique ?

Ce fut une très belle rencontre avec Jonathan Jurion. Ce n’est pas qu’un pianiste musicien, c’est quelqu’un de très sensible à l’avenir du monde. Surtout avec la situation actuelle, où les infos ses succèdent, nous racontant tout et son contraire. Quant à Sonny, il a apporté une pierre inestimable à l’édifice, de par sa vision musicale et son ouverture d’esprit. Comme dit le proverbe créole « Chyen paka fè chat » (les chiens ne font pas des chats). Avec lui j’ai revécu, quarante ans en arrière, les bons moments de Gwakasonné avec son père Georges Troupé.

Sonny Troupé et Jonathan Jurion

Une jeune génération s’est attaquée aux symboles que sont les statues, notamment celle de Schœlcher. Crois-tu qu’il faille déboulonner ces statues ? Et quels personnages mettrais-tu à la place ?

C’est un sujet délicat. La jeunesse ne se reconnaît pas en Victor Schœlcher et d’autres figures de la France de cette époque coloniale. Ce qui pose vraiment problème, c’est que nos vrais héros n’ont pas été enseignés dans les livres d’histoire : Ignace, Delgrès, Mossoteau, Lauriette… Il serait temps que ça change. Et moi, c’est par mon engagement musical et artistique que je lutte contre l’esprit colonial qui perdure.

Les titres de tes albums, mais aussi les paroles rappellent l’importance de l’histoire antillaise, cette grande traversée qui fut une énorme déportation. La situation — le statut à part des Antilles —  a-t-elle suffisamment changé ?

C’est un témoignage de notre histoire et celle de nos ancêtres, pour leur dire que la vie continue, que nous n’avons pas oublié ce qu’ils ont vécu, en leur rendant hommage à travers nos chansons et nos musiques. Lorsque l’on voit les problèmes de l’eau en Guadeloupe avec l’empoisonnement au chlordécone, qui est le thème de la chanson « Dlo pou viv », il apparaît évident que la situation actuelle évolue lentement… 

Edmony Krater – Dlo pou viv

Justement, l’album Mémoires est paru en début d’année sur le label Beaumonde. Que représente cet album qui t’associe avec la harpiste Anne Bacqueyrisse et le percussionniste Olivier Maurières ? un pas de côté ? un essai esthétique de plus ?

Le nom de ce groupe, Bélize, fait écho au créole des habitants de ce pays. La musicalité de la langue et son métissage m’ont inspiré, tout comme ma rencontre avec la harpe celtique. Ce qui était intéressant c’est que la manière dont en jouait Anne produisait des sonorités très proches de la kora africaine. L’alchimie de notre univers musical a bien fonctionné, si j’en crois l’accueil du public lors de nos premiers concerts. 

Parlant de concerts, ton disque sort en pleine crise sanitaire. As-tu continué à jouer, enseigner ? 

Même si certains concerts et festivals ont été reportés, j’ai bon espoir car le disque a de bons retours. « Sé tan nou » a été playlisté par Bob Hill en Angleterre et par Toshio Matsuura au Japon, « Yo vini pou dansé » a été joué sur la playlist de La Fonoteca francesa en Espagne… Nous venons de faire une session radio live sur RFI pour l’émission de Laurence Aloir. Nous avançons, malgré tout, et normalement nous serons en concert au Festival créole au Rocher Palmer à Bordeaux le 21 novembre où nous partagerons la scène avec Jacques Schwartz-bart. En revanche, pour l’enseignement au conservatoire de Montauban ça a été très compliqué : j’ai donné quelques cours à distance. Depuis 2019, je suis aussi directeur artistique d’un nouveau festival : Place au gwoka, avec le soutien de la ville de Montauban. L’édition 2020 a été reportée en 2021 où j’espère que nous pourrons accueillir le quartet de Sonny Troupé, Roger Raspail, Alexandre Duventru et Lena Blou.

Es-tu encore optimiste pour l’avenir ? 

L’avenir est incertain. Nous sommes portés par notre passion en rêvant d’un monde meilleur pour nos enfants.

J’ai traversé la mer, disponible chez Heavenly Sweetness en digital et physique.

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