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Bachar Mar-Khalifé : « En prononçant le mot Beyrouth, je résonne entièrement »
© Habib Saleh

Bachar Mar‑Khalifé : « En prononçant le mot Beyrouth, je résonne entièrement »

Le musicien franco-libanais vient de publier le clip d’« Insomnia », qui annonce la parution de son nouvel album ON/OFF (Balcoon). Il nous parle de son travail, de son attachement au Liban, et de la tragédie qui a meurtri récemment le pays. Interview.

Né à Beyrouth en 1983, Bachar Mar-Khalifé a six ans lorsqu’il quitte le Liban avec sa famille, un exil à Paris qui marque son œuvre autant que sa poétique depuis Oil Slick, un premier album paru chez InFiné en 2010.

Issu d’une famille de musiciens et musiciennes réputés, Bachar Mar-Khalifé hérite de son père, Marcel Khalifé, légende du oud et de la chanson au Liban, autant que de sa mère Yolla Khalifé, chanteuse et poétesse elle aussi. S’il tourne d’abord avec la formation du premier, Bachar Mar-Khalifé prend le temps de se trouver et de toucher à tout, de l’Orchestre National de France aux jazzmen Bojan Z et Theodosii Spassov, tout en se passionnant pour l’électronique qu’il découvre aux côtés de Carl Craig notamment. Au fil des années, le Franco-Libanais a réussi à canaliser son feu intérieur, ardent, et à s’affranchir de sa formation académique pour définir petit à petit son propre vocabulaire musical, complexe et envoûtant, préférant largement l’émotion pure aux catégories.

Cinq ans après l’incontournable Ya Balad (InFiné), Bachar Mar-Khalifé fait son retour avec ON/OFF (Balcoon) : ballades vibrantes, piano hypnotique, lyrisme oriental et montées en puissance électroniques, le multi-instrumentiste reste fidèle à ce qui fait sa signature. Sur ce cinquième album, attendu pour le 23 octobre prochain, Bachar Mar-Khalifé prouve aussi qu’il n’a rien perdu de sa capacité d’indignation — on se souvient de sa reprise en 2013 d’un hymne anti-Bachar al-Assad du poète syrien Ibrahim Qashoush, retrouvé mort les cordes vocales arrachées. À l’occasion de la sortie du clip d’ »Insomnia », PAM a voulu en savoir plus… Rencontre.

Bachar Mar-Khalifé – Insomnia

C’est la première fois de votre carrière que vous prenez le large pour concevoir un disque et pas n’importe où : au Liban, où vous êtes né, et plus précisément dans les montagnes de Jaj. Pourquoi avez-vous eu besoin de vous isoler dans un tel environnement ?

Chaque album a eu son histoire et chaque enregistrement a eu son propre voyage. Je suis resté en France pour les quatre premiers. Mais il y a Zakrini, cette maison de famille qu’on a à la montagne au Liban : été après été, hiver après hiver, elle m’a toujours donné envie d’y revenir. Je m’y sens bien physiquement. J’aime ce silence qui contraste avec l’orage. C’est un endroit assez sauvage, proche des cèdres majestueux de Jaj… La nature est partout. C’est calme et pourtant habité : il y a des sangliers, la nuit, on entend des hyènes, et le jour, beaucoup d’oiseaux. La maison elle-même est assez brute, les murs sont en pierre, et le fait que ce ne soit pas un endroit très confortable, en tout cas pas du tout équipé pour être un studio de musique,  cela représentait un challenge pour moi. Et puis, tout simplement, c’était important pour moi de créer cet album au Liban, dans mon pays : de me dire que, malgré le chaos qui règne là-bas, on peut quand même continuer à créer.

ON/OFF est un disque assez minimal, presque dépouillé. De quelle manière le Liban a-t-il imprimé sa marque sur ON/OFF ?

Tout laisse des traces et résonne dans ce qu’on fait, c’est sûr. Lorsque je suis parti concevoir le disque en décembre 2019, le peuple était déjà dans la rue depuis deux mois. Il y avait beaucoup de manifestations, l’économie commençait à vraiment s’effondrer et l’électricité se faisait de plus en plus rare. Lors de l’enregistrement, j’ai pris pleinement conscience de cette galère : l’électricité coupait toutes les quatre heures, il fallait allumer le générateur… Mais finalement, ça a donné une sorte de rythme à l’album, une sorte de réalité. Aujourd’hui bien sûr, la situation n’est plus seulement critique, elle est bien pire. Au-delà de la référence au courant électrique, ON/OFF évoque aussi les dualités plus philosophiques qui peuplent nos vies.

Pour le concevoir ce disque, vous vous êtes isolé mais vous avez tout de même laissé votre porte ouverte aux invités de passage… Dans ON/OFF, on retrouve votre père Marcel Khalifé en français sur « Prophète », mais aussi une reprise du « Ya Hawa Beirut » de Fairouz, morceau avec lequel vous clôturez le disque sur un poignant piano-voix. Pourquoi choisir ce morceau de Fairouz précisément ?

Ce morceau, composé pour Fairouz par les frères Rahbani, est un appel, un cri d’amour pour Beyrouth. J’ai découvert cette chanson pendant que je travaillais autour du livre de Lamia Ziadé, Ô Nuit Ô mes yeux. J’en ai fait un spectacle, Les Astres de l’Orient, et je chantais à peu près tous les morceaux qui sont cités dans le livre, dont celui-là. Ce n’est pas la chanson la plus connue de Fairuz c’est vrai, mais de la même manière qu’elle clôt le spectacle, elle clôt aussi une époque. Le début de la guerre du Liban en 1979 signe la fin de l’âge d’or culturel et sociétal dans le monde arabe. Dans « Ya Hawa Beirut », Fairouz chantait déjà son espoir de voir Beyrouth renaître de ses cendres. C’est une chanson assez triste, mais j’ai eu envie de l’enregistrer pour cet album parce que Beyrouth, c’est ma ville natale : ne serait-ce qu’en prononçant le mot Beyrouth, je résonne entièrement, c’est quelque chose que je vis entièrement, en grand. Ça crée quelque chose de chimique dans mon corps.

Suite à la terrible explosion qui a profondément meurtri Beyrouth le 4 août dernier, vous avez décidé de reverser 10% des sommes récoltées sur les préventes d’ON/OFF à l’ONG libanaise Beit El Baraka. Comment vivez-vous la situation ?

Il y a beaucoup de frustration, de sentiment, d’impuissance, surtout pour les Libanais qui vivent à l’étranger – et nous sommes nombreux. En tant que peuple, nous sommes tous en train de vivre la même chose et c’est assez rare dans l’histoire libanaise. On a toujours été très divisé, d’un point de vue politique et confessionnel. Là, j’ai l’impression qu’on est tous blessés, tous touchés par cette crise économique. On a tous des amis ou de la famille qui se trouvent au Liban, qui ont perdu leur appartement, leur studio ou leur business. C’est très difficile aujourd’hui de trouver des manières de rebondir. C’est très difficile, mais je ferai tout ce que tout ce que je peux pour aider les miens, en tant qu’artiste, je répondrai présent à toutes les sollicitations. C’est une période très, très douloureuse pour le Liban. On entend souvent dire que le peuple libanais s’est toujours relevé des situations les plus extrêmes… Mais je ne sais pas à quel point ce discours est vrai aujourd’hui. Néanmoins, il faut s’accrocher.

Dans quel état d’esprit avez-vous composé « Insomnia » ?

« Insomnia », c’est la nuit, l’impossibilité de trouver la paix. Je pense que c’est le morceau qui ressemble le plus au Liban aujourd’hui : beaucoup de Libanais ne dorment plus aujourd’hui. C’est violent, l’insomnie, c’est quelque chose qui se vit seul, avec des cauchemars éveillés. Mais le jour arrive, c’est la seule chose qui peut nous rassurer : le jour arrive toujours.

Vous vous apprêtez à sortir ON/OFF dans un contexte qui ne vous permettra pas nécessairement de le défendre sur scène dans l’immédiat… vous gérez le manque, ça va ?

C’est une grande partie de ma vie : la scène, les voyages, le public… Je suis incomplet sans cet aspect-là, même s’il y a beaucoup d’autres choses à faire dans la vie que de faire des concerts. Je crois cependant que c’est un leurre de croire qu’on peut se passer des concerts et de la culture en général.

ON/OFF sortira le 23 octobre chez Balcoon. En précommande ici (10% des recettes des préventes seront reversées à l’ONG Beit El Baraka.)

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