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Au plus près de la transe banga avec Ifriqiyya Électrique
Rituel banga

Au plus près de la transe banga avec Ifriqiyya Électrique

Des esprits, une communauté aux portes du désert tunisien, un rituel de possession qui soigne et un guitariste noise hanté par la transe… Bienvenu dans l’Ifriqiyya Électrique, projet « post-blues et néo-chamanique » mené par François Cambuzat.

Parrain international de la noise, François Cambuzat traîne sa guitare et son amour pour « les musiques d’élévation » autour du globe depuis des décennies. Après une enfance au Vietnam, l’apprentissage du saxophone à New York, où il croise notamment la route de Dizzy Gillespie au Blue Note, ou encore une interview d’Iggy Pop qui fera de lui un jeune journaliste freelance… L’homme a aussi monté des groupes avec le chanteur et freefighter Eugene S. Robinson, la poétesse Lydia Lunch ou le comédien Denis Lavant, publié 22 albums et effectué plus de 5000 concerts dans le monde entier.

Dans sa quête des musiques de transes, François s’est retrouvé en 2015 dans le Djérid tunisien — ce désert qui s’étend au sud-ouest du pays —  pour travailler sur la communauté Banga, qui y distille un rite de possession stambali extrêmement vivant. « Ce n’est pas un projet de world music, encore moins d’ethnomusicologie » précise le gratteux globe-trotter. « Il s’agit plutôt d’un processus sauvage de musiques improvisées puis recomposées, d’instruments traditionnels, d’ordinateurs et de guitares électriques, une espèce de post-blues néo-chamanique… Une musique de transe industrielle. » Bienvenu dans l’Ifriqiyya Électrique, un projet aussi libre qu’instinctif né de cette expérience aux portes du Sahara et mené par François Cambuzat. 

Comment vous êtes-vous retrouvé à étudier le Stambali durant près de deux ans, au cœur du Djérid tunisien ?

Comme d’habitude, par intérêt pour les musiques d’élévation ! Je travaillais alors sur la musique musulmane et chamanique ouïghoure, découverte par hasard en Urumqi (région autonome ouïghoure du nord-ouest de la Chine, NDLR). De field recordings en recherches, archivages et détournements, j’ai recomposé une cérémonie néo-chamanique et post-industrielle. Outre la musique j’ai pu, aux côtés de la musicienne Gianna Greco, filmer des centaines d’heures de cette aventure-création qui seront montées en un road-movie musical. Le film Xinjiang, Taklamakan & Karakoram, première création du projet Trans-Aeolian Transmission est né à cette période. Nous sommes alors aux alentours de 2013 – 2014 et nous resterons en Chine près d’un an. En 2015, l’Institut Français de Tunisie a eu vent de nos recherches sonores et nous a convié à travailler dans cette même dynamique d’exploration, mais sur le Stambali cette fois-ci. La Tunisie est un pays qui m’est très cher, j’y avais étudié la musique auparavant, et j’avais adoré le côté social et les femmes surtout, qui ont une force de caractère formidable ! J’avais déjà rencontré des gens du stambali mais, à mon retour sur place, beaucoup de choses avaient changé… 

Dans quel sens ?

Dans le sens où, entre temps, la scène stambali à Tunis s’était considérablement appauvrie, condamnée à se produire, en grande partie, dans des restaurants ou des bars. Le genre s’était formaté, les arifas — les prêtres et prêtresses en charge du dialogue avec les esprit, NDLR —faisaient semblant de partir en transe pour le plaisir des touristes. Le volume sonore durant les pseudo-cérémonies était terriblement bas… Un peu refroidis, nous sommes restés en stand-by jusqu’à rencontrer, lors de ce qui devait être notre dernière soirée à Tunis, une ethnomusicologue, Amel el Fargi. Cette chercheuse nous a alors parlé de la banga, un rite populaire perpétué par une communauté originaire du Sud tunisien, dans la ville de Tozeur. Nous nous sommes fait inviter puis introduire sur place pour une première résidence qui a débuté en février 2016. Et là, ça a été une véritable claque ! 

Musicale ?

Oui. Musicalement mais aussi socialement, à tous points de vue en réalité. La Banga est un ensemble informel, composé de musiciens non-professionnels, qui produit un rituel adorciste extrêmement intense et brut. La musique joue très très fort, le son vit littéralement. Toute la violence qu’on adore était là ! Croyez-moi, Meshuggah* sont des enfants de chœur à côté ! Le coup de foudre a été immédiat et nous nous sommes immédiatement installés, avec Gianna Greco, dans une maison, sur place, à Tozeur. L’objectif était d’entreprendre un long workshop, un atelier d’apprentissage avec beaucoup de captations, de field recording, et l’envie, le plus rapidement possible, de participer en tant que musiciens aux cérémonies ! 

Comment fonctionne cet ensemble ?

Librement. À l’instinct. C’est ça qui est beau. La musique en elle-même est très simple. Il s’agit de rythmiques couplées à un chant, avec un chœur qui lui répond. Chaque chanson correspond à un esprit, tout est joué en improvisation sur un thème. Dans le stambali, rien n’est fixé, c’est ce qui a permis de nous intégrer si facilement. Et puis, il s’agit avant tout d’une cérémonie de soin. Le but est donc de se soigner, de passer un bon moment pour aller mieux. Personne n’est dupe ici, si tu as une appendicite, tu vas consulter un médecin, personne n’ira voir la communauté Banga pour ça. C’est la fonction cathartique, extatique qui est recherchée ici. Les émotions sont les mêmes que celles que l’on peut retrouver en Occident avec le pogo dans le punk ou le fait de passer une nuit blanche à danser dans une fête techno. Et puis, malgré la pauvreté qui frappe la Banga, il y a un esprit de corps dans cette communauté, une profondeur sociale, qui est vraiment magnifique. Pour beaucoup de jeunes, cet ensemble, c’est un peu le Boy Scout Club de Tozeur ! Les ados du coin y passent, et, à chacun de nos voyages, nous y voyons de nouvelles têtes. Ces jeunes de Tozeur, ils sont tous sur leurs smartphones à surfer sur les réseaux sociaux, mais malgré tout, ils bénéficient et participent au geste de transmission du rituel au sein de la communauté. C’est vital. Ces rencontres, tous ces échanges dans le Djérid ont fait naître le projet Ifriqiyya Électrique.

Ifriqiyya Electrique

Comment avez-vous réussi à faire de ce « workshop d’apprentissage » un véritable projet musical, sur scène et sur disque ?

Pour nous, l’objectif de ces deux années passées à Tozeur était initialement d’apprendre. Et puis de ces apprentissages, nous en avons d’abord tiré un film, Ifriqiyya Électrique, un objet filmique qui nous permettait d’archiver tous ces moments. C’est une démarche qui devient habituelle chez moi, celle de réaliser un ensemble de prises de notes vidéo. Elles n’avaient qu’une simple vocation d’archives, d’étagères. On a mis le film en ligne sur internet, et là les programmateurs de festivals se sont mis à nous contacter pour que l’on joue dans leurs événements. Le Roskilde Festival au Danemark, l’Urkult en Suède, le Womad ou le superbe FMM Sines Portugal, que je recommande à tous. Du coup, on a monté une formation à géométrie variable, et nous avons tourné, beaucoup, et enregistré deux albums, Ruwahine en 2017 et Laylet El Boree en 2019, tous les deux sortis chez Glitterbeat Records. Ce qui nous a amenés dans le Djérid, c’est la curiosité. Personne n’a soupçonné que le projet irait jusqu’à une tournée internationale…

Que retenez-vous in fine de cette vaste expérience ?

De très, très beaux moments. De la tristesse, aussi. Oui, étrangement, je retiens autant de bon que de mal dans cette expérience. Notre rencontre avec la Banga a été magnifique, mais il est toujours extrêmement complexe d’arriver dans des environnements si fragiles, si précaires. Surtout avec un projet qui comporte, à un moment donné, une rémunération des droits et des cachets. C’est ta curiosité qui t’amène dans cette région. Mais, malgré tes efforts, ton éthique et ta bonne volonté, tu vas forcément y détruire quelque chose. Ta seule présence, puis les tournées, une supposée forme de célébrité, l’argent et l’insatiabilité anxiogène qu’il génère viennent briser quelque chose de ce monde. C’est terrible mais il faut l’accepter. Accepter cette vérité et accepter surtout cette responsabilité.

Pourtant vous opérez plus comme un ethnomusicologue qu’un musicien qui vient faire son marché sonore dans des territoires difficiles d’accès…

Évidemment, je ne voyage jamais pour une petite semaine. Je m’installe, des mois entiers, pour vivre avec les gens : c’est la base. Si je devais repartir sur le chemin des études, ce serait pour l’ethnomusicologie, c’est mon rêve ! Mais quand je discute avec des chercheurs, ce sont eux qui m’envient (rires) ! La transe thérapeutique du N’Döp au Sénégal me passionne actuellement. Est-ce que j’y fonce pour autant ? Non. Pareil pour les polyphonies pygmées du nord-Congo, je veux m’y rendre pour apprendre. Mais il faut du temps pour appréhender, comprendre, construire un projet raisonnable et éthique. Finalement, les notions de production, d’albums ou de tournées, sont complètement hors sujet dans ces paradigmes. Il faudrait pouvoir s’y rendre, voyager, vivre là-bas et apprendre sans que personne ne le sache. Contrairement à ce que l’on pense, communiquer de moins en moins est une stratégie payante dans le monde de la musique, je recommande vivement ce geste ! 

* Meshuggah, illustre groupe de métal progressif suédois. 

Voir le film complet Ifriqiyya Électrique.

Découvrir le clip du morceau du morceau Stombali.

Revoir le concert du groupe à l’occasion des Nuits Sonores, édition 2018.

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