Barthélémy Attisso, membre fondateur de l’Orchestra Baobab, génial guitariste et arrangeur, s’est éteint le 29 août 2021 en son Togo natal, à l’âge de 76 ans. Que la terre lui soit légère.
La nouvelle s’est répandue ce matin, et a frappé les mélomanes, qu’ils soient du Sénégal ou d’ailleurs. Barthélémy Attisso, l’un des fondateurs de l’Orchestra Baobab et légendaire guitariste s’est éteint dimanche, chez lui au Togo. Avec lui, c’est un des membres historiques de l’orchestre dakarois qui disparaît, et tout un pan de sa mémoire. C’était aussi un musicien exceptionnel, au doigté et au feeling sans pareil, qui a forgé le son métis et unique du Baobab, dont il fut l’arrangeur en chef pendant de longues années.
Ce n’était certes pas ce qu’il imaginait en débarquant à Dakar, au milieu des années 60, pour y faire ses études de droit. C’est là, loin de ses parents restés à Lomé, que le démon – ou plutôt la divinité – de la musique allait s’emparer de lui. C’est ainsi, en terminant sa licence de droit, qu’il entre dans une petite formation baptisée Le Standard, où il fait la connaissance du chanteur Rudy Gomis, mais aussi du chanteur (et bientôt timbaliste) Balla Sidibé qui le rejoignent. Ils suivront Attisso lorsqu’il partira gonfler les rangs de la formation la plus talentueuse d’alors, le Star Band, qui fait la renommée du club Miami et de son patron à l’infaillible flair, Ibra Kassé.
Mais Attisso et ses deux copains sont approchés par des personnalités (parmi lesquelles Adrien Senghor, neveu du Président) qui viennent d’ouvrir un nouveau club, baptisé Le Baobab. Laissons le guitariste raconter la suite : « Pour animer le dancing ils avaient besoin d’un orchestre, formé de musiciens de haut talent. Donc ils nous ont repérés, et nous avons quitté le Star Band du Miami, nous sommes allés former l’orchestre Baobab, du club Baobab. Ils avaient besoin d’un orchestre de variété, parce qu’au club Baobab, il y avait une clientèle très variée, il y avait des touristes qui venaient de tous les horizons… et même nos patrons, comme c’étaient des mélomanes, quand ils voyageaient, ils ramenaient toujours des disques, soit des États-Unis, soit de l’Europe, soit de l’Asie, et ils nous demandaient d’essayer de les jouer sur scène. Nous avons facilement réussi cela, d’autant qu’ils mettaient à notre disposition tous les instruments dont nous avions besoin ».
Nous sommes en 1970, et le Baobab – grâce à son orchestre – devient le nouveau phare des nuits dakaroises, et grave ses premières chansons dans la cire. Au fil des ans, et malgré la mort tragique du chanteur Laye Mboup, le son du Baobab – rodé à tous les styles – s’affine, et se fait unique. Il suffit pour cela d’écouter le premier album enregistré sous la houlette d’Ibrahima Sylla, baptisé « Si bou Odja »(1980), pour s’en rendre compte. Attisso s’y lance dans un magnifique solo, long voyage qui tutoie les rivages psychédéliques, encouragé par ses camarades. Il est bien sûr tout aussi à l’aise sur les rythmes afro-cubains, très en vogue à l’époque. Qui ne se souvient de sa magnifique intervention sur « Utrus Horas », qu’avait rappelé avec ravissement l’écrivain Sylvain Prudhomme dans nos colonnes.
Cette passion pour les musiques cubaines, qui a embrasé toute la façade atlantique de l’Afrique dès les années 50 et qui demeure vivace au Sénégal, Attisso l’expliquait ainsi : « C’est très simple, dans le mot « afro-cubain » vous avez « afro » qui vient d’Afrique et « cubain » qui vient de Cuba. Tout simplement parce que la musique afro-cubaine est partie d’Afrique, est allée à Cuba et est revenue en Afrique. Tout simplement. L’afro-cubain c’est une musique africaine au départ. C’est pourquoi nous Africains, nous sentons bien dans cette musique ». On ne saurait mieux dire.
Quand le groupe, submergé par le mbalax moderne qui déferle sur le Sénégal au début des années 80, décide finalement de s’arrêter, Attisso rentre chez lui au Togo et y embrasse la carrière de juriste à laquelle, initialement, il s’était destinée. Mais quand le producteur anglais Nick Gold, aidé par Youssou Ndour, décide de relancer le groupe à l’orée du nouveau millénaire, Attisso reprend évidemment du service, et retrouve sa place de chef d’orchestre, revenant de Lomé pour les séances de studio et les tournées qui reprennent. Un nouveau départ inespéré qui leur ouvre des portes, et notamment celles d’Ibrahim Ferrer que Nick Gold invite un jour en studio, alors que le Baobab enregistre l’album Specialists in all styles (World Circuit).
« Il est venu dans le studio, nous l’avons reçu avec beaucoup d’enthousiasme, on était très content et lui aussi. Alors l’idée nous est née de faire quelque chose avec lui et nous avons profité de sa présence pour faire ce morceau-là : « Hommage à tonton Ferrer ». C’était facile pour nous puisque nous avons commencé par l’accompagnement du morceau « Utrus Horas » et lorsque j’ai démarré, Ibrahim Ferrer a tout de suite imaginé une chanson là-dessus. Youssou NDour était venu aussi dans le studio pour nous saluer, et lui aussi a greffé sa voix, c’est venu spontanément comme ça. On n’avait pas fait de répétition c’était parti comme ça. »
Assane Mboup, qui avait rejoint rejoint l’orchestre en 2000, lors de sa résurrection, se souvient de ce formidable musicien : « C’était un grand monsieur, un grand guitariste international, un grand professionnel. Il m’impressionnait car c’était un grand bosseur, très strict sur le travail, et c’est à lui qu’on doit tous les arrangements du Baobab , qu’il a accompagné jusqu’à la fin des années 2000. »
Avec les années, et la disparition de certains de ses amis fondateurs, Attisso avait laissé la place à une nouvelle génération, capable de perpétuer la mémoire de l’orchestre, et d’en poursuivre l’histoire. Mais de son Togo natal, où il a rendu l’âme dimanche 28 août 2021, il continuait de chérir la mémoire de son orchestre, et de ses années sénégalaises. En 2006, au cours d’une des tournées du Baobab, il nous avait confié : « Je voudrais parler du trésor, de la richesse, de la fortune que le Sénégal m’a donnés. D’abord, j’ai fait toutes mes études universitaires là-bas pour obtenir le diplôme de licence en droit, j’ai eu l’orchestre Baobab et grâce à ça aujourd’hui j’ai un talent, on peut dire, de musicien. Ce talent, je suis en train d’en récolter les fruits aujourd’hui. Je suis avocat et c’est grâce aux études universitaires à Dakar que j’ai pu accéder à cette profession, et j’ai eu des enfants aussi au Sénégal… donc vous voyez que c’est énorme, ces richesses-là sont liées justement à l’hospitalité, qu’on appelle au Sénégal « la teranga » et elle existe réellement : jusqu’à présent le Sénégal est une terre d’accueil. »
Au pays de la teranga, comme partout où la musique du Baobab a su toucher les cœurs, cher Barthélémy Attisso, on te pleure.