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The Pan African Music Magazine
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Mamadou Diabaté, porte‑parole du balafon Sambla 

Le virtuose balafoniste burkinabé basé en Autriche fait découvrir au monde la richesse de la culture sambla, dont le balafon est le maître-instrument. 

Photo : Gabriel Rizar/O Grito — Eventmanagement


Parlez-vous Sambla ? Oui, répond le balafon.

Assis devant son grand balafon aux 23 lames, que des calebasses font résonner, Mamadou Diabaté est prêt pour une discussion musicale. Dans tous les sens du terme, puisqu’il parle autant en jouant de son instrument qu’avec sa bouche. 

Né dans la région Sambla, une petite ethnie du sud-ouest du Burkina Faso (répartie sur quelques gros villages à 50 km de Bobo Dioulasso), il est issu d’une culture où le balafon est maître de la parole. Car si dans nombre de cultures africaines, les balafons sont connus pour parler, faire passer des messages compris par l’assistance, les Sambla ont poussé ce principe si loin que le balafon peut articuler chaque mot que l’être humain peut dire, à condition qu’il parle sambla. « Au Mali, les griots parlent, nous on communique avec l’instrument », dit celui qui commence par présenter son instrument avant de parler de lui, comme si c’était au balafon et à tout ce qu’il représente que revenaient les honneurs. Le visage du musicien s’éclaire alors d’un sourire aussi énigmatique que malicieux : « comme nous ne sommes que deux dans la pièce, mon frère qui est dans la pièce à côté ne sait pas ce que nous racontons. Mais je vais l’appeler et lui demander de m’apporter une cigarette, j’ai envie de fumer. »

Aussitôt dit, aussitôt fait : Mamadou Diabaté prend ses mailloches et se met à jouer plusieurs phrases musicales qui charment mon oreille. À peine a-t-il terminé, que son camarade instrumentiste, Yacouba Konaté sambla lui aussi, lui apporte une cigarette. Diabaté la prend, mais il n’est pas satisfait. Il joue encore une phrase brève. Et Konaté lui tend du feu. La scène se répétera plusieurs fois au cours de notre discussion, pour demander à nouveau une cigarette ou bien même un coca. Sans paroles. Mais avec la musique du balafon. Voilà pour la démonstration. 

En pays sambla, tout le monde comprend ce que raconte le balafon. Omniprésent dans la vie quotidienne, il accompagne les travaux champêtres pour donner aux paysans du cœur à l’ouvrage, mais aussi les mariages, les baptêmes, les funérailles, les sacrifices aux ancêtres. Sa parole compte. L’apprentissage se fait dès le plus jeune âge pour les garçons : à trois ou quatre ans déjà, on apprend l’instrument, presque en même temps qu’on apprend à parler. Et les tout petits se font très vite une place : « Le balafon sambla, explique Mamadou, on le joue à trois personnes : la première c’est un enfant, il apprend en fascisant un petit accompagnement très simple, le second complète l’accompagnement, et à eux deux ils font la base, le groove. Et la troisième, c’est le “soliste” comme on dit en Europe, mais nous on dit “le chef”, et c’est lui qui parle. Il écoute le tempo, laisse la musique rouler, le porter, et il parle. » 
 


Un héritage lourd à porter

Mamadou est un Diabaté, un nom de famille qui le désigne comme un griot dans tout le Mandé (au même titre que les Kouyaté et les Sissokho). Ce sont ses lointains ancêtres qui sont venus de l’actuel Mali et se sont installés dans la région, où ils se sont fondus parmi les sambla, apprenant leur langue et le balafon.

C’est donc tout jeune et par filiation qu’il apprît l’instrument. À l’ancienne, c’est à dire avec une extrême rudesse. « On me frappait, on me corrigeait bien ! Tu n’as rien, ni habit ni chaussures, tu marches 20 ou 30 km avec le balafon sur la tête, et tu accompagnes le chef pour jouer dans d’autres villages. Les solistes eux se relaient, mais celui qui fait l’accompagnement reste en place, ça doit rouler comme une machine, et toi parfois tu t’endors, et on te frappe : pourquoi tu dors ? J’ai joué une fois pendant 3 jours sans dormir. J’ai même pensé que mon père et ma famille ne m’aimaient pas : est-ce qu’ils voulaient que je meure pour me traiter comme ça ? Mais avec le temps j’ai compris que c’était l’éducation de chez nous… »

Mais en 1984, alors qu’il n’a que onze ans et ne mange qu’à peine à sa faim (son père avait une quarantaine d’enfants), il décide de partir. Seul, pour la grande ville. En l’occurrence Bobo-Dioulasso, seconde ville du Burkina, à une cinquantaine de kilomètres de là. Un autre monde pour le gamin qui n’a connu que la brousse, sans électricité. Là-bas, il commence par dormir dans la rue et à suivre les musiciens qui jouent une tout autre musique que la sienne. Il écoute, et ces derniers partagent avec lui le repas qu’on leur sert dans les cérémonies où ils se produisent. Il finit par rencontrer de jeunes musiciens de son âge, qui l’hébergent et l’initient au djembé, au ngoni. Ses camarades donnent aussi des cours aux touristes, et gagnent ainsi un peu d’argent. Mais pas Mamadou, qui ne connaît pas un mot de français. Un Français justement, venu s’initier au djembé, lui paie des cours du soir. L’année suivante, le même touriste revient et veut découvrir le village du balafoniste. Mamadou n’est pas très chaud. Voilà neuf ans qu’il est parti, sans dire un mot, et n’a donné aucune nouvelle (il n’y avait alors ni téléphone ni mail, et les lettres pouvaient prendre un mois, à condition de trouver quelqu’un pour les écrire). Mamadou accepte et revient au village chargé d’un sac de 100 kilos de maïs et quelques poulets pour ses parents. La confrontation avec son père est dure : partir ainsi sans « demander la route » à son père (c’est à dire son autorisation et sa bénédiction) lui a valu des malédictions. Mais le papa pardonne, et on organise des sacrifices pour conjurer les malédictions qu’il avait alors proférées à l’endroit de son fils. Il lui construit même un balafon, et cette fois-ci lui « donne la route ». Et l’envoi chercher quelques temps après pour participer avec lui à la Semaine nationale de la Culture. Le papa décède peu après. Le même mois, Mamadou reçoit sa première invitation pour venir jouer dans un festival en France, près d’Avignon.  


L’appel de l’ailleurs

Mais le balafoniste ne cherche pas à tout prix à s’expatrier. Il revient au Burkina et s’installe à Ouaga où il joue dans un restaurant pendant que les étrangers dînent. Des Ghanéens l’y découvrent et lui proposent de le suivre : il s’installe pendant un an et demi à Cape Coast, au Ghana. « Je voulais apprendre l’anglais », explique celui qui parle aujourd’hui trois langues européennes. Et c’est là qu’un Autrichien avec lequel il se lie d’amitié l’invite à jouer dans son pays. Mamadou y fait des rencontres, notamment celle du musicien André Heller qui l’invite à travailler avec lui et l’aide à s’installer. L’Autriche sera sa nouvelle maison. C’est là que le balafon (« sa chance », comme il aime l’appeler) l’aura emmené.

À Vienne, il travaille avec toutes sortes de musiciens, du classique au jazz et, puisqu’il se produit souvent à l’étranger (en Europe, aux États-Unis, mais aussi en Inde, au Pakistan ou en Indonésie), cherche à chaque fois l’occasion de se frotter à de nouvelles traditions, en trouvant le moyen d’y faire entrer son balafon. Certes, personne ne comprend ce qu’il raconte quand il joue, mais il parvient à rester fidèle à son art tout en le croisant avec celui des autres. Lui-même écoute d’ailleurs beaucoup de musiques, mais sa référence ultime reste le célèbre Joe Zawinul, claviériste et compositeur natif de Vienne et fondateur, entre autres, du groupe américain Weather Report. Un aventurier des croisements musicaux transculturels.  « Zawinul était pianiste, mais pour moi c’était un balafoniste, et moi je suis balafoniste, mais dans mon cœur je suis un pianiste », raconte celui qui ne perdait jamais une occasion d’aller le voir sur scène accompagné de son groupe, le Soul Syndicate. Une source d’inspiration pour sa propre musique, qu’il compose en s’appuyant sur la musique sambla, mais en ajoutant guitare et basse électrique aux deux balafons et aux percussions traditionnelles. Et en la structurant différemment, « avec des breaks sur lesquels on peut encore danser, même quand les instruments ne jouent plus« . 
 


Il a ainsi enregistré avec son groupe Percussions Mania (fondé en 2006) plusieurs albums, dont le dernier,
Nakan (le destin), vient de paraître. Il le présentait d’ailleurs à Vienne le 8 novembre dernier, à la maison de la radio nationale autrichienne (ORF), filmé et diffusé en direct sur le site web de la station. 
 

Gabriel Rizar / O Grito – Eventmanagement

Sauver le patrimoine, développer sa région

Outre les disques avec son groupe et ceux enregistrés en duo avec d’autres musiciens, Mamadou Diabaté a aussi veillé à graver des morceaux purement traditionnels sambla. Il en a joué toutes les parties, n’ayant alors pas d’alter ego à Vienne qui pouvait parler en musique comme lui. Car, s’il a reçu l’Austrian World Music award en 2011 (l’équivalent des Victoires de la musique française), ou a été distingué en Afrique par le Prix du triangle du balafon à Sikasso (Mali, 2012) il poursuit une autre quête. Sauver le patrimoine culturel sambla, à commencer par la richesse de son langage musical. Dans son propre pays, peu de gens la connaissent. Pas même ceux qui seraient en position de proposer cette culture du balafon (langue et musique) sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité (UNESCO). Alors, puisqu’il voyage pour ses concerts, le balafoniste s’en est fait l’ambassadeur et le porte-parole. Car depuis 2016, il voyage chaque année aux États-Unis pour enseigner la langue et le balafon sambla au Dartmouth College à ceux qui y étudient la linguistique africaine. Il s’apprête en décembre à donner des conférences à l’université de Princeton. 
 


Il aimerait aussi qu’en Afrique ou même en France, d’autres s’y intéressent à leur tour, afin de multiplier les chances de retombées sur le pays sambla. En attendant, il s’active de son côté, et depuis 2009, il a créé sa fondation et fait construire à Bobo-Dioulasso une
école primaire accueillant gratuitement des enfants (plus de 600 aujourd’hui). « Chacun doit avoir sa chance, dit-il, la mienne, ça a été le balafon. Mais tout le monde ne peut pas être balafoniste et de nos jours, c’est difficile de se débrouiller dans ce monde sans être allé à l’école ». Un credo qui rappelle le titre de son premier disque « Sababu man Dogo ». En français :  « il n’y a pas de petite chance qui ne soit assez grande ». La devise lui va bien, lui qui s’est accrochée à la sienne : le balafon.

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