Repéré en 2017 par Anissa Jalab (également manageuse de Damso et d’ElGrandeToto) après un concert aux côtés de Lous and The Yakuza, Tawsen accouche aujourd’hui d’un troisième EP, Al Najma (l’étoile). Après Al Warda (la fleur) et Al Mawja (la vague), il conclut une trilogie entamée à vingt-deux ans, un 22 mars 2019. Avec ce nouvel opus enregistré en 10 jours (contre un an pour le premier et 25 jours pour le deuxième), Tawsen passe un cap. Ayant vécu en Italie avant d’arriver à Bruxelles, cet artiste d’origine marocaine produit une musique plurielle à vocation populaire. Adaptant son style de surf en fonction des planches qu’il trouve, son aisance est totale. Du reggaeton (« Sailor Moon ») à l’afro (« Keddaba »), en passant par la dance (« Comme la lune ») et la trap (« Aujourd’hui ou demain »), il met l’accent sur la musicalité et parvient à lier toutes ses influences sans perdre l’auditeur.
Actuellement en troisième année de licence de communication, une filière qui lui permet de contrôler ce qui entoure sa musique (communication, marketing, vidéo…), celui qui chante l’amour pose les jalons d’une carrière internationale grâce à sa voix saisissante et à sa capacité à jongler entre italien, français et darija (l’arabe dialectal marocain, NDLR). Pour mixer chaque style du projet dans les règles de l’art, il a choisi une pointure de l’ingénierie du son, Ryan Summer. Consacrant une pop hybride, Tawsen parvient à nous captiver en procurant, au fil des pistes, une variété de couleurs et d’émotions. Avec Al Najma, Tawsen brille encore plus fort et éblouit chaque jour de nouvelles personnes. Rencontre.
Comment t’es venue l’idée de cette trilogie d’EP avec Al Warda (la fleur), Al Mawja (la vague) et Al Najma (l’étoile), et quelle en est la signification ?
C’est une trilogie love inspirée par The Weekend. Il avait sorti trois EP qu’il a regroupés en un album, Trilogy. Quand tu parles de vague, d’étoile et de fleur, je vois la terre, la mer et le ciel. Pour moi, c’est lié. Je t’aime ici, je t’aime là. Dans le premier EP, je fais des références aux vagues, dans le deuxième, à la fleur qui fane, et dans celui-ci au ciel ainsi qu’aux vagues.
Cet opus marque l’absence de tes producteurs habituels et l’apparition de nouveaux, bien qu’on retrouve Wassil derrière six morceaux. Comment se sont opérés ces choix ?
Glodi West n’était pas disponible pour les 10 jours d’enregistrement, et Goldo se concentre sur ses études. Quant à Prinzly, il bossait sur l’album de Damso (QALF). Pour moi, c’est important d’avoir un noyau de base qui me comprend. Surtout Goldo, on a commencé ensemble. Je n’ai même pas besoin de parler, il sait déjà quelle note, quelle gamme je veux. Mais en même temps, il me faut à chaque fois du nouveau. Par exemple, « Météo », c’est Redzol. Je l’ai découvert dans une vidéo de Le Motif où on le voit se filmer dans sa chambre avec une dizaine de pianos partout. Je me suis dit « pour avoir une chambre comme ça, tu dois être fort ».
Tu as aussi changé d’ingénieur du son en allant chercher une pointure, Ryan Summer, qui a travaillé avec les plus grands dont Saweetie, YG, Tory Lanez…
C’est une idée d’Amir Boudouhi (producteur et mari d’Anissa Jalab), qui m’a aidé à réaliser le projet. On aimait bien comment sonnaient les précédents EP, mais on voulait quelque chose de plus « raw » (brut, NDLR). Je fais du reggaeton, je veux que ça sonne reggaeton, je fais de l’afro, je veux que ça sonne afro avec ses défauts et ses qualités. À cause de l’industrie dans laquelle nous sommes, indirectement, on se dirige tous vers le même style, le même clip, le même mix. Ce n’est pas négatif, mais parfois quand un ingé son perce, par exemple NkF dont les mixs pour PNL sont « incroyaux », tout le monde veut travailler avec lui et cherche le même traitement sonore. Humblement, j’essaye d’avoir quelque chose de différent.
D’ailleurs, comment perçois-tu le fait que ton image soit autant associée au rap, alors que tu fais de la pop en mélangeant plein de styles ?
Si moi je suis rappeur, Alpha Wann et Freeze Corleone ils sont quoi ? (rires) Que ce soit les médias ou les labels, ils ont besoin de mettre les artistes dans une case et c’est ce qui se passe à chaque interview : « l’artiste rap », « l’artiste raï », « pop urbain »… ah non, il fait du chaâbi. Si demain je fais du reggaeton, est-ce qu’ils vont dire « l’artiste reggaeton » ? Est-ce que je dois formater ma musique pour entrer dans une case ? Tu te doutes que ma réponse est non.
Pour ce qui est de ton image rap, ça vient peut-être de ta performance mélangeant chant et rap dans Rentre Dans Le Cercle (émission web française de freestyles de rap)…
Pour Rentre Dans le Cercle, je n’étais même pas prévu. On m’a prévenu 30 min avant le tournage suite à l’annulation d’un participant. J’étais dans mon lit, en pyjama. Dans le métro, je me disais que je n’allais pas rapper. Là-bas j’ai fait deux prises, parce qu’à la première j’entendais mal l’instru. Il y avait plein de rappeurs qui n’avaient pas la chance de passer et, avant de recommencer, je les voyais me regarder en se disant « mais qu’est-ce qu’il est en train de faire ce mec ? ». À la fin, je me suis dit on va essayer de faire 50/50 au cas où (rires).
Bien que tu n’aies que quatre ans de carrière, tu as toujours aimé chanter, même à l’école. T’as un souvenir marquant par rapport à ça ?
« Ma voix telle qu’elle est aujourd’hui est arrivée à 18/19 ans. Avant, je chantais en falcetto (registre le plus aigu) parce que j’écoutais essentiellement des voix hyper hautes comme Adele, Rihanna ou Adam Levine de Maroon 5. Imagine-toi, t’es prof de math, tu dis à tes élèves « taisez-vous, faites le calcul » et moi je suis en train de chanter « Shining like a diamond ». Pendant trois ans, t’as un petit con qui chante super aigu parce qu’il pense que c’est ça sa voix.
Au lycée, on est partis une semaine en Angleterre avec une école allemande et une espagnole où il n’y avait que des meufs. Le dernier soir, on a un karaoké sauf que ma voix est cassée. Je ne peux pas chanter aigu. À mon tour, c’est « Stay » de Rihanna et je me dis « merde, je dois chanter avec ma voix normale… » Sauf que je n’ai jamais chanté avec, donc je sais pas que j’ai une voix de ouf, mielleuse. Je la chante avec ma voix normale, je me retourne et je vois tout le monde debout en train d’applaudir. C’était la première fois que je chantais avec ma voix pleine et depuis, j’ai signé chez Sony (rires).
Est-ce que tu prends des cours de chant ?
Le moment où je voulais vraiment le faire, pour découvrir d’autres notes, bim coronavirus… Je fais des échauffements sur YouTube avant d’enregistrer. Pour m’échauffer le corps. Parfois les gens pensent que c’est la voix qu’il faut échauffer, mais non, c’est ton corps qui doit être réveillé pour que tu chantes. Quoi qu’il en soit, je ne prends pas pour acquis ce que j’ai maintenant. Maître Gims n’est pas devenu Gims comme ça. À l’époque de la Sexxion d’Assaut, il ne faisait pas les mêmes notes qu’aujourd’hui. Ce sont des années de travail derrière et je dois passer par là.
Quelles sensations recherches-tu à travers la musique ?
J’ai une préférence pour la mélancolie parce que, pour qu’une chanson arrive à faire pleurer, c’est qu’elle doit être sacrément bien. Et pour ma part, je fais de la musique pour toucher un maximum de personnes, et pour ce moment où je termine l’enregistrement avec l’ingénieur son et le beatmaker… cet instant où on est les seuls sur terre à écouter « Safe Salina » par exemple. C’est l’apogée de tout.
Comment est né ton plus gros hit à ce jour, « Safe Salina » ?
Le lendemain d’une soirée spéciale afro, je suis parti chez Glodi West et je lui ai dit « je veux de l’afro ». Je voulais un refrain qui ne sonne pas français. Je chantais « Safe », c’est un terme qu’on utilise beaucoup à Bruxelles pour dire « c’est bon ». Et j’ai réussi à calquer une mélodie que j’avais en tête en ajoutant « salina ». Ce qui donne « c’est bon, on a terminé » en darija.
Je l’ai enregistré en trois prises, je n’avais jamais fait ça. D’habitude, il faut enregistrer refrain, back, couplet… Là, j’enregistrais du début à la fin en faisant des variantes à chaque fois. Des vibes au hasard qu’on a assemblées comme un puzzle. En trente minutes c’était fini. Le soir même, en allant dormir, j’entendais « Safe Salina » en fermant les yeux. Ça ne sortait pas de ma tête…
Le succès fut tel que tu as décliné le morceau en une version italienne, une nigériane et une marocaine…
Dès sa sortie. Pour le post annonçant la sortie du projet sur les réseaux sociaux, Romain Garcin m’avait envoyé un visuel sur lequel il avait mis un autre morceau. J’ai pris la vidéo et j’ai remplacé le son par « Safe Salina ». Personne ne l’avait écouté auparavant et le soir même, tout le monde en parlait.
J’ai voulu un remix nigérian car c’est de l’afrobeats et il fallait que je pousse le truc rebeu avec Toto et Manal. Et pour la version italienne, c’est un pur hasard. J’ai fait un concours sur Instagram et en écoutant Ticky B, je me suis dit « c’est toi, t’es trop fort ! ».
Poursuis-tu un processus particulier pour composer ta musique ?
Généralement, c’est la prod en premier, la mélodie en deux et le texte en trois. Tu peux être le Messi du surf, si ta planche a un trou au milieu, tu vas rien faire mon pote. Et la prod, c’est ma planche. J’ai besoin d’un truc qui me parle pour monter dessus et lancer des vibes. Si les vagues sont hyper fortes, ça va donner un morceau rap ou électro… je sais pas… et si elles sont douces, un morceau comme « La Météo ». Ce qui me gêne, quand je fais des toplines, c’est que les rimes ne sont pas très françaises. Donc parfois c’est très dur de calquer du français dessus. Si ça passe, c’est top, sinon ciao…
Quel a été le morceau le plus difficile à réaliser sur cet EP ?
« Toxic ». On y a passé deux jours, on a même pensé à le retirer. À force de chanter, il y a des notes que j’utilise plus simplement, c’est intuitif. Sauf que là on voulait des notes un peu différentes, mais je n’arrivais pas à les chanter directement. Du coup, Amir me donnait des notes à reproduire, mais impossible de les ressortir. Alors on a continué de travailler car on voulait vraiment une guitare voix avec ce thème. Je voulais raconter ce truc du mec toxique qui pointe du doigt une femme, avant d’assumer que c’est lui le problème et qu’il la manipulait.
Quel a été le morceau le plus facile à réaliser ?
« Comme La Lune ». C’était le 9e jour, on avait neuf morceaux et Anissa venait pour écouter le projet. Sauf que je voulais qu’elle l’écoute avec les dix titres. On a trouvé une boucle dansante sur le PC de Wassil, ensuite j’y ai passé toute la nuit et c’était très fluide. Je me rappelle que j’écrivais en regardant le clip du morceau de Louane écrit par Damso (« Donne-moi ton cœur »). En le regardant, je m’imaginais étant Louane en disant « t’es le poison dans ma peau, la seule note dans l’piano… ». Et aussi, il me tenait à cœur de terminer la trilogie dans la trilogie avec « Comme une fleur » et « Comme la nuit ».
Tu as la même manageuse qu’ElGrandeToto, une figure incontournable du hip-hop marocain. Comment perçois-tu cette scène ?
Pour moi l’Afrique, c’est le futur. J’ai découvert la scène marocaine il y a cinq ans. Visuellement et musicalement parlant, ce n’est pas « je suis marocain et je reproduis le rap d’Atlanta », c’est « j’apporte quelque chose ». Il y a cinq ans, ce n’était pas ça. Il y a des artistes qui sont allés clipper au Maroc pour changer de visuels et ils ont découvert qu’il y a des artistes, des photographes, etc. Et eux-mêmes, quand ils ont remarqué qu’on les regardait, ils ont eu le déclic en se disant « il est temps pour nous de proposer quelque chose ».
Et cette réflexion-là fait que beaucoup d’artistes innovent. Je suis connecté avec Toto et Manal, Snor… Ils ont créé leur propre truc. Esthétiquement, c’est incroyable. Musicalement aussi. Vu que c’est le Maroc, il y a un mélange d’anglais, de darija, d’espagnol, de français… C’était pratique pour que les labels commencent à s’intéresser à eux. Il faut juste que l’industrie s’installe un peu plus au Maroc pour que ça explose.
Tu connais déjà une ascension relativement rapide au vu de ta jeune carrière, mais tu confiais que tu ne profitais parfois pas assez du moment présent car tu as trop les yeux rivés sur l’idéal que tu souhaites atteindre (tournée des stades, audience internationale…). Qu’est-ce qui te donne envie d’aller si haut ?
Franchement, je pense qu’il y a beaucoup de choses… J’ai envie d’acheter un appart à mes parents, il y a un petit pourcentage de « on a tous envie d’être numéro 1 », même si en vrai je m’en fous. J’ai envie de toucher un maximum de personnes. Avant, j’étais toujours là à me dire « c’est cool, mais c’est pas assez ». Et ce n’est pas bon. Je n’ai jamais rêvé de disque d’or. Mes aspirations, c’est Stromae : sortir un album, braquage international, 4 millions de ventes, et je me casse. Mais à un moment donné, c’était trop dans ma tête, je voulais tout.
On m’a trop dit « toi t’es trop fort, ça va l’faire ». Du coup, je me disais que tous mes rêves allaient se réaliser. Mais non. Puis t’arrives avec un deuxième EP et « Safe Salina » qui fait des millions de vues. Et là je me suis dit « pourquoi les médias ne parlent pas de moi, pourquoi je ne passe pas à la télé tous les jours ? ». En tout cas, pour cet EP et les futurs projets, je fais juste ma musique et je passe un bon moment. Je préfère me dire « ah c’est cool, j’ai 100 000 vues » plutôt que « pourquoi j’ai pas fait un million en une semaine ? » Sinon je vais commencer à prendre du crack (rires).
Al Najma, disponible sur toutes les plateformes.