Saint-Louis est une ville paisible. Il est toujours agréable de se promener dans le secteur historique de l’île aux rues bien tracées. Ses maisons basses et leurs portes originales belles à vous couper le souffle, ou à galerie et balcons en bois ou fer forgé lui donnent un charme bien singulier. D’habitude si vivante en cette période de Tabaski (nom local de l’Aïd al-Adha, fête religieuse musulmane), le quartier de Lodo et ses bâtisses aux couleurs pastel semble désertique. Peu de monde dans les rues, même si nous ne sommes encore qu’en début de journée. Le Coronavirus est sans doute passé par là. Les rares cafés et restos ouverts ne sont plus fréquentés comme avant la pandémie. Elle a frappé de plein fouet les activités économiques. Aucun pays, aucune ville n’est épargné. Celles qui, comme Saint-Louis, vivent de leurs richesses culturelles et touristiques encore plus que les autres.
Retrouvailles avec Mustapha Naham
Nous avons rendez-vous avec l’atypique chanteur Mustapha Naham. Un bon petit déjeuner aux Délices du Fleuve s’apprête à sceller nos retrouvailles, deux ans après notre dernière entrevue. L’artiste qui vit désormais à Paris est en vacances dans son Walo natal et passe quelques jours à Saint-Louis. Confiné dans la vieille cité depuis la Tabaski, je m’autorise quelques sorties afin de tâter le pouls de la ville, observer les activités économiques et rencontrer le Saint-Louis culturel. Accueil vraiment chaleureux aux Délices du Fleuve, au-dessus même de ce que l’on pouvait attendre. Normal, je suis le premier client « sur place » comme on dit… Moustafa me rejoint. Pas de salutations d’usage, salamalecs version Covid-19 plutôt. À discussion est aussi copieuse que le petit-déjeuner. Tour d’horizon de la musique sénégalaise, son merveilleux clip « Diabaté » et aussi son festival « Dialawaly » qu’il organise dans le Walo, non loin de là, à Dagana. Moustafa est chanteur, mais aussi un mélomane averti.
Tout de suite, le Corona revient sur la table. Moustapha me fait part de sa préoccupation quant aux conséquences économiques sur le milieu artistique des restrictions liées à la Covid. « Derrière chaque chanteur, chaque musicien ou technicien, il y a une équipe et une famille. On doit se réinventer et trouver des alternatives pour pouvoir remonter sur scène. S’adapter et s’organiser à mieux vivre avec le virus est un impératif », plaide-t-il. La veille, Oumar Fall responsable du Ndar Ndar Café & Music, a plaidé dans le même sens.
Ndar Ndar Café & Music, le lieu incontournable
Lieu incontournable pour tout visiteur du Saint-Louis culturel, Ndar Ndar Café & Music, est un endroit sympa et chaleureux. Le café éthiopien qu’on y boit est non seulement unique dans l’île, mais ont peut y écouter le dernier son à la mode et de nombreux classiques. On peut également y croiser des sommités de la musique, surtout durant le fameux festival de jazz. Manu Dibango, Marcus Miller, Lisa Simone, Stanley Clarke, Fatoumata Diawara, Julia Sarr sont entre autres passés par là.
Rouvert en juin dernier après trois mois de fermeture suite aux restrictions liées à la lutte contre la Covid-19, Ndar Ndar Café & Music espère voir rapidement une reprise des activités culturelles. « Notre activité est liée intiment à l’attractivité culturelle et touristique de la ville. Jusqu’ici nous tenons le coup, mais les lendemains sont incertains. Les touristes ne viennent plus et tous les évènements musicaux sont reportés ou annulés. Ceux qui sont dans l’administration travaillent et perçoivent leur salaire normalement et les acteurs culturels qui ne vivent que de leur métier ne peuvent pas le faire. Il est temps que ça reparte », amartelé Oumar.
Certes, le 17 septembre dernier, le gouvernement sénégalais a levé certaines restrictions concernant les lieux de spectacle de moins de 500 places, mais encore faut-il pouvoir accueillir le public en respectant les mesures-barrière. De quoi redonner un peu d’espoir aux acteurs du secteur, toujours inquiets dans ce contexte d’incertitudes. Mustapha est optimiste : « Des endroits bien aérés, dans lesquels, les gestes barrières peuvent être respectés foisonnent à Dakar et dans les régions. Y faire des prestations ne peut nullement être un risque. C’est mon avis ! » Avis partagé.
Le Flamingo attend avec impatience la reprise
Avis partagé… partagé aussi par Yannick Phillip, patron du réputé le Flamingo, bar et restaurant en bordure du fleuve, qui appartient au mythique Hôtel de la Poste, célèbre pour avoir servi d’escale à l’Aéropostale au temps de Saint-Exupéry. L’endroit, super bien aéré avec une vue imprenable sur le pont Faidherbe, est évidemment dans des dispositions idoines pour pouvoir accueillir un public en cette période de Covid. Le fabuleux chanteur Souleymane Faye, habitué des lieux, serait sûrement ravi d’y rejouer.
Rencontré sur le superbe ponton du Flamingo, Yannick nous raconte qu’il a dû, comme les autres gérants d’établissements, réduire son effectif et réaménager les salaires pour faire face aux temps difficiles. Il est convaincu que l’État devrait être plus à l’écoute des acteurs. « De nombreuses structures sont au bord du gouffre. On ne sait pas jusqu’à quand on pourra tenir. L’État doit travailler sur une véritable relance des activités. Des emprunts pour payer des salaires, ce n’est guère viable à long terme. C’est une aberration », explique Philipp, le regard songeur pointé vers le fleuve… vers l’avenir.
Henri Guillabert : « Wiri-Wiri 2.0 »
Le retour de la scène tant attendu, annoncé par le ministère de la Culture avec le Plan spécial de relance des activités culturelles au Sénégal, est une excellente nouvelle. En attendant, certains travaillent dans leur coin, tout en partageant le cri d’alerte de la Coalition des Acteurs de la Musique qui a contribué à cette réponse du gouvernement. C’est le cas de Henri Guillabert le magnifique claviériste du Xalam. D’ailleurs, Mustafa et moi avons rendez-vous avec lui dans l’après-midi. Le musicien du légendaire groupe s’est installé depuis longtemps dans sa ville natale. Saint-Louis, c’est sa zone de repli. Là où il se confine. Henri a tout pour travailler dans de bonnes conditions. Dans l’enceinte du Quai des Arts, la salle de spectacle qu’il a lancée en 2003, l’instrumentiste vient d’aménager un studio moderne, classe et accueillant.
Henri Guillabert a très tôt flairé le bon coup en s’installant dans la vieille cité. C’est une ville reposante et propice à la créativité. Et aujourd’hui, comme El Hadj Diouf et Badou Gaye — deux légendes du football national — le claviériste fait partie des icônes de Saint-Louis.
Fidèle à son habitude, le maître des lieux nous reçoit de façon avenante. Masque au bon endroit, il nous indique l’emplacement du gel hydroalcoolique et nous fait entrer dans le son laboratoire, là où il compose et réalise. Dès la porte nous sommes captés par un son. Il s’agit d’une reprise surprenante de « Wiri-Wiri », la chanson de Youssou Ndour. Cette aguichante version ressemble diablement à celle de Youssou, mais ce n’est pas la voix de la star sénégalaise. À l’origine, elle était présente sur l’album « Benn », une compilation réalisée et produite justement en 1997 par Henri Guillabert et qui réunissait outre Youssou Ndour, Ismaël Lo, Afsana, Pape Niang et Cheikh Lô.
Henri est en plein travail. Il nous fait visiter rapidement le studio et nous invite à nous poser. Et nous comprenons tout de suite en voyant Ndary Diouf le prometteur chanteur Saint-louisien, un casque vissé sur la tête. « Comme je t’ai dit hier (On s’était rencontré au Studio Rokhaya du génial photographe Djibril Sy), je travaille sur une version 2020, une version 2.0 de Benn, mais je ne t’avais pas dit que Ndary y participerait. » (Rires)
Mustapha Naham, tout comme moi, est convaincu par le projet. On ne sait pas pour les autres chansons, mais pour « Wiri-Wiri », Ndary est à la bonne place. Il a du Youssou Ndour dans la voix. Il est déjà pour beaucoup de professionnels un des plus grands espoirs de la chanson made in Galsen. Ce n’est donc pas un hasard si Henri Guillabert lui confie la lourde tâche de reprendre le roi du Mbalax.
Pour Henri, la crise sanitaire est un moment difficile pour les artistes, mais qu’il faut mettre à profit pour travailler et multiplier les expériences. « Avec ce projet, je collabore avec des jeunes. C’est important de transmettre et surtout d’apprendre d’eux. C’est une expérience enrichissante. Certains jeunes artistes ont une énergie et des idées formidables. C’est pourquoi ce projet de Benn 2.0 voire 3.0 (rires) leur est ouvert », explique le musicien.
L’album n’est pas pour maintenant. Les chanteurs ne sont pas encore tous identifiés, mais Henri a une idée très claire de ce qu’il veut faire. « On utilisera la technologie de l’époque. On fera des programmations, on s’ouvrira vers une musique plus actuelle tout en gardant les bases traditionnelles » révèle-t-il.
Ndary, lui, est à l’écoute. Il se laisse guider par le réalisateur qui lui demande son avis et qui l’invite à proposer des choses. Leur échange est intéressant. On voit l’expérience d’Henri se mettre au service du talent pur du jeune homme, pour mieux le polir et l’affiner. « Pour moi, fan du Xalam, c’est un rêve d’enfant que de travailler avec un monument comme Henri Guillabert », nous lance le talentueux chanteur avec des yeux qui brillent. On a hâte de voir le résultat final. Benn en 1997 avait fait un carton et naturellement les mélomanes scruteront à la loupe cette nouvelle version à venir. Des comparaisons ne manqueront pas, mais l’idée de faire de la place à la nouvelle génération est un challenge remarquable et attrayant.
Arrivés au studio avec le soleil, nous avons pris congé avec la lune et les étoiles. C’est donc tard dans la soirée qu’on a quitté notre hôte avec des sonorités savoureuses plein la tête. Dehors, les masques ne sont toujours pas de sortis, et les mesures barrières très peu respectées. Le fait que les touristes ne viennent plus et qu’autour d’eux, certaines enseignes ferment, ne semble pas émouvoir plus que ça les habitants. Seuls les gens touchés de près ou de loin par le satané virus croient en la pandémie. Dans le taxi qui nous ramène, la radio FM passe un son du dernier album de Youssou Ndour, mais nous n’avons que « Wiri-Wiri » dans la tête…