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The Pan African Music Magazine
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Le Guess Who? Festival : l’exemple à suivre

Prescripteur, sans compromis et au-delà du genre, Le Guess Who? Festival célébrait sa 13e édition du 7 au 10 novembre dernier à Utrecht aux Pays-Bas sous un soleil miraculeux. Reportage au cœur d’un festival exemplaire.

Photo : Ayalew Mesfin by Tim van Veen


Se saisir de l’inconnu
 

Chaque année en novembre, la charmante ville d’Utrecht aux Pays-Bas voit fleurir des dizaines de points d’interrogation au détour de ses canaux. C’est l’emblème du festival « Le Guess Who? » dont la mission principale consiste à dérouter son public autant que ses artistes grâce à une programmation curieuse, internationale et hors norme — déjouant brillamment le pire virus qu’un festival puisse contracter : le déjà-vu. « Chaque année, de plus en plus de festivaliers nous disent, “je ne connais pas 90% des artistes et c’est pour ça que je viens au Guess Who?” Les gens aiment être mis au défi, faire l’expérience de choses qui les sortent un peu de leur zone de confort” confie Barry Spooren, à la tête des opérations avec le programmateur Bob van Heur. Deux cents artistes, 61 nationalités à (re)découvrir sur quatre jours : même les spécialistes — alias les pointus — dont les exigences sont parfois complexes à satisfaire trouvent ici de quoi se nourrir. Parmi les 20 598 festivaliers, certains viennent voir leur collection de disques en live, d’autres mettre à l’épreuve leurs certitudes. Se saisir de l’inconnu, voilà le mantra du festival.

Arp Frique by Tim van Veen


C’est une tradition, Le Guess Who? offre par ailleurs des cartes blanches à des artistes-curateurs afin qu’ils partagent sans aucune restriction ce qui compose leurs univers musicaux. Parmi eux, Patrick Higgins, Fatoumata Diawara ou encore Moon Duo : un atout majeur pour le festival qui élargit ainsi son propre horizon un peu plus à chaque nouvelle édition. Mais la grande force du Guess Who? Festival réside sans aucun doute dans sa capacité à s’affranchir de la question du genre musical. À ce sujet, Chris Eckman — cofondateur de Glitterbeat Records — s’enthousiasme : « Ustad Saami à côté de Earth : pourquoi pas ? C’est la voie à suivre, on doit abandonner les genres. Le Guess Who? commence à influencer d’autres festivals et c’est vraiment très important. »

Prescripteur en la matière, Le Guess Who? propose donc une expérience renouvelée en invitant des artistes qui ont eux-mêmes dépassé la question depuis longtemps, à l’image d’Arp Frique et ses suites improvisées pour instruments analogiques ; des polyphonies traditionnelles d’Holly Herndon remixées par une intelligence artificielle ; ou d’Angel Bat Dawid, grande oracle syncrétique qui aura offert au festival plusieurs de ses meilleurs concerts — dans la rue sur une carriole branlante avec Makaya McCraven, dans un centre d’art moderne, et sur la scène du Cloud 9 quelques heures après Björk.

Angel Bat Dawid by Rogier Boogaard



Quand la ville est une scène

En synergie avec la ville, Le Guess Who? ne cesse de se réinventer en multipliant les propositions artistiques dans pas moins de quarante lieux. « Le décor de la ville en elle-même, son atmosphère, est un facteur très important pour les festivaliers et cela l’est tout autant de rendre la pareille aux habitant.e.s, » poursuit Barry Spooren. Il est vrai qu’Utrecht est adorable dans le vent piquant de novembre, peuplée de jeunes gens pour qui pédaler semble être une seconde nature. Avec le « Mini-Who » et les journées « Untitled », Le Guess Who? investit églises, cinémas, clubs, galeries, disquaires, restaurants, centres d’art, boutiques de vêtements… jusqu’aux salons d’habitants volontaires pour favoriser les rencontres autour d’une bonne tartine de gouda [le fromage national ; NDLR].

ZONAL feat. Moor Mother & Nazamba


Lors d’un crochet par Kaapital, tiers-lieu branché pour zoner à la cool entre une conférence-discussion et un atelier de sérigraphie, on tombe au cœur de l’après-midi sur l’activiste et poète américaine Moor Mother en pleine session d’improvisation avec la trompettiste Jaimie Branch, tandis qu’à BAK, d’autres participent à une séance de méditation au milieu d’une exposition d’art contemporain. Mais le cœur du Guess Who? se situe au Tivoli-Vredenburg, un imposant complexe à l’architecture exceptionnelle doté de six salles de concert dernière génération, dont l’octogonale Grote Zaal — d’ordinaire dédiée à la musique classique — qui accueillait cette année notamment les riddims chaloupés du mini big band japonais Minyo Crusaders ou le funk somalien du Dur Dur Band pour un concert très décevant.


Représenter les non représentés

Un des défis que se donne par ailleurs le Guess Who? : faire en sorte que son public soit aussi métissé que sa programmation, c’est-à-dire que les membres des diasporas locales viennent au festival. Voilà donc en partie pour quoi Le Guess Who? invitait Ustad Saami, Dur Dur Band, l’icône indienne Asha Puthli, l’électro-funaná de Grupo Pilon mais surtout Ayalew Mesfin, légende du funk éthiopien et grand activiste qui n’était pas monté sur scène depuis plus de 40 ans. Dès le début des années 70, il tourne à guichets fermés avec son groupe dans tout le pays. Lorsque le Derg arrive au pouvoir en 1974, Ayalew Mesfin entre en résistance contre la dictature, en musique bien sûr, ce qui lui vaut d’être emprisonné puis placé en résidence surveillée pendant 13 ans. « Tout le monde le connaît, même la nouvelle génération ! » s’exclame un Éthiopien installé à Londres, venu exprès pour l’occasion, avant d’ajouter, solennel : « C’est un véritable héros pour nous. » Ce soir-là, Ayalew Mesfin ému aux larmes fait un triomphe, s’offrant des bains de foule, dansant dans le bonheur des sensations retrouvées. Pari gagné.

Ayalew Mesfin by Tim van Veen


« Nous tâchons d’inviter des artistes qui ont eu un impact sur un certain genre de musique, un son ou une discipline dans l’histoire des arts. Même si la majorité des artistes invités au Guess Who? ne sont pas très connus, la plupart d’entre eux ont une histoire vraiment riche… des histoires qui méritent d’être entendues »,
explique encore Barry Spooren. Si ces histoires oubliées sont devenues la spécialité de certains labels tels que Strut Records, Analog Africa ou Ostinato Records, Le Guess Who? suit leur travail de près et cette année, le festival invitait notamment le maître chanteur pakistanais Ustad Saami et ses fils à se produire à Jacobikerk, une église protestante du centre-ville d’Utrecht. S’il chante et enseigne tous les jours chez lui à Karachi, le maître n’a sorti son premier disque qu’à 75 ans : le bien nommé God Is Not A Terrorist (Glitterbeat Records, 2019), enregistré grâce au concours du producteur-explorateur américain Ian Brennan qui est allé le trouver au Pakistan. Dépositaire d’un patrimoine musical très ancien, Ustad Saami mêle chants védiques traditionnels et qawwalî soufi en d’impressionnantes arabesques vocales improvisées autour d’un système microtonal de 49 notes parfaitement maîtrisées.

Le Guess Who? by By Melanie Marsman


« Représenter les sous-représentés est un objectif très important et nous essayons d’être fidèles à cet idéal. C’est primordial pour nous de rester connectés à cette question : “quelle est notre raison d’être ? pourquoi Le Guess Who? est-il sur cette planète ?
” poursuit Barry Spooren. Ainsi Le Guess Who? Festival convie sans compromis les émergents, les vieux, les inconnus, les freaks, les sans réseaux sociaux, les hors-normes et les queer au cœur de sa programmation. Parmi eux : Marfox, Nídia et Firmeza du label portugais Príncipe Discos qui ont cadencé la nuit d’Utrecht dans la fumée stroboscopique du club Basis. Si elle est née en Angola avant de grandir dans les ghettos de Lisbonne, la batida (collision entre kuduro, kizomba, funana ou tarraxinha avec house et techno) est devenue la signature sonore de Principe Discos conquérant, depuis, des centres-ville dans le monde entier. « Dans les ghettos de Lisbonne, il y a des gens qui viennent de Sao Tomé-et Principe, de Guinée Bissau, du Mozambique, d’Angola, des Portugais, des Cap-Verdiens… Moi je ne suis ni vraiment portugais ni vraiment africain, je suis de Lisbonne. Cette musique me donne une identité, j’ai beaucoup d’amour pour elle, c’est notre drapeau. La batida, c’est le son des ex-colonisés, c’est le son des ghettos de Lisbonne », conclut fièrement Marfox. Encore une fois et jusqu’à l’ultime concert le dimanche soir, la salle est pleine, le public en communion.

Ainsi, préparez-vous à prendre vos billets pour la prochaine édition du Guess Who? Festival qui aura lieu à Utrecht du 12 au 15 novembre prochain car définitivement, Le Guess Who? est un must go.

Shows qu’on est tristes d’avoir ratés mais dont on a entendu beaucoup de bien : Mark Ernestus’ Ndagga Rhythm Force, Asha Puthli et Tengger.

Le Guess Who by Melanie Marsman

Bjork by Tim van Veen

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