Dernier épisode de notre saga. Où l’on apprend les origines du nom « Mangwana », mais aussi comment les souvenirs d’enfance ont inspiré à Sam « Antonio », un de ses succès devenu un hymne de résistance.
Mangwana ça veut dire quoi ?
Quand on te dit « Mangwana », ça veut dire : ce que nous vivons aujourd’hui, c’est ce que nous avons trouvé. En d’autres termes, c’est la fatalité. Donc c’est en quelque sorte une manière de se lamenter, celle des gens qui ont toujours fui pour chercher la liberté. Alors, quand mon père est né, ses parents lui ont dit : toi tu es « Mangwana ». Il avait fui de l’Angola à l’âge de 14 ans. A l’époque, la richesse c’était d’accumuler des couvertures, des couvre-lits, car tout le monde préparait déjà l’enterrement de son vieux et, à la mort de son vieux, il fallait sortir la couverture qui coûte cher pour l’honorer. Alors ma grand-mère n’avait que ça comme richesse : elle a dit : bon je vends ça pour que mon fils aille de l’autre côté de la frontière parce qu’il ne va pas vivre dans cette misère des travaux forcés des Portugais et tout ça là. Mangwana, c’est « il faut faire avec », c’est la fatalité. Voilà.
Avec le recul, c’est un nom qui te prédestinait à la vie que tu as menée ?
Oh… Je n’en étais pas conscient à l’époque, mais ce qui arrive dans la famille, ça compte. Ma grand-mère a commencé à aller en profondeur dans les explications. Quand mon papa a quitté l’Angola, il était déjà orphelin de son papa qui était un grand chef coutumier et un grand chasseur. Ma grand-mère était la première femme de mon grand-père, c’est elle qui commandait dans la cour alors elle pouvait pas manger des légumes, elle ne mangeait que la viande parce que c’était la femme du chef, c’était la privilégiée. Un jour, alors qu’il s’était passé deux semaines sans que mon grand-père ne rapporte grand-chose de la chasse, ma grand-mère a commencé à éplucher des légumes.
Elle dit :
– Ah je commence à souffrir, on dirait que je ne suis pas la femme d’un chasseur.
Le monde est terrible, alors mon grand-père dit :
– Kumba qu’est-ce que tu dis ?
– Je parle seulement de mon alimentation, ça fait quatre ou cinq jours que je suis vraiment dans ces herbes-là, mais bon…j’accepte...
– Attends je vais te montrer !
C’était vers 15h30, 16h : mon grand-père prend son fusil, descend à la rivière, remonte dans la forêt et regarde dans les arbres, et là, il voit un macaque…
Alors il pointe son fusil sur lui, et le macaque dit : « Ah vraiment tu veux m’abattre à cause de ta femme qui réclame de la viande ? Moi aussi j’ai de la famille comme toi, il faut pas faire ça mon ami ». Alors il paraît que mon grand-père s’est affaissé, il a pris sommeil et quand il s’est réveillé, il faisait déjà nuit. Il est rentré directement dormir et le matin il appelle ma grand-mère, et dit : « Écoute Koumba, jusqu’à ma mort je veux pas que mes petits-fils, les fils de mes petits fils puissent manger le singe. »
Je ne sais pas pourquoi ma grand-mère a raconté ça et peut-être que mon grand-père était fatigué, qu’il a rêvé cette scène peut-être que c’est vrai aussi, mais ça, c’est par rapport à la chasse. Il y a d’autres histoires de chasse assez incroyables qui circulent dans ma famille. Moi je ne crois pas aux miracles, mais c’est des trucs qui m’ont été racontés, que j’ai vécus voilà (rires)…Il y a toujours aussi le côté mystère de la vie.
Et ces histoires de famille, certaines t’ont inspiré des chansons…
Ah oui, ah oui. Par exemple sur les trucs que les Portugais avaient fait subir au cadet de mon papa (voir épisode 1): c’est de là que m’est venue l’idée de la chanson « Tio Antonio » (oncle Antoine). Parce que j’ai vu d’autres histoires : je me souviens quand j’étais encore au village, un jour pendant la saison sèche, les gens de la famille avaient acheté de viande de bœuf, et une grande tête de buffle qu’ils ont commencé à dépecer. Moi je demande à ma grand-mère :
– Mamie mais qui se marie ici ?
– Non non y a pas de mariage, nous sommes en train de fêter justement ton oncle, le plus vieux de vos « papas » qui est revenu il y a deux mois de déportation. Tu vois, ton cousin Agostinho avec qui tu joues souvent, lui il est né Sao Tomé, il est venu avec votre oncle. Sa sœur est restée là-bas parce que sa maman n’a pas voulu suivre votre oncle, donc ils se sont entendus pour que votre maman reste avec la fille et que votre oncle ramène le garçon ici : ton cousin Agostinho. Pourquoi est-ce qu’on l’a envoyé à Sao Tomé ? Il s’était battu avec l’un des contremaîtres des plantations, ceux qui commandent quoi.
Alors ce blanc là est arrivé un jour, il a dit à mon oncle :
– Écoute, tu n’avances pas assez rapidement.
Mon oncle a répondu :
– Chef, le grand chef me connaît, j’ai jamais failli ici, j’ai toujours nettoyé mes deux cents plants de caféïers : laisse-moi me reposer et je vais continuer.
Le Portugais était énervé, il lui a donné des coups de bâton dans le dos. Comme tu sais, les gens chétifs n’aiment pas être énervés : mon oncle a mis le blanc par terre, il lui a fait bouffer le sable ! C’était un sacrilège de frapper sur un blanc alors quand on l’a pris, on l’a battu à mort, et après, quand les plaies se sont résorbées, on l’a déporté à Sao Tomé parce que c’était un mauvais exemple, les autres pouvaient le suivre. Donc il a fait là-bas 24 ans de déportation.
Après, il a été libéré pour revenir chez lui. (Il chante « Tio Antonio » et rit).
Dans les travaux dans une Plantation
Qui appartenait à un colon
Oncle Antoine était embauché
Sous un soleil brûlant de MUCABA
Il reçut un bâton au dos
Le chef des travaux prétendait qu’il était trop lent
Et cette chanson, dans tous les festivals, aux Etats-Unis, en Angleterre, on me demande de réserver ça ! A cause de ce message là. C’est la chanson avec laquelle allaient se battre les Angolais et les Mozambicains. D’ailleurs un jour alors qu’on jouait dans un festival à Bâton Rouge, aux Etats-Unis, une des organisatrices du concert est venue nous voir pendant qu’on jouait pour nous dire : « mais Sam il y a un problème là-bas, il y a des gens qui sont en train de se disputer : les Mozambicains disent que tu es mozambicain et les Angolais disent que tu es angolais ». En vérité, cette chanson réunit toute l’Afrique lusophone.
Et c’est magique.