Après son nouveau duo avec Franco, Sam fait un tabac au Cameroun. Après l’Afrique centrale et l’Afrique de l’ouest, il s’attaque au reste du continent. Cap sur le Mozambique ! Épisode 7.
Au milieu des années 80, tu te lances sur de nouveaux territoires : Afrique de l’est, Afrique australe, et même Mozambique, où tu enregistres le bien nommé « Canta Mozambique ». Tu peux nous raconter cette aventure ?
J’étais encore une fois à l’hôtel Memling (Kinshasa, ndlr) et je vois l’ambassadeur du Congo au Mozambique, il me dit « mais Sam, tu sabotes le Zaïre maintenant ? moi j’ai envoyé des télex ». Quelques temps avant, il avait envoyé un télex pour m’inviter à jouer au Mozambique pour des cérémonies officielles mais le télex ne m’était pas parvenu. Je saurai plus tard que des gens aux Affaires étrangères l’avaient intercepté et avaient été voir Papa Wemba pour lui proposer, en échange d’argent, de le brancher sur ce plan. Ils ont eu le culot de dire « on a appelé Sam Mangwana mais lui, il a fui le Congo, il a saboté le pays, c’est toi qui pars ». Il leur dit : « ah non, c’est le grand frère qui était invité là-bas et en plus il est lusophone ». Alors l’ambassadeur a attendu la réponse, la réponse n’arrivait toujours pas, et les mêmes personnes au ministère lui ont dit que Sam Mangwana était rentré à Abidjan. Voilà donc l’ambassadeur qui descend sur Kinshasa, il me voit dans le hall de l’hôtel et il voit bien que je ne suis pas au courant. Il dit : « bon, il faut que tu viennes au Mozambique. Le Président m’a dit qu’il veut te voir pour animer des festivités, c’est important. Débrouille toi pour venir jusque là-bas ». L’ambassadeur repart et moi n’ayant plus de fonds je vais à la Direction de la Jeunesse du MPR (le parti de Mobutu) dans une grande résidence qu’ils avaient saisie, bref je suis allé là-bas mais ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas d’argent et que je pouvais, avec l’invitation du Mozambique, aller demander à la Primature. J’arrive là-bas, mais le Premier Ministre a pris la décision que toute dépense de la République était gelée. Plus personne ne peut dépenser un sou sans son autorisation et d’ailleurs il est en voyage. Et l’ambassadeur qui m’envoie un télex : alors Sam ? Je lui dis « Excellence, ici, les portes sont bloquées ». Il a dit « Sam, tu es un musicien connu, tu payes avec ton argent tu seras remboursé ici ». Et là je réserve un billet rapidement jusqu’en Côte d’Ivoire. Je prends l’argent, je reviens sur le Congo, je paye le billet, je prépare les musiciens, on répète… On m’a dit « tu descends sur Lubumbashi, tu prends l’autobus jusqu’à Lusaka (capitale de la Zambie, ndlr) et l’avion qui viendra de Luanda, ne le rate pas », sinon je suis cuit ici. On arrive à Lubumbashi (à 1600 km de Kinshasa), jusqu’à la frontière et là on prend le bus, jusqu’à Ndola (ville zambienne toute proche de la frontière congolaise, ndlr). On dort à Ndola, puis on prend le car pour Lusaka, où l’avion devait passer à 14H30. A l’aéroport, l’avion était déjà là, et le commandant qui demandait après nous : « mais les musiciens ne sont pas encore venus ? Ils sont où ? Ok rentrez ». En arrivant à Maputo, il y avait sur le tarmac le secrétaire général de la Jeunesse mozambicaine, le délégué de la Culture et tout le tralala, le maire de la ville, qui nous attendaient avec des fleurs.
Comme des chefs d’Etat
Et le lendemain, une réception chez madame Machel qui était ministre de la Culture (et première dame du Mozambique, ndlr). Elle nous a reçus là-bas pour nous souhaiter la bienvenue, en disant « nous on aime bien la jeunesse congolaise, le Zaïre a beaucoup fait pour l’indépendance du Mozambique… etc. » sans savoir que j’étais aussi angolais (rires).
48 heures plus tard devait se tenir le spectacle au stade de Maputo, alors on nous amène pour faire le son : c’était la première fois que je voyais un château, une sono comme ça… ultra moderne. Le Mozambique l’avait commandée sous la responsabilité du fils d’Edouardo Mondlane (premier président du Frelimo, le front de libération du Mozambique, ndlr). Le show commençait à 15h, on vient nous prendre et arrivé là-bas tout le stade est plein, la pelouse pleine, ça devait faire plus de 80 000 personnes, même plus, et c’était la première fois que je voyais un public discipliné comme ça, c’était pas comme à Kinshasa non non non, dès l’entrée, c’était discipliné ! Alors là on fait le concert, tout s’est bien passé mais au moment de partir on nous a dit de ne pas sortir : c’était la cohue, un mouvement de foule, les gens se piétinaient pour sortir. Le soir, on vient m’annoncer que neuf personnes sont mortes dans la bousculade : quand même il faut qu’on aille à l’hôpital, encourager les blessés et tout ça là. Dans le public ce soir-là, une dame a même été évacuée pour accoucher. L’enfant s’appelle Samuel Mangwana mais je ne l’ai jamais vu. Le bébé est né dans cette foule là.
Il y a des photos de ce fameux concert avec quelques coupures de presse mozambicaine, c’était en 1983.
Alors, après ça, le FRELIMO a organisé un gala. C’est une surprise qu’on avait faite au Président : une chanson composée pour l’occasion. Après, un monsieur du protocole est venu nous dire nous dire « répétez la chanson le président veut l’entendre » » et le Président s’est levé avec sa tenue militaire, il m’a pris le micro et c’est lui qui faisait les solos, nous on faisait le chœur, c’était aussi un grand animateur… c’est dommage que j’aie perdu toutes les photos.
C’était dans le stade ?
Oui. Et j’ai chanté une autre chanson inspirée par la campagne de retour aux champs, pour réinstaller les gens dans les campagnes après la guerre civile. Car après le premier concert, madame Machel avait dit : « bon il faut faire une surprise à Mangwana, il ne sait pas qu’il y a des Mangwana ici à 25km dans une ville qui s’appelle Maracuene, là où on danse le marabenta ». Le secrétaire général de la Culture m’a dit « voilà grand frère, on va te ramener chez toi donc le maire de la ville, le gouverneur de la ville vont te recevoir en tant que fils de cette ville là et donc fais semblant, accepte tous les honneurs. » Alors un matin, quand il y avait encore des attaques contre le FRELIMO, on nous montrait des attaques et les bombardements de l’Afrique du Sud mais le chemin jusqu’à Marracuene était sécurisé. J’étais reçu par le gouverneur à un dîner, ils ont organisé le soir une grande rencontre alors le gouverneur m’a expliqué : « ta venue ici va être la réconciliation d’une histoire qui date d’il y a longtemps parce que la famille Mangwana avait immigré ici du Zimbabwe, et comme tout étranger ils étaient des bons à tout faire, ils étaient dans tous les métiers alors les communautés locales avaient commencé à jalouser les étrangers qui venaient du Zimbabwe, le clan Mangwana… alors ils se sont entretués, jusqu’à maintenant, tous les Mangwana se cachent. Nous voulons effacer tous ces trucs entre le clan Mangwana et les autochtones d’ici alors pour nous, comme tu es Mangwana, nous allons te présenter au chef coutumier d’ici, vous allez trôner ensemble pour célébrer la réconciliation, tu es le chef Mangwana ». Et ils ont mis un autre chef du clan, celui des autochtones de la ville et on a fumé le calumet de la paix devant tout le monde et ils m’ont remis les clés de la ville, pour moi au Mozambique, ma ville c’est Marracuene, à 25 km de Maputo.
C’est cette ville dont tu parles dans la chanson « Vamos para o campo ! »
Oui, et comme il y avait cette campagne de sensibilisation des populations qui devaient revenir s’installer dans les campagnes, j’en ai profité – c’est ça l’opportunisme d’un artiste- pour créer cette chanson « Marracuene, dançar a marabenta » (« Vamos para o campo », ndlr). Donc on a joué ça dans le gala et le président a dit : « avant que ce type quitte Maputo, il doit enregistrer ces deux chansons. » On est parti à la radio le matin du vol retour pour enregistrer. Ils m’ont donné la copie de la bande, c’est resté là, ils m’ont dit mais pour les droits qu’est-ce qu’on va faire ? Parce qu’on va imprimer des disques en Afrique du Sud, en Afrique australe, je donne ça à la jeunesse mozambicaine. Donc vous vendez sur l’Afrique australe et moi je prends l’international.
Donc avec cet intermède mozambicain où tout le monde a compris que tu étais lusophone et angolais.
Les gens ont entendu mon portugais rafistolé… l’ambassadeur le savait mais il pouvait pas dire que Sam était angolais, puisque je représentais la jeunesse zaïroise qui faisait honneur à la jeunesse mozambicaine et tout ça la…
Tes chansons ont marché fort dans toute l’Afrique de l’Est aussi (Kenya, Tanzanie, Ouganda) et aussi en Zambie… il n’y a pas beaucoup d’artistes qui comme toi ont expérimenté autant d’endroits, avec des productions que tu as distribuées localement, en chantant aussi bien en lingala, swahili, portugais, français…
Au Cameroun aussi j’avais chanté en douala, parce que quand nous sommes allés là-bas en tournée, à notre arrivée à l’aéroport, le promoteur me dit : « Sam tu vas être surpris de ce qui t’attend dehors ». Je sors : il y avait plus de 200 taxis pour accompagner notre cortège et on nous avait mis sur des Jeep Suzuki, Suzuki en a profité pour faire sa promotion. Alors, ces 200 voitures nous ont accompagnés… c’était dans le contrat : tu dois faire le tour de la ville pour que les gens sachent que vraiment tu es là, que ce n’est pas des bobards qu’on raconte. Il fallait faire ça en vrai quoi, parce qu’il n’y avait pas de télévision ! Avant de quitter le Cameroun, il fallait que je fasse une chanson, pour remercier le public de son accueil. J’ai écrit les paroles, j’ai fait traduire les paroles en vrai douala et c’est une chanson qui a tourné jusqu’au Zimbabwe, en Afrique du Sud… là-bas j’ai demandé : « mais vous comprenez le douala ? » « On ne comprend pas mais on sent qu’il y a un message dedans. »