Dans son surprenant premier album Kuru, le musicien italien Alberto Brutti s’inspire des rituels tribaux pour composer sept pièces de jazz moderne épique, profondément imbibées de bass music. PAM vous propose d’écouter le remix de Guedra Guedra en avant-première en lisant cet entretien.
Karu veut dire « chaos » en Swahili. C’est ce qui se passe lorsqu’une éducation musicale classique se heurte au cerveau effervescent d’un musicien aussi pointilleux qu’ouvert d’esprit. Nourri par ce thème et entouré de trois autres musiciens chevronnés, Alberto Brutti crée un point de rencontre où convergent ses passions pour les cultures tribales, le jazz, l’électro et le hip-hop. A la fois sensible au trip-hop de Portishead et au instrus brillantes de J Dilla, le multi-instrumentiste a développé en parallèle un sixième sens dans les domaines du free-jazz et de l’improvisation, qu’il met ici en exergue en se glissant dans la peau du chef d’orchestre.
Dans ce premier essai convaincant, ce spécialiste de la contrebasse extériorise ses années passées au conservatoire sous la forme de morceaux comme « Upya », délicieux premier single qui donne une idée de son univers à la fois syncopé et épuré. Dense et immersif, l’EP surprend à chacun de ses nombreux virages, entre l’abstract hip-hop incisif de « Root » que l’on croirait emprunté à Flying Lotus, le saxophone vivace du jouissif « Selva » et le jazz-hop poétique de « Zaliwa », avant de donner matière à danser avec une autre version de « Upya » personnalisée par Guedra Guedra. Ce dernier nous parle de cette expérience avec ses propres mots : « j’aime l’approche de la construction, cette transe tribale caractérisée par une superposition de paysages jazzy et de rythmes enveloppés. Je voulais faire entrer ce morceau dans l’espace dancefloor sans détourner l’original. Je m’approprie les samples tout en restant fidèle aux thèmes que sont la polyrythmie, les pratiques rituelles et la transe. »
Quelles sont les principales influences qui vous lient en tant que musiciens ?
Nous sommes des musiciens aux influences très différentes, mais heureusement, nous réussissons à trouver un terrain d’entente lorsque nous entrons en studio d’enregistrement. Par exemple, Andrea Di Nicolantonio joue de la guitare comme personne. Il émule les sons du synthétiseur pour créer des environnements sonores uniques. Mario D’Alfonso est un saxophoniste incroyable avec des influences afrobeat, mais avec cette capacité de jouer des sons jazz et soul en même temps. Il possède une puissance sonore effrayante, à tel point qu’il est obligé de changer ses anches régulièrement. Enfin Cristiano Amici est le batteur, avec qui j’ai une relation quasi télépathique. On se connaît depuis des années et je pense que je n’ai jamais été aussi bien avec personne d’autre, surtout pour son style et sa façon d’aborder la batterie, plus unique que rare.
Zaliwa, Kuru, Upya … Que signifient les titres des morceaux ? Dans quelles cultures tribales puisez-vous votre inspiration ?
Zaliwa signifie « naissance », tandis qu’Upya signifie « reconstruire », en Swahili. Ce sont des rituels dont je me suis inspirés pour créer ma musique et ma façon de composer, et tout est parti de la signification tribale inhérente à Kuru. Kuru est une maladie qui, dans certaines régions de Nouvelle-Guinée, est personnifiée par la figure d’un démon qui prend possession des personnes, les rendant schizophrènes et, dans des cas extrêmes, cannibales. La seule façon d’accompagner le patient dans sa guérison est de danser autour de lui. J’ai essayé de créer mon propre rituel dans la composition des sons comme un mantra, de donner vie à tout ce que je voulais dire et à ce que j’ai toujours eu du mal à exprimer.
Quel est ton rôle au sein du groupe et comment travaillez-vous ensemble ? As-tu déjà tout en tête avant de commencer à répéter ?
Je n’ai pas de routine de travail particulière concernant la composition de mes pièces, mon instrument principal est la contrebasse et je crée presque tout à partir d’elle. J’ai quelques idées, qui peuvent être des mélodies ou des grooves, je les fais enregistrer par des musiciens qui improvisent de longues minutes. Puis je mets les sessions dans Ableton et, à l’aide de samplers, je crée de nouveaux samples que je rejoue moi-même, pour générer quelque chose de totalement différent. Par exemple, le riff initial de « Root » est composé de plusieurs couches de saxophone. En live, nous essayons de recréer le style de l’album, sans utiliser de samples, afin de créer quelque chose de plus acoustique et plus joué.
Pourquoi avoir choisi Guedra Guedra pour le seul remix de cet EP ?
Je pense que Guedra Guedra est un artiste incroyable, son EP Son of Sun m’a laissé sans voix. Sa façon de mélanger la musique ethnique avec la bass music et le footwork a définitivement donné une valeur ajoutée à Kuru ! Je voudrais terminer en remerciant Guedra Guedra et On the Corner records, ainsi que tous les musiciens pour leur contribution à cet EP.
L’EP sortira le 1er octobre 2020 sur Beat Machine Records. Précommandez-le ici.