Cette semaine, et comme chaque été, on part en Jamaïque prendre une bonne dose de reggae. Et cette semaine, j’ai un invité de choix, un spécialiste de cette musique : Blundetto ! Je ne sais pas pour vous, mais la musique m’a été aidé à tenir le coup et garder le moral pendant ces différents confinements. Et je me suis notamment replongé avec grand bonheur dans mes bacs de reggae. Cette musique a soigné mon âme et mes oreilles. J’ai notamment réécouté toute la discographie de l’artiste qui m’a fait découvrir (comme pour beaucoup) cette musique : Bob Marley. Et hasard du calendrier ou coïncidence céleste, quelques semaines après, on fêtait l’anniversaire de sa mort. Je vous recommande d’ailleurs l’écoute de l’excellente émission que Rebecca Manzoni lui a consacré dans Pop N’ Co sur France inter. Ce qui m’a encore frappé lors de ces commémorations c’est l’universalité et la modernité de sa musique.
The Wailers – Catch a Fire (Island) (1973)
L’album qui a popularisé le reggae à travers le monde, grâce au talent de ses trois leaders, mais aussi du producteur / fondateur de Island, Chris Blackwell. Le groupe s’appelle encore à l’époque « The Wailers » et regroupe 3 chanteurs qui feront ensuite tous des carrières solos : Bob Marley, Bunny Wailer et Peter Tosh. Formé 10 ans plus tôt, le trio vocal « Wailing wailers » fait d’abord du ska avant de faire évoluer leur son vers ce qu’on appellera le Reggae. Issus des ghettos les plus durs de Kingston, ils vont aussi rapidement teinter leurs paroles de revendication sociale, de culture rastafari et d’aspiration à un monde meilleur. On retrouve déjà plusieurs « classics » du répertoire de Bob Marley : « Stir it up », « Concrete Jungle », « Slave Driver », « Kinky Reggae » et les harmonies vocales des trois chanteurs font des merveilles. Et évidemment, le son « reggae » est là, basse / batterie bien en avant, le tempo ralenti, et le skank de guitare si spécifique à cette musique.
Mais la force de cet album est justement que le son a été « internationalisé ». En effet, l’album a été enregistré en Jamaïque, mais a ensuite été mixé à Londres, au studio Island sous l’égide de Blackwell, qui a cherché à trouver un son plus accessible au public occidental, plus produit avec moins de basses, et plus d’aigües. Et j’ai découvert récemment qu’il a demandé à un guitariste du Muscle Shoal, qui enregistrait au studio d’à côté, de venir faire des solos de guitare sur plusieurs titres, pour parler au public « rock ». On peut d’ailleurs entendre les différences de mix entre le « Jamaïcain » et le « Londonien » sur l’édition Deluxe publiée en double CD il y a quelques années. La différence est frappante.
Pour finir, qui dit « Grand album » dit souvent aussi « grande pochette » et là on est servi. Pour illustrer le titre de l’album, les graphistes Rob Dyer et Bob Weiner ont eu l’idée de faire un vinyle représentant un briquet Zippo, avec packaging adéquat. Autant vous dire que cette édition originale est devenue collector! J’ai trouvé la mienne dans la collection de feu Bernard Schu, l’homme qui animait pendant des années le « Hit des clubs » sur RTL et qui a été un DJ emblématique français des années 70 et 80.
J’ai choisi ce premier album parce qu’il est emblématique, mais le deuxième LP Burnin’ ou les albums qui suivent sont tout aussi bons.
Don Carlos – Just a passing glance (RAS) (1984)
Une pure sucrerie Reggae Roots avec la voix d’or de Don Carlos, de belles mélodies, une superbe production. On plane dans le bonheur sur cet album. Normal, il est sponsorisé par Air Jamaica. Don Carlos a commencé avec un autre grand trio vocal jamaïcain : Black Uhru, qu’il a ensuite quitté pour mener une prolifique carrière solo qui le mènera même, à l’orée des années 2000 à des collaborations avec Groundation. Pour cet album enregistré au studio Tuff Gong de Bob Marley à Kingston, on y retrouve plusieurs membres des Wailers : Carlton Barrett, Aston Barret, mais aussi Sly Dunbar et même Augustus Pablo au piano (et pas au mélodica).
J’ai découvert Don Carlos par hasard sur le net avec son merveilleux titre « Mr Sun », à partir de là, j’ai creusé sa discographie pour tomber sur cet album et quelques autres à posséder en vinyle. Comme quoi une collection de disques est toujours en perpétuelle croissance !
Hugh Mundell – Mundell (Greensleeves) (1982)
On reste dans le reggae roots avec le jeune prodige jamaïcain de la fin des 70’s : Hugh Mundell. Malheureusement assassiné en 1983. J’aurais pu choisir son premier album, sorti à l’âge de 16 ans et produit par Augustus Pablo Africa must be free by 1983, mais je trouvais celui-ci plus intéressant par ses expérimentations sonores. On est à la frontière du Reggae roots et de l’album dub audacieux grâce au génie de Scientist (comme sur le titre « Going places »).
Vous savez que le reggae est une affaire de studios et de producteurs, et pour son 4ème album Hugh Mundell a choisi la modernité de la production. L’album est enregistré en Jamaïque à Channel One et mixé par Scientist à King Tubby’s studio, l’antre dub du roi Tubby que Scientist allait quitter peu après. On retrouve sur cet album le chant et des instrumentations roots mais avec une basse ultra produite et une quantité d’effets qui font glisser cet album vers le dub. Un mariage plus que réussi et ça tombe bien, car quand Hugh chante « Jacqueline » ça donne immédiatement envie de l’épouser… sans la connaître.
Si vous ne connaissez pas cet album, j’espère que ça sera pour vous une belle découverte ! Il est intéressant de voir la différence de production avec l’album de Don Carlos sorti pourtant 2 ans plus tard.
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Petite nouveauté, chaque semaine je demande à un artiste ou un proche de Heavenly Sweetness, de parler d’un vinyle qu’il affectionne. Cette semaine, j’ai la joie d’accueillir le beau Max aka Blundetto himself.
Ken Boothe – Who Gets Your Love ? (Trojan) (1979)
Cet album sorti en 1979 a une valeur toute particulière à mes yeux, et à mes oreilles surtout. Tout d’abord bien sûr parce que Ken Boothe, la plus grande voix Soul des West Indies, est au sommet de son art à la fin des années 70. Il a connu le succès des charts à plusieurs reprises, notamment en 74 avec « Everything I Own » puis plus tard avec « Crying Over You ». Mais une fois passée cette marche parfois glissante, ses productions resteront impeccablement exigeantes, et sa voix gagnera en « patine » et en « velours ». Mr Rocksteady sait s’entourer des meilleurs : sur ce « Who Gets your Love? » produit par Phil Pratt (+ un titre par Bunny Wailer) on retrouve la rythmique imparable de Sly & Robbie, les piliers de The Revolutionaries, que le grand public connaît parfois sans le savoir, pour avoir accompagné Serge Gainsbourg dans ses aventures jamaïcaines.
Une équipe de tueurs donc, au service de chansons sublimes, parfois des reprises (« Who Gets Your Love? » ou « African Lady » de Marley) ou des morceaux de Boothe lui-même, notamment cette version épurée et tranchante de Artibella. Trois titres par face, parfois courts (trop?), mais aussi des DJ version avec Dub et MC (soit un voyage de près de 10 minutes par exemple pour le titre éponyme).
Cet album est également cher à mes yeux pour des raisons plus personnelles : le titre « You’re No Good » produit par Bunny Lee, avec sa rythmique dansante et son clavinet entêtant, est un classique pour Jérôme « Blackjoy » Caron (l’autre moitié de Blundetto) et moi. Nous avons pas mal devisé autour de ce morceau, affalés dans un canapé ou même sur les rares dance-floors que nous avons tenté d’ambiancer.
Enfin, j’adore cet album parce qu’il est passé totalement sous les radars du numérique. Vous ne le trouverez pas sur les sites de streaming, ni dans son intégralité sur le web en général. La seule façon de l’apprécier est donc de se le procurer en vinyle ! Dans ma collection de disques, ceux qui ont le plus de valeur pour moi ne sont pas forcément les plus cotés, mais ceux qui ont une histoire, ceux que j’ai désiré, attendu, puis que j’ai réussi à dénicher ou qu’on m’a offert. J’ai une copie de ce TRLS 164, Import UK, depuis que l’homme qui m’a invité à écrire ici ces quelques lignes, l’homme qui fait exister Blundetto depuis une dizaine d’années grâce à son label Heavenly Sweetness, me l’a offert après une de ses innombrables sessions de diggin’ .
Merci Francky, merci Ken Boothe !