Bercé par la musique congolaise à travers les CD et cassettes qu’écoutaient ses parents, Arma Jackson a vite baigné dans le hip-hop : « J’ai connu la culture hip-hop à travers mon grand frère qui dansait, il écoutait beaucoup de cassettes comme Mafia K’ 1 Fry. Et dans le quartier ça dansait, breakait… donc naturellement, je me suis mis à rapper. J’avais l’impression de faire comme tout le monde et que toute la planète était hip-hop. J’écoutais beaucoup de rap français : Disiz La Peste, Booba etc. Et après, un peu d’américain : 50 Cent, Eminem… J’écoutais surtout ce qu’on me donnait et ce que mes grands frères écoutaient. »
La curiosité comme professeur
Déjà passionné, mais sans s’en rendre compte, c’est en cours de musique qu’Arma Jackson développe son goût pour l’écriture : « Au collège on suivait un peu nulle part, mais en musique on écoutait même pas les sons qu’on devait chanter. Alors un jour, la prof nous a dit de ramener des paroles d’artistes qu’on aime pour les chanter en classe. Je l’ai prise au sérieux et j’ai commencé à ramener des textes de Diam’s, Sinik, Mafia K’ 1 Fry… Et il y a plein de textes de rappeurs hardcores, comme Alpha 5.20, Despo Rutti, etc. qu’on trouvait pas sur internet. Donc j’écoutais les sons, je les retranscrivais sur papier et ça m’a donné l’envie d’écrire mes propres textes. »
Puis c’est à la MJC de Malley, à Lausanne, qu’Arma Jackson rejoint les Boys Thugs et obtient son blaze : « A la MJC, un gars m’a recruté dans un groupe de rap, et il m’a demandé mon nom pour me présenter aux autres. J’ai dit “’Armafricaine”’. Il m’a demandé de répéter, puis il a dit : “les gars, je vous présente Arma”. Du coup tout le monde m’a appelé Arma et c’est resté. » Curieux, c’est là qu’il apprend à s’enregistrer et s’initie au beatmaking : « On était une dizaine dans le groupe, mais il y avait qu’un seul mec qui faisait des prods. Il montait sur un ordi au grenier de la MJC et on attendait qu’il termine. J’ai commencé à monter, le regarder faire des prods, mais il avait même pas le temps de m’expliquer. Alors quand il partait, je restais sur l’ordi et j’essayais de faire des prods. »
En dehors des circuits académiques et sans matériel, Arma Jackson parvient à se former en autodidacte : « Où je pouvais prendre, j’allais prendre. C’était en mode “crève la dalle” : Un pote avait un clavier sur son armoire et je venais souvent chez lui pour chiller. Un jour je lui ai pris son clavier pour essayer deux trois trucs. Et à chaque fois que je revenais chez lui, j’en jouais. Alors je lui ai demandé de le prendre quelques jours. Il me l’a laissé, mais je ne lui ai jamais ramené [rires]. Et ce même pote avait une guitare électrique que je voulais essayer. Il craignait que je ne lui ramène pas, mais j’ai insisté. Il me l’a descendue, j’ai essayé de la régler, mais j’ai cassé une corde. Alors il m’a engueulé en m’ordonnant de la prendre chez moi pour la réparer. Et… je l’ai jamais ramenée. Ça vient aussi du fait qu’ils avaient ça dans leur cave et qu’ils ne les utilisaient jamais. »
Home made Homeboy
En parallèle, Arma Jackson commence à s’intéresser à d’autres sonorités, notamment celles de la pop, en recherchant les musiques des films qui passaient à la télé : « ColdPlay est devenu mon groupe préféré et je me suis rendu compte que j’aimais tellement de choses, au-delà du hip-hop. Quand on est en jeune, on fonctionne avec des codes et si tu ne les appliques pas on te dit : “qu’est-ce que tu fais, ça c’est pas hip-hop, c’est pas du rap, c’est pas gang, etc.” Donc j’ai quitté cette intention d’avoir des codes, j’ai commencé à écouter plein de trucs, à m’éloigner du rap et de là m’est venue l’envie de chanter. Le truc que j’aime le plus faire aujourd’hui, c’est de mélanger les genres et de ne pas rester dans des cases. »
En témoigne la richesse de la mosaïque musicale créée dans sa chambre de 9 m◊ devenue un home studio, où il mélange les styles comme un (al) chimiste, et créé des remèdes sonores avec un rap/R’n’B infusé à la house, la trap, la pop et même la rumba.
Fort d’une créativité débordante et doté d’une voix suave capable d’irrésistibles trémolos, Arma Jackson donne vie à ses idées grâce à trois ans de formation d’assistant audio au Gymnase — l’équivalent du lycée dans le canton de Vaud. Une indépendance qui a plu à Philo de Bomaye Musik : « Il a eu un coup de foudre pour le côté homemade que j’avais. Il m’a dit “Je veux que tu fasses tout Arma. Je te dis pas ça pour ne pas payer, s’il faut que je te donne les 30 000 euros du studio, je te les envoie. Mais je veux que tu produises et garde ton univers. Si t’as envie de continuer de faire de la musique dans ta chambre, fais-la dans ta chambre, si t’as envie de venir au studio, viens au studio”. Ça m’a beaucoup apporté d’avoir la liberté de faire ce que je fais, tout en ayant des gens qui peuvent nourrir tes idées et les financer », se souvient Arma.
Trouver son Idéal
S’il a appris à travailler seul par nécessité, Arma Jackson a fini par y trouver un certain confort. Mais après deux EP composés, enregistrés et mixés seul, il fait le choix de l’ouverture en signant son album sur le même label que Lilly Wood & The Pricks : « Le guitariste qui m’accompagne sur scène a joué sur “Scientifique”, le compositeur Clément Libes, qui travaille avec Big Flo & Oli, m’a aidé à terminer le morceau “Sainte Journée”. Et Pierre Guimard, le producteur de Lilly Wood & The Pricks m’a aidé à terminer “Flash”. Au départ je suis arrivé avec des maquettes, pensant que mon album était prêt. Mais en parlant et travaillant avec des gens, j’ai compris qu’il y avait moyen de faire un truc plus abouti, moins éparpillé. J’ai pas mal bossé avec Hiro, le binôme de Lorenzo. Il fait les clips, les visuels, la DA, c’est un mec super créatif. Il a même trouvé le nom de l’album et il m’a aidé à me canaliser, car je partais dans tous les sens. J’ai enlevé beaucoup de morceaux sur cet album et j’ai passé beaucoup de temps à retravailler des morceaux et me définir en tant qu’artiste. »
« Tout ce que j’ai descend du ciel
Arma Jackson – « Scientifique »
Une maman qui m’aime et qui se tuerait pour ses fils
J’préfère tout plaquer perdre mon oseille
Plutôt que de laisser gens que j’aime »
Avec Idéal, Arma Jackson aborde des thèmes simples empreints de sincérité. Le dépassement de soi et la passion se retrouvent dans ses textes, avec une bonne dose d’égo-trip et de lâcher-prise. Il explique bosser sans relâche et attendre son heure dans « Scientifique », raconte la déception amoureuse dans « Comme d’habitude » et dans « Flash », exprime ses doutes dans « Boussole »… Même lorsque les thèmes ne reflètent pas la joie de vivre, les compositions la transmettent. À côté de l’afro et de la trap/R’n’B, Arma Jackson laisse de plus en plus de place à la house façon Kaytranada, qu’on retrouve sur près de la moitié des douze titres du projet : « Le DJ qui m’accompagnait sur scène, quand je faisais les premières parties de Keblack, dans le train, il écoutait sa musique à lui : Kaytranada, Goldlink, The Internet, Soulection… C’était des artistes que je ne connaissais pas du tout et il me faisait jamais écouter en mode “laisse tomber, c’est de la vraie musique ça”. À un moment donné, je lui ai dit “mec viens chez moi, viens on fait du son, fais-moi écouter tes trucs”. Il m’a fait écouter et je me suis pris une claque. Il y a grave des clubs alternatifs à Lausanne, avec des soirées hybrides entre la néo-soul, la trap, hip-hop, house. Ce côté hybride, je ne l’avais vu nulle part. Et t’as des gens de tous horizons qui vont dans ce genre de club. La première fois que je suis allé en rave aussi, j’avais du sang dans mes larmes, je me suis confronté à une autre réalité. Les gens viennent vraiment pour la musique, pour vivre une expérience, pas pour voir comment t’es habillé. Ça m’a fasciné et je pense que mon rapport à la house s’est fait là et je suis tombé amoureux. »
Arma Jackson ne saurait vivre autrement qu’en faisant ce qu’il aime, et le résultat ne laisse personne indifférent. En février 2020, Omar Sy l’invitait à jouer sur le plateau de Vivement D manche, où le « scientifique », adepte du mélange des genres, distilla une fois encore l’un des remèdes dont il a le secret. Avec ses morceaux entraînants, doux et solaires, il a même été sacré meilleur musicien romand aux Swiss Music Awards 2021. Autant dire que le Dr. Jackson a de quoi s’ouvrir les portes du succès, avec une belle clé de sol au bout des doigts.
Ideal, disponible sur toutes les plateformes.
Écoutez Arma Jackson dans notre playlist Songs of the Week sur Spotify et Deezer.