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Ousmane Sembène, le griot du grand écran
Ousmane Sembène

Ousmane Sembène, le griot du grand écran

PAM salue la mémoire du grand cinéaste sénégalais. Plan panoramique sur sa vie, et zoom serré sur son utilisation de la musique à l’écran.

Ousmane Sembène, surnommé affectueusement « Le Vieux », aura laissé onze films et neuf œuvres de romans. En guise de kora ou de balafon, instruments choisis par ses pairs griots, Sembène choisira la caméra pour répondre à cet appel que connaissent bien les historiens-conteurs d’histoire en musique, tous membres de la même confrérie ouest-africaine. Celui qui n’a jamais été à l’aise avec le titre de « père du cinéma africain » n’en reste pas moins une référence absolue pour tous ceux et celles qui lui ont succédé.

Né au premier jour de l’année 1923 à Ziguinchor capitale de la Casamance au Sénégal, Sembène est le fils d’un pêcheur et neveu d’un érudit de l’Islam, mais ce sont ses deux grands-mères qui auront le plus d’influence sur le jeune garçon et l’inspireront à célébrer le courage et l’héroïsme quotidien des femmes africaines dans ses films et œuvres littéraires. La légende veut que Sembène fut expulsé de l’école coloniale à l’âge de 13 ans pour avoir rendu les coups au professeur qui venait de le battre. Alors renvoyé à Dakar dans sa famille paternelle, il enchaînera les petits boulots tout en écumant les salles de cinéma.

La production cinématographique de l’époque était encore sous le coup – et sous le joug – du décret Laval de 1934 qui visait à censurer tout contenu considéré comme anticolonial. Signé par Pierre Laval, alors « ministre des Colonies », le texte législatif interdisait aux peuples colonisés à se filmer eux-mêmes, les réduisant au seul rôle de sujets observés sous l’oeil de documentaristes européens. 

Avance rapide jusqu’en 1944 quand Sembène répond à la circonscription obligatoire et sert au Niger et en France au cours de la Seconde Guerre mondiale. C’est alors le début de sa période en dehors du Sénégal pendant laquelle il travaillera également comme docker au port de Marseilles – une expérience documentée en 1956 dans son premier roman, une semi-autobiographie intitulée Le Docker noir – avant de rentrer au pays lors de l’indépendance de sa terre natale en 1960. 

L’occasion pour nous d’appuyer sur « Pause » et d’écouter les propos de la spécialiste du cinéma africain, Dr. Estrella Sendra Fernandez, sur les conséquences du décret Laval et son abrogation en 1960 : « Là où les films précédents auraient contribué à renforcer le pouvoir colonial ainsi que l’image faussée de l’Afrique et du peuple africain passée au filtre de leur propre aliénation, ceux de Sembène seraient le medium qui allait restaurer la dignité africaine. »

Caméra d’Afrique (Cinéma africain : Filmer contre vents et marées) restauré – Extrait d’Ousmane Sembène

En lieu et place des « images de l’Afrique type Tarzan » de l’époque coloniale, Sembène, fraîchement rentré au bercail, se met en tête de raconter d’authentiques histoires africaines, reconnaissant dans le même geste l’extraordinaire potentiel qu’a le cinéma lorsqu’il s’agit de toucher le plus grand nombre. Conscient du haut niveau d’illettrisme que la période coloniale a maintenu et favorisé, Sembène envisage le cinéma comme une « école du soir » et, faisant du 7e art un manifeste à part entière, écrit et dirige en 1963 Borom Sarret, unanimement considéré comme le premier film tourné en Afrique par un cinéaste africain. 

En à peine plus de 18 minutes, ce puissant court-métrage réaliste explore les thèmes du travail et de la ville post-coloniale, réduisant les dialogues à leur strict minimum pour donner le beau rêve à la musique locale.

Courte tranche de vie d’un conducteur de charrette de Dakar, Borom Sarret (« Le charretier »), s’ouvre sur le protagoniste principal quittant son domicile et promettant à son épouse qu’il compte rentrer avec l’argent nécessaire à nourrir leur famille. Au son du xalam (luth ouest-africain, ancÊtre du banjo, et sans doute le plus emblématique des instruments des griots), les spectateurs suivent le travailleur précaire alors qu’il fait monter différents passagers contant leur soucis individuels, des sujets auxquels restent indifférents aussi bien le chauffeur que la ville elle-même.

Lors d’une pause, le charretier est fasciné par un griot qui lui chante les louanges de sa famille, lui offrant ainsi une salvatrice distraction des difficultés du quotidien, tout en le poussant à offrir en échange les maigres recettes de sa matinée de travail. Pour couronner le tout, on lui confisque sa charrette lors d’une course qu’il accepte à contrecoeur et qui le mène dans un quartier riche autrefois habité par les Français, et désormais occupé par la nouvelle bourgeoisie africaine. À la fin de la journée, l’homme rentre chez lui sans un sou.

Sembène enchaînera en 1966 avec La Noire de…, pointant cette fois son objectif sur l’amère expérience d’une femme de ménage quittant le Sénégal pour rejoindre ses employeurs de retour en France. Documentant l’exploitation domestique de Diouna, la protagoniste principale, de Dakar jusqu’à Antibes, Sembène juxtapose le piano jovial qui suggère l’insouciance de la Côte d’Azur, et la kora africaine. Tout aussi subtilement, il utilise le monologue intérieur de Diouna pour « offrir une représentation à travers un objectif africain », comme l’analyse Estrella Sendra Fernandez, remplaçant les habituels sujets mutiques des films coloniaux par « un point de vue intérieur à travers la voix off ».

Mais le film le plus musical de Sembène est sans doute Ceddo, sorti en 1977 et pour lequel il recruta le grand saxophoniste et vibraphoniste camerounais Manu Dibango. Prenant place dans un village qui tient lieu de microcosme de tout le continent africain, le film est le plus pan-africain de toute la filmographie du cinéaste sénégalais, se voulant le résumé de plusieurs siècles d’histoire africaine : une communauté lutte pour préserver sa culture traditionnelle contre les ingérences agressives de l’Islam, de la Chrétienté et de la traite des esclaves.

Mbissine Thérèse Diop as Diouana

Dans une scène d’ouverture dénuée de tout dialogue, on observe la cadence d’un village qui a perdu ses aises, tandis qu’une certaine idée du drame et de l’intranquillité infuse dans les images grâce à la musique de Dibango, un motif mélodique qui se répète durant tout le film. Avec ce portrait d’une Afrique précoloniale, Ceddo est un film qui, une fois de plus, protagonise un griot qui erre à travers la pellicule, s’accompagnant de son xalam.

Enfin, dans ce qui sera son dernier témoignage cinématographique – Mooladé, sorti en 1984 – le Vieux recrutera une équipe panafricaine, venant du Burkina Faso, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Bénin et du Mali !

Observant et s’opposant à la pratique de la mutilation génitale féminine, le film se veut une nouvelle fois être la célébration de la force des femmes africaines : ce groupe d’actrices extraordinaires, la plupart n’ayant jamais joué devant une caméra, évolue au son de l’infatigable et indétrônable défenseuse des droits des femmes, la malienne Oumou Sangaré. Dans une scène particulièrement touchante, une pile de postes de radios confisqués aux femmes du village est érigée et enflammée devant la mosquée. Alors que du bûcher s’élève une colonne de fumée noire, les radios continuent de diffuser « Ah Ndiya », chanson de Sangaré qui revêt alors les oripeaux symboliques de l’échec des vieux du village, dans leur tentative de réduire les femmes au silence.

Encore une fois, la musique populaire issue du quotidien contribue à la narration, en particulier le son de la flûte fula, utilisée comme le motif principal du film qui, à la demande expresse de Sembène, sera doublé dans six langages africains, et montré dans les campagnes rurales d’Afrique de l’Ouest, où les discussions animées qui suivront chacune des séances seront souvent plus longues que le film lui-même.

Le 9 juin 2007, Ousmane Sembène rejoindra ses ancêtres mais ses films, romans et nombreuses histoires lui ont survécu. Dès son premier essai cinématographique réalisé avec une caméra 16 mm d’occasion et des pellicules dénichées dans un surplus et envoyées par des camarades depuis l’Europe, ce grand esprit pan-africain aura planté les graines de l’industrie du cinéma africain. Sans le Vieux, sans doute le continent n’aurait-il jamais vu naître le FESPACO – Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou  – ou Nollywood.

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