Au répertoire d’Alpha Blondy, « Dji » est peut-être moins connu que « Brigadier Sabari » ou « Cocody Rock », mais n’en est pas moins un classique. Retour sur l’histoire et le sens d’un titre, raconté par Soro Solo.
La Terre, le Feu, le Vent, et l’Eau, quatre éléments vitaux pour l’homme, identifiés par les religions africaines et asiatiques tout autant que par les philosophes grecs. De tous ceux là, l’eau est le seul auquel les Nations Unies ont dédié une journée (c’était le 22 mars). C’est à l’eau, «Dji » en dioula (nom commun qu’on donne au malinké en Côte d’Ivoire), qu’Alpha Blondy dédie cette méditation : sombre et lumineuse, vitale et mortelle, comme l’eau.
Je suis né à Korhogo, chef lieu de département du grand nord, quatrième grande ville de Côte-d’Ivoire où Seydou Koné, celui qui deviendra Alpha Blondy, fit son lycée. Avec ses copains dont Price (guitare solo) et Pop Touré (Batteur), ils jouent les apprentis musiciens à La Voûte, l’unique club de la ville. Alpha se fait alors appeler Jagger, en référence aux Rolling Stones. Leur aventure s’estompera quand Seydou Koné s’envole pour les Etats-Unis poursuivre son cursus scolaire au grand désespoir de l’un de ses meilleurs amis, le nommé Salia. A son retour au pays à la fin des années 70, n’étant pas du tout guéri du virus de la musique, Seydou Koné fonce à Korhogo et tente de remonter son groupe avec ses vieux potes des années lycéennes, du moins ceux encore présents dans le coin. Tous répondent présent. Avant de finaliser le projet, Seydou descend régler quelques affaires à Abidjan. À son retour, on lui annonce le décès de Salia, noyé pendant une partie de pêche dans le fleuve Bandama, à 30 kilomètres de Korhogo.
Dans l’ouvrage de Yacouba Konaté Alpha Blondy Reggae et Société, il explique qu’il a passé une nuit entière de méditations sur la tombe de Salia avant de couvrir à pieds les 30km menant au lieu de la disparition de son ami pour une autre nuit de veille et de prières. C’est pendant cette deuxième nuit de méditations au bord du fleuve Bandama qu’Alpha composa la chanson «Dji» qu’il n’éditera qu’en 1986 sur Jérusalem, son quatrième album.
« Dji ô dji / eau, ô eau
Ika Salia bla mini? où as-tu mis Salia
Nika dimi ikôrô dji si je mets en colère contre toi, eau
N’téssé ka ban hila / je ne peux (pourtant) pas te rejeter
Meni imi dji / j’ai besoins de toi pour me désaltérer
Mi imi, me n’ko /j’ai besoins de toi pour me laver
Ika salia bla mini? mais où as-tu donc mis Salia? «
Le «Dji» d’Alpha Blondy, complainte funèbre accompagnée à l’orgue, pose aussi la problématique globale de l’eau, source de vie mais aussi de mort. La moitié de la population mondiale n’a pas accès à l’eau potable et des millions de personnes meurent chaque année de maladies liées à l’eau, ce qui fait de l’eau insalubre une des premières causes de mortalité au monde. Ajoutons à ça les catastrophes naturelles tels que le tsunami qui a ravagé la Côte sud de Java en 2004 ou les inondations de la Nouvelle-Orléans de 2011, on ne pourra que méditer avec Alpha Blondy sur l’ambivalence de l’eau.