Le journaliste qui depuis plus de trente ans rendait compte du dynamisme et de la diversité des musiques africaines s’est éteint hier à Paris, des suites du Covid-19. Hommage à ce passionné du continent.
Crédit photo : Simon Veyssiere
On ne verra plus sa silhouette familière arpenter les rues d’Anoumabo, toujours prête à s’arrêter pour discuter avec tous, qui plus est quand il s’agissait de parler musique.
Jean-Michel Denis est décédé hier 16 mars à Paris, atteint par le satané virus qui se propage dans le monde et qui force chacun, désormais dans de nombreux pays, à rester cloîtré chez lui. Rester enfermé, ce n’était pas le genre du bonhomme qui avait fait de l’Afrique sa seconde maison, et singulièrement la Côte d’Ivoire qu’il connaissait intimement. Son épouse Pélagie en est originaire, et elle n’était sans doute pas pour rien dans cette passion. Et puis la musique bien sûr, car depuis les années 80, il fait partie de ceux qui sont tombés amoureux des musiques du continent, côtoyant — ancienneté oblige — tous les grands noms même quand ils n’en étaient pas encore. D’Alpha Blondy à Angélique Kidjo en passant par Franco, Youssou Ndour, Manu Dibango, Magic System, Fally Ipupa ou les cadors de la naija… La liste est aussi longue que celle des musiciens qui, chez eux ou jusqu’en Europe, ont tenu le haut du pavé. Et c’est souvent en Afrique qu’il partait les rencontrer, s’intéressant au contexte social et politique qui les avait vus grandir. Au reste, ses reportages (RFI, Jeune Afrique, Afrique Magazine, Le Monde, Paris Match) touchaient à bien d’autres sujets que la culture, même si la musique restait son péché mignon.
C’est ainsi qu’il était l’un des fidèles abonnés du FEMUA (le Festival des Musiques Urbaines d’Anoumabo), dont il a couvert dix éditions. A’salfo, leader des Magic System et commissaire général du festival, joint au téléphone, se souvient de lui avec émotion : « c’était quelqu’un de bien, qui faisait partie du FEMUA, il était dans le décor. Les gens ne croyaient à l’arrivée de la presse internationale que quand ils voyaient Jean-Michel Denis ». Le Magicien se souvient aussi de la toute première interview du groupe en France, réalisée par ce bon vivant : « nous étions à Paris, mais il avait demandé à nous voir à Marseille, parce qu’il avait appris que nous étions fans de l’OM. On a fait l’interview en marchant sur la Canebière. » Fidèle en amitié, le journaliste écrira notamment les livrets de deux disques du Magic System.
Son confrère Mory Touré, l’homme de Radio Afrika, rend hommage au « grand frère » qu’il était : « Quand il a quitté Jeune Afrique pour Afrique Magazine, il nous a tous fait piger, nous ses petits frères – on était une quinzaine de jeunes au moins à qui il a mis le pied à l’étrier. Je l’appelais mon “beau” (frère) parce que sa femme est ivoirienne. L’an dernier, au FEMUA, on était ensemble pendant le concert de Roga Roga, au petit matin quand le jour se levait. Il souriait, dansait comme un gamin, et Roga lui a même fait un atalaku en chantant son nom ». Oui, l’ambiance était bien son terrain, au point de nommer sa chronique musicale dans Jeune Afrique « Ambiance Ambiance« , une oreille vers l’histoire, l’autre tournée vers le futur.
Mory Touré résume : « Pour les Congolais, les Camerounais, les Ivoiriens, il a fait beaucoup, il s’est mis au service de beaucoup de gens ». Le 28 février, Jean-Michel Denis était encore en train d’ambiancer à Bercy au concert de Fally Ipupa, qu’il suivait depuis ses débuts en solo. C’est après que sa santé s’est gâtée. Et que le coronavirus l’a emporté. Il avait 70 ans.
Que la terre lui soit légère. Là où il est maintenant, qu’il puisse continuer d’ambiancer avec l’humour et l’esprit libre qui étaient les siens. Amis et collègues, nous lui garderons sa place dans ce petit maquis au bord de la lagune, où la bière fraîche et les paroles chaleureuses nous réunissaient.
NB : une cagnotte a été ouverte pour l’organisation de ses obsèques