Cette semaine dans les disques de l’été, on revient sur le continent africain, tout à l’est, pour aller en Éthiopie et se parler de la formidable série Éthiopiques créée par Francis Falceto, qui permet de redécouvrir l’âge d’or de la musique éthiopienne, mais aussi d’écouter de nouvelles productions. Avant d’aller plus loin, je précise de suite qu’il s’agit un peu d’auto-promotion, car c’est Heavenly Sweetness qui exploite en vinyle ce catalogue, en collaboration avec Buda musique. Mais la richesse de cette musique est tellement folle que ça serait dommage de ne pas en parler ici. J’envie d’ailleurs les lecteurs qui auront la chance de découvrir ces albums pour la première fois, tant la beauté de cette musique m’a subjugué dès sa première écoute. Ces vinyles m’accompagnent depuis de longues années. Merci encore David Jalloux et l’Arome Productions. D’ailleurs on parle bien évidemment des rééditions, car les vinyles originaux sont extrêmement rares et valent de véritables fortunes.
Mulatu Astatké – Ethio Jazz (Amha records) 1974
À tout seigneur, tout honneur ! On commence par l’artiste phare de la musique éthiopienne des années 60 et 70, et qui est toujours en activité. C’est Mulatu qui a inventé (ou au moins, popularisé) l’ethio jazz, ce mélange de musique traditionnelle éthiopienne avec le jazz américain et la musique latine. Après avoir étudié la musique à Londres et aux USA (au prestigieux Berklee College of Music), publié deux albums américains, Mulatu est revenu dans son pays natal pour enregistrer avec les musiciens locaux plusieurs titres et cet album fondamental Ethio Jazz pour le compte du label de Amha Eshèté.
La musique enregistrée sur cet album est assez unique avec des harmonies purement éthiopiennes (qui rappellent la musique orientale) mariées à des arrangements et orchestrations plus jazz voir funk. Le son de cet « ethio jazz », purement instrumental, est très particulier avec des orgues, des pianos, des guitares fuzz, des sonorités modernes pour l’époque et des thèmes de cuivres plus traditionnels avec la participation du saxophoniste Feqadu Amde-Mesqel. Une musique parfaite pour vous faire voyager l’esprit dans des contrées lointaines.
À noter qu’avec les albums de Mulatu, c’est un peu comme les compilations des Beatles, il y a le « bleu » et le « rouge ». En effet, on retrouve 6 titres de Mulatu sur les 10 de la compilation Ethiopian Modern Instrumental Hits sortie en 1972, qu’on peut presque considérer comme un autre album du vibraphoniste. C’est d’ailleurs sur cet album rouge qu’on retrouve un des hits de Mulatu, le fameux « Yégellé Tezeta » , samplé par Nas & Damian Marley sur « As We Enter ».
Mahmoud Ahmed with the Ibex Band – Ere Mela Mela (Kaifa Records) 1975
Sur cet album, on quitte la musique instrumentale de Mulatu pour entendre une des grandes voix du « Swinging Addis » : Mahmoud Ahmed, accompagné de son orchestre, le Ibex Band, dans lequel on retrouve le saxophoniste Feqadu Amde-Mesqel.
Ce qui est incroyable avec ce qu’on appelle la « musique éthiopienne moderne » (des années 70 en fait), c’est que cette folle période de production a seulement duré quelques années. En gros de 1969 jusqu’au « Derg », le coup d’État qui a renversé l’empereur Hailé Sélassié en 1974. Ce sont de jeunes entrepreneurs comme Amha Eshété (malheureusement décédé il y a deux mois) qui ont eu le courage de braver l’interdiction d’enregistrer de la musique en dehors du label d’État et du contrôle des autorités de censure de l’empereur. Face à la qualité de la musique et son succès populaire, l’empereur a laissé se développer une scène et une production musicale éthiopienne moderne, avec l’apparition d’un autre label Kaifa Records, créé par Ali Abdella Kaifa. C’est sur ce label qu’a été publié ce magnifique Ere Mela Mela.
Sur cet album, on retrouve vraiment le meilleur de la musique éthiopienne, de superbes mélodies de cuivres, des grooves hypnotiques et la sublime voix de Mahmoud virevoltant au-dessus. Le début de carrière de Mahmoud Ahmed est assez étonnant, puisqu’ayant fait très peu d’études, il s’est retrouvé manutentionnaire à l’Arizona club, un des bars de nuit d’Addis-Abeba dans lequel jouait un groupe maison. Un soir, le chanteur n’est pas venu et Mahmoud a saisi sa chance en montant sur scène interpréter le répertoire qu’il entendait chaque nuit. Il ne l’a ensuite plus quittée pour démarrer une carrière de chanteur professionnel international.
Girma Bèyènè & Akalé Wubé – Mistakes on Purpose – Éthiopiques 30 (Buda Musique) 2017
Le travail fait par Francis Falceto et Gilles Fruchaux sur la série Éthiopiques a permis depuis la fin des années 90 de redécouvrir la richesse de la production éthiopienne des années 60 et 70. Le succès du film de Jim Jarmusch Broken Flowers en 2005, y a également contribué. Cette musique a inspiré de nombreux musiciens à travers le monde, qui se sont mis à jouer de l’ethio-groove plus ou moins moderne, parfois en collaboration avec les légendes de cette musique comme Mulatu avec les Heliocentrics, Getatchew Mekurya avec The Ex, ou les nouveaux enregistrements de Hailu Mergia…
En France, cette nouvelle vague de grooves éthiopiens a donné naissance, entre autres, à deux groupes passionnants : Arat Kilo et Akalé Wubé. C’est cette dernière formation qui est allée chercher un chanteur éthiopien quelque peu oublié : Girma Bèyènè. Cette rencontre au sommet sous la direction artistique de Francis Falceto aura même le privilège d’être le 30e volume de la série Éthiopiques. Le seul volume composé de musique actuelle, qui ne soit pas une réédition d’enregistrements anciens. Le chanteur, arrangeur, pianiste Girma Bèyènè a été une des figures majeures de l’âge d’or de la musique éthiopienne, mais il n’a bizarrement enregistré que quelques titres. Par contre, il a joué sur de nombreuses sessions, et a arrangé plus de quatre-vingts titres. Malgré son œuvre et sans doute à cause de son exil américain, il a été depuis quelque peu oublié et ce projet avec Akalé Wubé a permis de le remettre sur le devant de la scène et qu’il refasse des concerts à travers le monde. Sur cet album, le groove impeccable de Akalé Wubé se met au service de Girma, pour un hommage à la musique des 70’s, mais avec une approche résolument moderne.
Une véritable réussite artistique et une porte d’entrée idéale à la musique éthiopienne, qu’elle soit passée, présente ou future. Petite anecdote, on retrouve dans Akalé Wubé, le trompettiste Paul Bouclier et le batteur David Georgelet, que vous pouvez retrouver au côté de Florian Pellissier dans le formidable groupe de Jazz funk maison, Cotonete.
La playlist sur Deezer et Spotify est à jour, bonne écoute et à la semaine prochaine pour plus d’aventures musicales.