Le légendaire groupe de Gao, né il y a près de quarante ans, publie un disque enregistré au cours d’une fête populaire, un moment de bonheur dans une région qui a trop souffert.
Au Mali, le légendaire Super Onze de Gao est de retour avec Les Morceaux de Nzorfou Kondey, un nouvel enregistrement live dont le blues brut aux motifs hypnotiques nous catapulte immédiatement dans les replis du fleuve Niger, aux portes du désert du Sahara. Si la région est connue pour avoir nourri le son d’artistes au destin international comme Ali Farka Touré, Tinariwen, Baba Salah ou encore Tamikrest, le Super Onze de Gao demeure toujours plutôt confidentiel hors des frontières du Mali et pourtant, le renom de cet orchestre-collectif circule dans le pays depuis bientôt quarante ans.
“Super Onze de Gao jouait un seul rythme, mais quel rythme !” dira le guitariste britannique Justin Adams lorsqu’il le découvre au Festival au Désert d’Essakane en 2001. Ce rythme, c’est le takamba (littéralement,“les mains”), la signature de ce groupe de musiciens songhays et touaregs depuis sa fondation au début des années 80. Griots et forgerons, les membres du Super Onze de Gao jouent le takamba sur la rockstar des luths basse, ici le n’goni (aussi appelé tehardent ou kurbu) de Yehia Mballa Samake dont les distorsions répondent aux syncopes implacables d’Aliou Saloum Yattara et Cola Touré aux calebasses. Après avoir enregistré deux disques et plusieurs cassettes — plus résistantes au sable — puis fait un détour par l’électronique avec le producteur hollandais Horst Timmers dont le projet Future Takamba permettait au groupe une petite percée européenne, le Super Onze de Gao revient à l’essence de sa musique avec Les Morceaux de Nzorfou Kondey, marchant ainsi dans les pas d’Haziz Touré, Asaalya Samake et Agita Moussa Maiga, les fondateurs de l’ensemble.
À l’instar de ces dix nouveaux morceaux qui ont été enregistrés à l’occasion d’une fête organisée par Nzorfou Kondey, un collectif de femmes de Gao, le Super Onze fait partie intégrante des saisons de la communauté, se produisant essentiellement dans le cadre de célébrations populaires, mariages, circoncisions, naissances, récoltes. Alors pour amplifier son groove non-dilué, le groupe électrise parfois ses n’goni et utilise ici encore un mégaphone hors-d’âge, augmentant le son d’un relief savoureux, à mille lieux des productions polies par un passage en studio. La fête pénètre effectivement la musique du Super Onze de Gao et chacun des morceaux, dédié à l’un des convives, augmente l’ambiance de nombreuses interjections et d’un superbe dialogue entre les instruments.
Ne reste qu’à fermer les yeux pour imaginer la scène : les musiciens jouent le takamba assis à même le sol, ngoni coincé sous le genou, tandis que danseurs et danseuses exécutent une chorégraphie minimaliste avec leurs mains “en l’honneur des femmes, réunies dans leurs beaux habits de fête avec leur tête tressée” raconte Yehia Mballa Samake depuis Gao. “C’était une très belle journée pour nous tous, car en ce moment on ne travaille plus, on est pauvre, il n’y pas toujours de l’eau ou de l’électricité.” Un moment suspendu, un peu de légèreté dans un contexte sécuritaire extrêmement tendu, à l’heure où le théâtre des opérations qui opposent les militaires français et maliens aux forces djihadistes se concentre sur la région et affecte, depuis 2012, la vie quotidienne comme les structures traditionnelles et culturelles de la population civile. Le regretté Festival au Désert, qui a révélé le Super Onze de Gao, a ainsi été contraint de muter en Caravane de la Paix, un festival itinérant hors des zones de conflits.
Heureusement pour le takamba, le Super Onze de Gao veille sur cette tradition vieille comme le désert et peut compter sur des musiciens tels qu’Habib Koité, Bassekou Kouyaté ou Songhoy Blues pour faire voyager ce rythme magnétique.