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Idrissa Soumaoro : souvenirs de l’Eclipse
Idrissa Soumaoro a créé le cursus musical au sein de l’Institut des jeunes aveugles, où il enseigna de 1978 à 1996. © Celine Legay

Idrissa Soumaoro : souvenirs de l’Eclipse

Il y a plus de 40 ans, une formation musicale inédite voyait le jour au Mali : un orchestre composé de non-voyants, élèves à l’Institut des jeunes aveugles de Bamako. Parmi ses membres, Amadou & Mariam. Un 33 tours et bien des années plus tard, leur héritage résonne toujours.

Rien n’a changé, ou presque. Ce même soleil de plomb qui baigne la cour, ces salles de classe où sont dispensées les leçons du jour et ces murs recouverts çà et là d’écriture braille. Nous voici à l’Institut National des Aveugles du Mali, l’un des lieux les plus imposants du quartier Faladié, à Bamako. Près de 300 élèves non-voyants étudient ici, de la maternelle au lycée, sous le régime de l’internat.

« J’ai énormément de bons souvenirs dans ces lieux. ». Dans la salle de musique, Idrissa Soumaoro tapote un djembé au milieu de divers autres instruments. Malgré quelques réaménagements, la pièce n’a quasiment pas bougé. Un bond de près de 40 ans en arrière pour le célèbre auteur-compositeur et interprète malien à qui l’on doit notamment la chanson “Petit Imprudent” qu’adapta Zao pour en faire son “Ancien Combattant”. 

L’artiste était professeur de musique ici, de 1978 à 1996. De ces précieuses années encore gravées dans sa mémoire est née la formation de l’Orchestre Eclipse, dirigé par ses soins, où œuvraient Amadou & Mariam, alors inconnus. Une formation musicale inédite dans le pays, composée d’élèves aveugles formés à l’institut, accompagnés ponctuellement par des musiciens voyants. « Nous avions justement choisi ce nom Eclipse pour exprimer cette conjonction entre lumière et obscurité », éclaire Idrissa Soumaoro. Dans sa main, une photographie blanchie et usée par le temps. On y distingue Amadou (Bagayoko) à la guitare, et lui au clavier. « C’était lors d’un concert au Carrefour des jeunes. Amadou était très mince en ce temps-là. Un vrai piquet », sourit-il.

Souvenir d’un concert au Carrefour des Jeunes, à la fin des années 70. A gauche à la guitare : Amadou Bagayoko, et à droite au clavier : Idrissa Soumahoro. © Celine Legay.
Sensibiliser à la cause

En cette fin des années 70, l’orchestre enchaîne les représentations. Dans les lieux phares de la vie culturelle bamakoise, mais également en région : Kayes, Sikasso, etc. « Ces concerts ont largement contribué à la scolarisation de nombreux enfants aveugles grâce à l’effet de sensibilisation que cela a eu auprès des familles concernées », explique Hadji Barry, président de l’Union malienne des aveugles, association en charge de la gestion de l’institut. « Il y avait beaucoup de préjugés autour du handicap à l’époque. Au sein des familles, cela pouvait être perçu comme une malédiction. Voir des aveugles chanter et jouer de la musique était donc une véritable source d’inspiration. On profitait de ces rendez-vous pour parler de l’école. L’orchestre a fait office de vitrine de tout ce que nous faisions ici. »

Le groupe accouche d’un vinyle 33 tours : Idrissa Soumaoro et l’Eclipse de l’IJA. (Institut des jeunes aveugles, l’ancien nom de l’établissement). Forte de six titres enregistrés à l’ORTM (Office de radiodiffusion télévision du Mali), l’œuvre inspirera bien des années plus tard le directeur artistique d’Amadou & Mariam, Marc-Antoine Moreau.
Début des années 2010, une tournée inédite de concerts dans le noir en hommage à l’album originel se joue sur différentes scènes à travers le monde. Entouré d’une flopée de guests dont l’ancien professeur, le couple reprend entre autres le morceau Fama Allah, l’un des succès de l’orchestre d’antan.

© Céline Legay
« Cet endroit a toujours baigné dans la musique »

Cette tournée témoigne du lien indéfectible qu’entretiennent Amadou & Mariam avec l’établissement bamakois. C’est d’ailleurs ici que le couple se rencontre au début des années 70. À l’époque, l’institut ne compte qu’une poignée d’élèves mais témoigne déjà de sa fibre artistique. « Cet endroit a toujours baigné dans la musique, et ce dès la création de l’établissement en 1973 », raconte Idrissa Soumaoro. « En ce temps-là, Mariam chantait avec ses sœurs, accompagnée des autres élèves. C’était du pur amusement, rien de formel. »

Le duo donne à l’Institut sa première impulsion musicale, qui se formalise en 1978 avec l’arrivée d’Idrissa Soumaoro. Le compositeur connaît bien Amadou Bagayoko. Tous deux font partie du groupe des Ambassadeurs du Motel, formation phare de l’époque qui comptait parmi ses membres le célèbre Salif Keïta. En 1978, à la faveur d’une purge dans les premiers cercles du pouvoir, le parrain des Ambassadeurs est arrêté et la plupart de ses membres préfèrent prendre le large et la route d’Abidjan. « Moi et Amadou sommes restés au Mali », rapporte Idrissa Soumaoro. « Je lui ai fait alors part de mon envie de venir ici nous occuper de nos frères et sœurs non-voyants. L’idée de départ était d’informer, de sensibiliser et d’éduquer à travers la musique. » Une cause qui a toujours trouvé écho dans l’esprit du musicien. « Mon oncle était aveugle », raconte-t-il. « Depuis ma naissance, je sais donc que l’absence de vision n’implique pas que la vie s’arrête. Lui-même était commerçant et exerçait son activité normalement, malgré son handicap. »

Son projet pour l’Institut des jeunes aveugles séduit d’emblée la direction de l’époque. L’artiste y développe alors l’apprentissage musical sous toutes ses formes et s’entoure d’autres formateurs, dont Amadou Bagayoko. Plusieurs heures par semaine, les élèves bénéficient de cours théoriques et pratiques, auxquels s’ajoutent la lecture et l’écriture de la musique à destination des non-voyants. Une proposition rendue possible par l’obtention, par Idrissa Soumaoro, d’un diplôme de musicologie braille de l’Université anglaise de Birmingham. 

Dans la main d’Idrissa Soumahoro, une coupure précieusement conservée du journal l’Essor datant de 1981. © Celine Legay.
Un enrichissement

« Cette expérience de professeur m’a fortement marqué tant sur le plan humain que professionnel », affirme le musicien. « Cela m’a enrichi dans le sens où j’ai eu l’opportunité d’accompagner des chansons éloignées de mes propres propositions. J’ai beaucoup donné, mais j’ai aussi beaucoup reçu. C’est là l’essence même de la musique. En ce temps-là on me disait : Soumaoro, pourquoi tu vas perdre ton temps avec les aveugles ? Certains ne peuvent pas comprendre. C’est dans ma nature d’aider les autres au point de m’oublier. L’argent ne m’a jamais intéressé, sinon je n’aurais pas choisi d’enseigner. »

L’orchestre Eclipse lui, se transforme en « Miriya » (« La pensée », en bambara) en 1981. « Nous étions passés par la radio et avions demandé l’avis du public afin de trouver un nouveau nom pour le groupe. Cette proposition a tout de suite retenu notre attention. C’est faire passer le message que même si la vue n’est plus, l’esprit reste. »

Depuis lors, la formation « Miriya » de l’institut a traversé les décennies et perdure encore aujourd’hui. Près d’une vingtaine d’élèves de l’Institut national des aveugles du Mali poursuivent la tradition en faisant vibrer cette même salle de musique dans laquelle tout a commencé. L’œuvre de l’orchestre Eclipse d’autrefois pourrait bien renaître de ses cendres. Selon Idrissa Soumaoro, une réédition de l’album originel serait actuellement en projet.

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