Plutôt discret jusqu’ici, le duo belgo-rwandais a décidé de mettre les bouchées doubles depuis l’été dernier, avec un passage remarqué dans les studios Colors et un nouvel EP plaqué or. PAM a discuté avec Alban et Yvan Murenzi, victimes de leur talent.
En se laissant bercer par la délicatesse d’une chanson telle que « Goldress », on imagine que YellowStraps est la nouvelle sensation neo-soul issue de la côte Est des Etats-Unis, venue prêter main forte à Gallant et autres Devin Morrison qui excellent dans le genre. Loin de là. Nés au Rwanda, Alban et Yvan sont passés par l’Ouganda avant de poser leurs valises à Braine l’Alleud, en Belgique. Auteurs d’une poignée de sorties en pointillés depuis 2015, les frangins se sentent soudainement pousser des ailes et affirment leur savoir-faire prometteur sur un nouvel EP qui transpire l’hédonisme à fines gouttes.
Une ascension inopinée
Au téléphone, les jeunes belges nous répondent d’une voix posée, avec la même vibe que dégage leur musique. Ayant tout juste passé le quart de siècle, ils nous avouent « faire de la musique ensemble depuis toujours », l’entité YellowStraps en tant que telle existant dans l’ombre depuis déjà sept ans. « J’ai commencé à la guitare, raconte Alban, puis Yvan a commencé à chanter. On faisait des reprises, juste pour le kif. Continuer à écrire et produire ensemble s’est fait naturellement. » La première lanière de guitare que s’achète Alban est jaune. Pas la plus jolie, mais c’est la seule couleur qui reste. Son frère pour être raccord s’achète la même. Ce qui n’était qu’une vanne deviendra leur nom de groupe, les YellowStraps (“les lanières jaunes”).
Même s’ils ont passé une petite partie de leur enfance en Afrique, c’est pourtant à la musique anglo-saxonne qu’écoutaient leurs parents qu’ils ont été biberonnés, de Michael Jackson à Norah Jones. « Pendant longtemps, on a fait de la musique en tant que passion sans jamais vraiment se poser de question », complète Yvan, prédestiné à devenir graphiste alors que son petit frère visait une carrière de comptable, si la musique n’était venue y mettre son grain de sel.
Premier déclic en 2013 : à l’aube de la vingtaine, les jeunes musiciens sortent de leur œuf et collaborent spontanément avec un ami du quartier, qui n’était autre que le producteur Le Motel. Sans y avoir été préparés, ils raflent un trophée l’année suivante aux Red Bull Elektropedia Awards qui, visionnaires, les comptent au nombre des artistes les plus prometteurs. Cinq ans plus tard, la prophétie prend forme : « petit à petit, les retours que l’on a eus nous ont motivés à pousser le projet encore plus loin » confirme humblement Yvan. L’étincelle qui les mettra véritablement sur les rails résulte de l’invitation de DJ LeFtO dans son émission, sur les ondes de Studio Brussel. Yvan se souvient de ce coup de pouce inattendu, à un moment où des artistes comme Roméo Elvis ou L’Or du Commun commençaient à se faire connaître : « c’est le premier qui nous a vraiment mis en avant, à un moment où on ne s’y attendait pas du tout. »La musique du duo s’étend alors de leur quartier à la Belgique entière, jusqu’à cette année 2019, où leur label Majestic Casual jeta un pavé dans la mare en contactant leurs confrères berlinois de l’incontournable Colors Studio. Le temps d’un simple échange de mails, le studio leur propose une date. Leur chanson « Rose » se retrouve alors exposée aux yeux et aux oreilles du monde, frôlant aujourd’hui le million de vues : « on était fan de la chaîne Colors depuis le début, dit Alban, encore surpris par cette invitation inespérée. On était trop heureux, c’était absurde de pouvoir le faire vraiment ! Ça nous a donné beaucoup de visibilité et de crédibilité, internationalement. C’était un rêve ! »
Douceur et volupté
Déjà référence mondiale sur la scène électronique, la Belgique observe depuis quelques années une explosion en chaîne de talents émergents sur la scène rap francophone. En marge de ce genre en vogue, YellowStraps parvient néanmoins à se frayer un chemin dans un pays qui ne juge pas la musique par son potentiel commercial. Yvan salue l’ouverture d’esprit qui y règne : « A Bruxelles et en Belgique, il y a la place pour se permettre d’innover et de faire des choses pas forcément conventionnelles, c’est un truc qu’on a toujours ressenti ici. » Le nouveau 8 titres de YellowStraps est donc une véritable carte de visite qui met en exergue un style que l’on pourrait ranger dans la case neo-soul, même s’ils y exploitent la sensualité du R’n’B, l’onirisme de l’electronica, l’efficacité de la pop et l’insolence de la rue.
Dès lors, leurs chansons trouveront aisément leur public, qu’il s’agisse de la délicatesse de « Goldress » (produit par leur camarade hollandais VYNK), le groove organique de « She goes » ou les confessions UK garage de « Take over », entre autres petites merveilles soulful. Au centre de cette orgie musicale, Yvan chante ses interrogations sur les relations amoureuses et leur complexité, un thème récurrent lorsque l’on parle d’esprit soul. « C’est un questionnement qui m’a toujours fasciné, confesse-t-il, je ne comprends toujours pas ! On parle d’un truc universel qui touche les gens, dans l’idée de rendre notre projet plus impactant. Au début, tu es un peu dans ta bulle en te disant que les relations, ça craint. Tu es très fermé, tu vis pour toi. » Ayant fait le deuil de ce constat, il creuse alors ces questions existentielles (et les galères qui vont avec) en échangeant son ressenti avec ses proches, pour offrir encore plus de crédibilité à ses textes : « c’est devenu une espèce de thérapie, continue-t-il. J’ai parfois l’impression d’écrire une thèse sur les relations pour essayer d’arriver à une conclusion et de me dire enfin, ça y est j’ai compris, il n’y a plus de secret pour moi ! »
L’univers visuel qui accompagne l’EP vient également adoucir les contours, à travers leurs différents clips ou sur la photo de la pochette, qui les met en scène sous un drap de soie doré : « en triant les photos, celle-ci est ressortie comme une évidence, raconte Yvan. On touche aux thématiques de l’EP, avec le morceau ‘Gorgeous’ par exemple, qui parle de la quête absolue pour trouver l’âme sœur. Le drap représente le côté voluptueux, sensuel et féminin de la chose. Le doré, c’est l’image du truc précieux et inatteignable. » Leurs visages cachés sont une référence au peintre surréaliste belge René Magritte qui, à travers sa série de tableaux intitulée « Les Amants » utilise un drap blanc comme le symbole d’une relation dans laquelle les protagonistes ne se dévoileraient jamais totalement…
Prochaine étape : les frérots devraient entamer une tournée européenne en formule duo ou avec trois musiciens selon les dates, et Alban offre d’ores et déjà un teasing des sorties à venir avant de conclure cet entretien : « idéalement, on sortira un album en 2021 et à plus court terme, un nouvel EP fin 2020. Il y aura principalement des collaborations avec des artistes qui chantent ou qui rappent en français et en anglais. On peut même s’attendre à du YellowStraps en français ! »
Goldress est disponible depuis le 7 février 2020, commandez-le ici.