La France découvre enfin la chanteuse brésilienne Xenia França, reine d’un R&B enrichi de ses racines panafricaines. Sorti cet automne en France, Xenia, son premier album, révèle une artiste majeure.
Xenia França a bâti sa jeune carrière sur une conviction : servir de modèle aux générations suivantes. Plus altruiste qu’égotique, cette volonté trouve sa source dans ses aspirations d’adolescente, quand elle admirait la reporter Gloria Maria sur Globo TV, en qui elle voyait un modèle de femme noire et afro-brésilienne comme elle. Pour être totalement libre, Xenia a choisi d’être artiste et d’honorer sa passion pour la musique noire américaine dont l’influence sur son premier album est criante. Xenia França aime le R&B, les États-Unis et bien d’autres choses. Mais encore ?
Xenia França s’est fait la voix avec Alafia, groupe qu’elle contribue à créer au début des années 2010. Elle y injecte son ADN, que même l’origine de son nom ne dément pas : Xenia, du grec xenos, « l’étranger, celui qui reçoit et donne l’hospitalité ». Multiethnique, la formation promeut des valeurs d’ouverture que l’on retrouve dans le premier album de la chanteuse, dont une attention particulière portée à la négritude. De manière générale, Alafia aborde les paroles comme le vecteur de messages à faire passer et Xenia França se réjouit de constater que leur public est toujours attentif à ce qu’ils disent. Chez elle, la musique apparaît comme un combat. Après avoir multiplié avec Alafia les expériences sur scène et sur disque depuis 2013, la chanteuse s’est enfin lancée en solo avec la sortie de Xenia en 2018, au Brésil, et fin 2019 en France.
Un autel aux orishas, un autre à Mickael Jackson
Guidée par l’exemple : Xenia chante la voie à suivre dans l’album qui porte son nom. Désireuse de se faire accepter comme une femme noire et d’être un exemple de réussite pour les plus jeunes générations, elle s’attache à faire résonner la culture afro-brésilienne et, plus largement, la diaspora afro à travers les thématiques de ses chansons ou ses références musicales. On y entend, notamment par le recours aux percussions, des influences musicales afro-cubaines (« Pra que me chamas ») pour lesquelles elle dit avoir un « véritable histoire d’amour ». Car si elle est issue d’une famille catholique, Xenia França s’est détachée de la religion chrétienne avant de s’intéresser au candomblé — religion afro-brésilienne — par l’entremise de plusieurs musiciens d’Alafia, et s’est nourrie de cette culture en se rendant, par exemple, au temple de Terreiro do Bogum lors de ses séjours à Salvador de Bahia. Par le prisme musical, la chanteuse se découvre un intérêt pour la spiritualité. Ce qu’elle raconte alors dans Xenia relève davantage de sa propre histoire que de slogans politiques : Xenia França milite par sensibilité. Elle prône la douceur et la subjectivité de l’amour comme de puissants facteurs de changement.
Aussi, Xenia n’est pas un appel à révolution. L’album réunit les facettes qui ont façonné l’univers et la personnalité de la chanteuse. Car la musique est un vecteur identitaire. Si Alafia a tourné son regard vers la diaspora afro d’Amérique latine — ses racines —, alors qu’elle était jeune adulte, son adolescence s’inscrit sous le signe d’une passion pour la musique pop afro-américaine, sur laquelle trône son adoration de Michael Jackson, à qui elle a dédié un autel de disques et de goodies à l’adolescence. Elle cite également Whitney Houston, Stevie Wonder ou James Brown, mais n’oublie pas non plus le jazz avec Ella Fitzgerald, Miles Davis ou la jeune contrebassiste Esperanza Spalding.
On entend toutes ces influences dans le premier album de Xenia França, mais surtout les premières. La Brésilienne a pris pour modèle les grands de la pop. Résultat, Xenia est admirablement produit et tout semble avoir été soupesé avec une science du détail et de la perfection : les arrangements révèlent des compositions où chaque élément arrive à propos, s’installe dans un ensemble équilibré et bien rythmé. Ce disque est avant tout un bijou pop, qui se serait nourri des racines de la Great black music d’antan. Autrement dit, le jazz, les musiques afro-brésiliennes et afro-cubaines sont des saveurs qui relèvent un groove très présent dans son R&B. Le son de Xenia est actuel et dessine une great black music contemporaine : mondiale, engagée et sans frontières. Ce que confirme la présence de la chanteuse brésilienne sur l’incontournable chaîne Youtube Colors.
La chaîne, qui manie le culte du son hyper produit et tout en rondeurs, avec l’obsession d’une image léchée où les couleurs vives ne sont jamais tapageuses, va bien à Xenia França. Invitée dans leurs studios berlinois, elle y a chanté « Miragem », composition personnelle — l’une des trois qu’elle signe — très soulful et très représentative de l’album. Même sa reprise de Chico César est en fait un clin d’œil appuyé à Solange : « Respeitem, meus cabelos, brancos » (Respectez mes cheveux, blancs). L’Américaine avait attiré l’attention et les commentaires avec « Don’t touch my hair » en 2016, rappelant les liens forts entre apparence et fierté culturelle dans un rebondissement conquérant après des siècles d’esclavage, d’oppressions et de persécutions.
Militantisme esthétique
La séduction est une arme à double tranchant. Xenia França dénonce l’objectivation du corps noir devenu « symbole sexuel » et valorise le « militantisme esthétique » par lequel la beauté devient un outil comme un autre pour reprendre confiance en soi — l’une des conséquences du racisme étant la haine de soi — et mieux se faire entendre.
Comprenez, Xenia França a été une jeune mannequin noire dans un pays qui s’échine à surreprésenter sa pourtant minoritaire population blanche. Dans ces conditions, la néo-mannequin originaire de Salvador de Bahia a vécu ses débuts à Sao Paulo comme une étrangère pour qui le travail est une denrée rare. Devant l’impossibilité de s’épanouir dans ce métier, Xenia França finira par tout quitter afin d’embrasser un futur dans la musique.
Désormais consciente de sa beauté, l’ancienne mannequin soigne son image et ses clips (avec ceux de Michael Jackson en mémoire), ne manquant jamais d’apparaître dans des tenues étudiées. Xenia devient doucement une égérie en son pays. Nominée aux Latin Grammy Awards en 2018, pour son album ainsi que pour le single « Pra que me chamas ? », elle a multiplié les interviews et fait la une de la version brésilienne de Marie-Claire. La veste qu’elle porte sur la pochette de l’album n’est qu’une allégorie de son tempérament de meneuse : elle renvoie à la fanfare qu’elle dirigeait à l’adolescence et rappelle à Xenia qu’elle doit à la musique d’avoir déployé ses ailes. Avec ce premier album, la chanteuse souhaite montrer à ses auditrices (afro-brésiliennes, en particulier), qu’endosser le costume est une première étape vers l’émancipation.