Après leur premier album Transparent Water, les deux musiciens se sont trouvés sur un ilôt de tranquillité, dans une bulle suspendue entre deux confinements, pour réunir leurs racines, le piano et la kora au-delà des mers, entre Cuba, l’Afrique et un monde nouveau à dessiner… L’album Suba, c’est l’Afrique à leur façon. Avec humilité et respect.
C’est ce voyage magique (avec en guests Jacques Morenlenbaum, Dramane Dembélé, et Gustavo Ovalles), enregistré entre Minorque et Osnabrück en Allemagne, qu’ils nous racontent à deux voix.
Votre album s’appelle Suba, ce qui veut dire la « nouvelle aube » ou le « lendemain » en mandingue. Avez-vous un rituel pour saluer le jour qui se lève ?
Seckou Keita : Chaque matin, je me lève vers 6h00, je regarde le ciel, je fais mes prières, un peu de sport, du yoga, je passe sous la douche et je prends un crayon ou ma kora. Je me lève à l’aube depuis mon enfance. C’était longtemps pour moi l’heure de l’étude.
Le titre de l’album renvoie aux premiers rayons du soleil parce que c’est un moment qui nous inspire beaucoup Omar et moi. Suba pour nous c’est aussi le monde d’après la pandémie, une nouvelle aube dans nos vies, si bouleversées avant qu’on se retrouve pour prier pour plus d’équilibre en faisant ce disque.
Omar Sosa : Seckou est un mec matinal, mon heure de lever à moi dépend de là où je suis. A Cuba, en Afrique ou sur une île, je me lève très tôt ! Là, tu vois vraiment le soleil se lever, en Europe c’est plus gris. Quand je me réveille, je fais du yoga, des exercices, des respirations. J’adore voir l’aube, mais à choisir, je préfère le crépuscule. Au fond, c’est la même énergie. Ca crée un équilibre entre Seckou et moi : il est du lever du jour et moi plutôt du coucher du soleil….
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Seckou Keita : On s’est connu sur scène ! En 2012, on était invités par le batteur Marc Gilmore, et on a complètement improvisé ! Omar c’est « mister on va voir ce qui se passe ! ». Il a joué une note et on était partis. On s’est dit qu’il fallait qu’on travaille ensemble. C’est souvent des paroles en l’air qu’on lance entre musiciens et qu’on ne fait jamais, mais là, on s’est vraiment retrouvés pour enregistrer Transparent Waters … Le disque a commencé dans la cuisine, avec Omar dans les casseroles.
Omar Sosa : Partager un repas avant de faire de la musique c’est primordial. On voit tout de suite comment les racines se croisent et se nourrissent. Souvent, on n’a même pas besoin de se parler. Si tu ne manges pas du Tieboudiène au Sénégal, c’est que tu es au Burundi ! C’est comme l’huile d’olive en Espagne ou en Italie, ou la baguette à Paris : c’est une histoire de tradition ! La création est partie de là. Pour ce nouveau disque, c’était un peu différent car on se connaît mieux….
Comment avez-vous travaillé sur ce second disque ?
Omar Sosa : C’est un peu comme en amour, au début tu es tout fou et ça part ! Là, on a pu y aller plus tranquillement, comme un vieux couple, avec plus de structures parce qu’on connaît nos univers harmoniques. On a parcouru le monde entier en tournée ensemble. Quand on a ce type de connexion, la musique se construit comme une évidence. Cette fois, on a écrit la musique sur papier avant de jouer. D’habitude, je ne réécoute jamais mes disques, mais celui-ci est spécial, je l’écoute ! Comme le dit son titre : c’est un nouveau départ après des mois étranges, avec l’espoir que le monde peut changer positivement. C’est un album optimiste, plein d’amour qui veut faire entendre nos voix intérieures…
Seckou Keita : Quand le monde s’est retrouvé confiné, j’ai appelé Omar et je lui ai dit : c’est le moment de faire un nouveau disque. On a travaillé chacun de notre côté pendant des mois et on s’est retrouvés avec nos enfants sur l’île de Minorque. C’était unique pour nous de travailler en famille, dans la joie, face au soleil et à la mer, en étant à la fois musicien et papa. Il y avait cette spiritualité qui nous lie tous les deux, et qui nous relie à nos traditions. Nos fondations sont les mêmes : l’esprit de nos ancêtres, et on est tous les deux percussionnistes dans l’âme avant d’être joueur de kora ou pianiste. Quand un percussionniste compose sur un instrument mélodique l’approche est différente.
Quand avez-vous eu conscience d’être Africain ?
Omar Sosa : Je me considère comme un afro-cubain mais aujourd’hui, je me sens plus africain que jamais. Ma passion c’est de me connecter aux traditions africaines, c’est si vaste que je n’en connaîtrais qu’un infime pourcentage. J’ai réalisé que j’étais Africain, quand j’ai eu une connexion à mes ancêtres dans une cérémonie de Santeria (rite cubain pour se connecter aux divinités, les orishas, qui sont les mêmes qu’au Nigéria ou au Bénin, et qui veillent à ce que chaque mortel accomplisse le destin qui lui a été destiné à sa naissance, NDA).
Un jour, mon oncle a fait un rêve dans son village, et il m’a dit d’aller voir un certain Francisco Chaveco qui était santero (adepte de la santeria). J’ai réalisé que c’était à deux pâtés de maison de chez moi ! Quand le maître de cérémonie m’a ouvert la porte, il m’a dit : « je t’attendais« . C’était le début de mon initiation, il y a plus de 30 ans. Je suis devenu fils d’Obatala, orisha de la sagesse et de la pureté, ça m’a offert une nouvelle vision, une connexion aux traditions. Et depuis, quoi que je fasse en musique, je creuse mon lien à l’Afrique, même si je me considère aussi comme un Occidental parce que je vis en Europe.
Seckou Keita : En Afrique, on a un respect profond pour les traditions ancestrales, j’ai toujours grandi avec ça en moi. Tout cela est aussi en toi, Omar, sinon tu ne ferais pas ce que tu fais. Tu es même devenu un modèle pour des gens qui, en Afrique même, s’éloignent de nos racines et de nos traditions , dont ton travail nous rapproche.
Omar Sosa : Ahaha, oui, merci ! C’est ma névrose ! (rires) Je ne peux pas cesser d’explorer cet héritage : c’est ma mission ! Quand tu meurs, ce que tu laisses, c’est ce que tu as fait. Nos ancêtres nous disent que nous appartenons tous à un même monde, quelles que soient nos racines. La première fois que je suis allé en Afrique, c’était avec l’armée cubaine en Angola. J’étais dans la fanfare militaire, et je me suis retrouvé en pleine guerre ! Alors si je prône la paix et l’amour c’est parce que je sais combien la guerre, c’est laid !
À l’époque, je n’étais pas initié à la Santeria. On a été bloqués par une panne de voiture, et ainsi on a été les seuls de notre convoi militaire à ne pas être touchés dans une attaque. Quelque part, des esprits veillaient déjà sur moi. Puis, je suis allé au Congo et en Ethiopie avec l’armée cubaine, sans rien connaître de la culture africaine. C’est bien plus tard que je me suis connecté aux ancêtres, et que je suis revenu pour une tout autre musique…
Et toi Seckou, comment as-tu découvert Cuba et la musique cubaine ?
Seckou Keita: La musique cubaine c’est une musique d’allers-retours. Tu entends l’Afrique, mais aussi plein d’autres choses. Cette musique nous est revenue sur le continent, particulièrement au Sénégal où j’ai grandi avec l’immense l’Orchestre Baobab. On ne peut pas parler de musique afrocubaine sans parler d’eux ! C’est une musique vraiment à part, très complexe, mais avec une âme. J’ai grandi en écoutant beaucoup de musiques cubaines, et j’ai étudié toute cette richesse rythmique, les claves etc, mais quand j’ai rencontré Omar c’était une tout autre expérience ! C’est pour ça aussi que notre première rencontre a été aussi joyeuse : on pouvait se répondre. Sur cet album, on évoque nos ancêtres communs, on entend un peu de rumba cubaine mais c’est un mélange. Ni Omar ni moi ne travestissons nos racines, on crée juste un point de rencontre afrocubain, un carrefour minimaliste ! Cet album est différent du premier, Transparent Waters, on a créé une nouvelle dimension : l’espace est très important, le silence y a aussi une place centrale…
Omar Sosa: Il faut qu’on aille jouer à Cuba ! Si tu amènes ta kora là-bas, tu verras l’accueil : les gens vivent vraiment la musique ! Il faut qu’ils découvrent l’approche mélodique sublime de cet instrument, si noble, et je suis sûr que beaucoup vont te dire que ça fait partie de notre culture, que ça nous appartient, même s’ils n’ont jamais vu de kora! L’instrument que l’on joue c’est un peu le prolongement de nos âmes…
Seckou Keita : C’est un rêve pour moi de jouer à Cuba. La première fois que j’ai joué en dehors du Sénégal c’était d’ailleurs avec des Cubains … en Norvège ! Alors le voyage continue, qui sait où il nous mènera ?
Suba de Omar Sosa et Seckou Keita, disponible sur toutes les plateformes.