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The Pan African Music Magazine
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La musique maure, art classique saharien (2/2)
Croquis sur le vif d’Isabel Fiadeiro

La musique maure, art classique saharien (2/2)

Dans ce second volet de notre introduction à la musique maure, PAM s’intéresse à son évolution depuis la colonisation. Malgré de profonds bouleversements, la musique maure s’est adaptée aux influences extérieures. Sans perdre son âme, elle a gagné de nouveaux publics.

L’âge d’or de la musique maure a été remis en cause par la pénétration coloniale au grand désert (fin XIXe siècle). Avec la colonisation, le pouvoir qui protégeait les griots va chuter, ce qui se traduira par une certaine disgrâce de la musique, qui connaîtra des « (r)évolutions » avec la mondialisation et au contact du monde extérieur, notamment à partir de la deuxième moitié du vingtième siècle. Cependant, encore aujourd’hui, les principales régions recoupent les différentes tendances qui traversent les cultures poétiques et musicales du pays.

Des écoles musicales régionales

Dans l’immense galaxie des écoles musicales en Mauritanie ; nous pouvons recenser différents styles, se déclinant en tendances régionales foisonnantes dans la production (et la consommation) de la musique. On distingue une tendance dite d’el-Howd (L’Est du pays) ; une école N’djartou (au Tagant) et une spécificité d’el-Gibla (du Trarza au Brakna).

L’école de l’Est (la région d’el-Howd Echarqi), voisin du Mali, est renommée pour son penchant caractérisé par l’usage prépondérant d’instruments à cordes. La région du Trarza est réputée par le très pointilleux accent mis sur l’élaboration des textes pour le chant. Quant aux sonorités émanant du Tagant, elles se présentent, le plus souvent, comme une voie médiane, alliant, d’une certaine façon, les deux autres tendances.

Les notions d’Azawan (prépondérance instrumentale) et d’Al-Hawl (où l’intensité poétique du chant est puissante) désignent ou qualifient les familles de griots mauritaniens. Ces derniers peuvent être à la fois auteurs, compositeurs, interprètes et/ou instrumentistes. Mais ils sont parfois, simplement, auteurs de la poésie. Leurs textes chantés par d’autres sont transmis de génération en génération, à l’exemple de l’importante famille Ehl Heddar du Trarza. On dit même que « leur tente est la demeure de la poésie ». D’après ses biographes, Mohamed ould Heddar (1815-1886), fondateur de ce lignage,  est « le créateur, dans la poésie maure, de la notion de Lebteyt » (un mode exprimant la nostalgie et la tristesse : joies passées comme l’amour, et l’inéluctable mort, NDLR). L’histoire (sur cinq générations) et l’œuvre poétique de cette famille ont fait l’objet d’un important travail éditorial et de traduction (par les auteurs Abelvetah Alamana et Mick Gewinner), donnant lieu à la publication du livre « Le Lignage » (Ed. Les trois Acacias, 2016). Un extrait de celui-ci est ci-après.

Tant que passant pas trop loin j’aperçois
La mieux aimée si belle assise là
Tout m’est égal. Et quand tout m’est égal…
Alors oui vraiment tout m’est égal.

Tant que toi que j’aime, tu souris
Et que tu me dis ce que tu me dis…
Alors oui vraiment tout m’est égal.  

Mutations, évolutions et mondialisation des sonorités maures

Depuis la pénétration coloniale au Sahara, cette musique a connu des mutations qui vont s’accentuer par la suite. L’aristocratie maure est supplantée par l’administration coloniale. L’Émir (titre dévolu à un souverain sur un territoire donné) est relégué au second plan avec un pouvoir politique effectif amoindri, voire anéanti. Ainsi, l’influence du griot, jadis entretenu par les tribus suzeraines, ira décroissante. Notamment, le recouvrement des redevances annuelles qui faisaient la fortune des seigneurs tribaux (impôts dus par les fractions tribales, en échange d’une protection par une tribu puissante ou pour des accès aux zones de pâturages, etc.) va changer de caisses de destination, de celles de l’Émirat à celles de l’administration coloniale. C’est alors tout l’ancien système saharien qui va sombrer dans ce naufrage. Les anciens seigneurs, protecteurs des griots, sont appauvris, voire marginalisés. Et le griot, contraint de chercher sa pitance, passera moins de temps sur son art et la transmission de celui-ci à sa descendance. Mais il va, malgré tout, se servir de son pouvoir artistique et verbal pour sensibiliser, et tenter de provoquer le sursaut des tribus défaites. Un exemple typique de cette fougue, aux élans poétiques, est romancé dans le succulent livre « Le Griot de l’Emir » (Ed. Elyzad 2014) de l’écrivain mauritanien Beyrouk. Son personnage — un griot dont la tribu est déchue —ne veut pas se résoudre au déclin des siens, et il usera de son talent et de son art (son verbe, sa poésie et le son du luth) pour les enhardir, les pousser au sursaut. On est là, par excellence, dans la fonction même du griot.

Aïcha Mint Abba en concert, croquis sur le vif d’Isabel Fiadeiro
(Guitare électrique vs Tidinit)

Cependant, il faudra attendre les années 50 pour connaître un nouveau souffle. Celui-ci sera promu par les nouveaux médias qui agrandissent l’audience, « même si le cercle des connaisseurs va se rétrécir » écrit l’universitaire mauritanien Ould Bouleïba. Une décennie plus tard, avec la mondialisation, l’art — jadis apanage d’un groupe d’initiés érudits — va se « démocratiser », à l’instar des musiques maghrébines et arabes, sensibles aux influences extérieures. L’apparition de la guitare moderne (tout juste à l’indépendance du pays en 1960) va « reléguer » la Tidinit au second plan, ce qui n’est pas sans bouleverser l’organisation de la musique maure. Dès lors, il y a une altération des sonorités (vocales et instrumentales). D’après ould Bouleïba : « En utilisant la guitare, on ne retrouve plus les fondamentales notions de “blancheur »  et « noirceur », ni même les nuances fines qui existent entre les notes et la ‘’lagu’’ la note de référence qui caractérise le concert musical maure ». Durant les trois décennies qui vont suivre, il y aura une floraison d’artistes-musiciens. On ne parlera plus vraiment de griots, au sens traditionnel du terme, même si une partie de ces derniers est restée attachée au courant traditionnaliste de la musique maure. Notons qu’au sein des sociétés sahariennes — peut-être africaines en général — la notion de griot a parfois plus de prestige et de considération que celle d’artiste. 

Cependant, dans ces « réarrangements »musicaux, le public parfois friand de cadence rythmique est bien servi, et même l’oreille du mélomane érudit (aussi perplexe soit-il), peut s’en accommoder si l’orchestration est menée avec une certaine intelligence, avec un certain goût, comme ce fut le cas aux débuts du groupe Ahl Nana, avec la talentueuse et regrettée Debya mint Soueid Bouh.
Les descendants de cette violoniste de talent, notamment l’excellent Yassine ould Nana (très en vogue dans les années 80-90 avec ses frères et sœurs), incarneront plus tard un courant « novateur » de la musique mauritanienne. Leur travail d’adaptation des instruments (guitare, piano, violon, etc.), repose sur la recherche d’un équilibre qui veut tendre vers les fondements classiques (à travers le chant notamment). Les sonorités multiples que les Ahl Nana font entendre illustrent l’aboutissement d’une tendance « moderniste » qui traverse depuis une cinquantaine d’années l’art mauritanien. 

(L’âge d’or de l’ensemble Ahl Nana, avec Debya au violon et le jeune Yassine au chant)

La modernisation n’est pas une fin en soi, mais elle permet le dialogue et l’ouverture nécessaires au progrès, mais aussi, dans une certaine mesure, à la sauvegarde de cette musique. Les artistes mauritaniens actuels l’ont compris et la pratiquent avec le dosage approprié. Et l’on pourrait dire que la musique maure, par la force de son expression artistique, par sa profondeur émotionnelle parfois troublante, par son message et ses influences multiculturelles, perdurera encore longtemps comme un élément déterminant et majeur de culture saharienne, et de ce qu’elle peut offrir au reste du monde. 
 

Références

– « Musique et poésie en Mauritanie » de Mohamed ould Bouleiba ould Ghraab
(Ed. Joussour/Ponts, Nouakchott, 2017)
– « Le Lignage – Ehel Heddar, cinq générations de poètes mauritaniens », d’Abdelvetah Alamana & Mick Gewinner (Ed. Les Trois Acacias – 2016)
– « Le Griot de l’Émir » de Beyrouk (Ed. Elyzad – 2014)
– « Musique, honneur et plaisir au Sahara : musique et musiciens dans la société maure » de Michel Guignard (Geuthner – 2005).

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