Après dix ans de galères, Jizzle est devenu un artiste incontournable de la scène musicale gambienne. Soutenu par le président de la République et prêt à conquérir le monde, le voilà de retour avec « Work & Pray », une ode à la persévérance.
En novembre dernier, un ancien gamin du quartier réunit 30 000 personnes à l’Independence Stadium de Bakau pour un concert à guichet fermé, quelque temps après son idole Davido : une consécration pour Jizzle, la nouvelle révélation gambienne des musiques urbaines. À 26 ans, ce dernier collectionne les récompenses et les fans en Gambie pour une foule de tubes tels que « Turn by Turn », « Broke Again », « Man of The Year » ou « Successful », témoignant sa détermination à prendre sa revanche sur dix ans de galères : « souviens-toi, je ne pouvais rien me payer, je n’avais qu’une seule paire de chaussures, maintenant je les ai toutes », chante-t-il sur « Levulo ».
Fou de football comme de Lil Wayne, Jizzle s’éprend du hip-hop en traînant avec les grands frères, avant de surfer sur la vague afrobeats, dancehall et trap qui fait les beaux jours de l’industrie musicale ouest-africaine. Après un premier album, Finally (2019), puis Scorpio Vol.1, grâce auxquels il se fait remarquer jusqu’au Nigéria, Jizzle était enfin prêt à conquérir l’Europe et les États-Unis au fil d’une grande tournée avant que le Covid-19 ne s’en mêle. Alors en attendant que les frontières rouvrent, Jizzle prépare la suite et annonce son retour avec le clip de « Work & Pray ».
Travailler et prier, les clés du succès ? Durags haute-couture, auto de luxe, bimbo et gang de potes : du quartier au palais, il semble que oui. D’ailleurs dans ce clip la vie sourit tellement à Jizzle, qu’il reçoit même un coup de fil du président gambien… et ce n’est pas que de la fiction ! Après son mégaconcert, le musicien rencontrait effectivement Adama Barrow au palais présidentiel pour être félicité. Élu en 2017 pour succéder à Yahya Jammeh, dictateur barbare à la tête du pays pendant quarante ans, Adama Barrow incarne l’espoir d’un renouveau pour la population gambienne, pour la jeunesse en particulier. « Nous avons pu parler des défis que rencontre la scène musicale, de ce que vivent les artistes et de l’aide dont nous avons besoin. Il m’a aussi donné des conseils. Tout le monde travaille très dur pour s’en sortir, raconte Jizzle, ici, nous n’avons pas d’industrie musicale. »
Malgré un streaming relativement récent et des royalties mal, voire peu redistribuées, la Gambie voit émerger de plus en plus d’artistes prêts à s’entraider tels qu’Attack, ST Gambian Dream, Singateh, Gee, T Smalls ou encore Bai Babu, multipliant les featurings en dépit de la concurrence et d’un quotidien très système D. Voilà aussi ce qui pousse Jizzle à se tourner vers le Ghana et le Nigéria, connus pour l’extrême vivacité de leur industrie musicale. S’il a déjà collaboré avec Oxlade et Idyl sur Scorpion Vol.1, il monte en gamme en annonçant un duo à venir avec le Ghanéen Kwesi Arthur sur Scorpion Vol.2 puis un disque, sur lequel il rêve d’inviter des poids lourds de la scène, tels que Wizkid, Mr. Eazi, Davido, Burna Boy, Dadju ou le Tanzanien Diamond Platnumz.
Petite enclave de deux millions d’habitants, la Gambie a elle aussi eu ses pionniers du hip-hop dès la fin des années 90, influencés à la fois par le rap US et les sonorités du Sénégal voisin, véritable terre d’asile pour les activistes gambiens qui critiquaient le régime de terreur de Yahya Jammeh. C’est le cas des rappeurs Killa Ace et Retsam qui, rentrés au pays, continuent de dénoncer par la rime les violences policières, la corruption des élites, la destruction de l’environnement et le chômage des jeunes qui, sans réelles perspectives d’avenir, préfèrent aller tenter leur chance ailleurs.
Malgré son ascension fulgurante, le soutien du président et une nette amélioration de la liberté d’expression, aujourd’hui Jizzle pense lui aussi à quitter la Gambie pour « étendre son réseau et se perfectionner ». S’il ne s’intéresse pas vraiment à la chose politique, Jizzle n’hésite pas à s’investir « pour donner du courage et de l’inspiration à la jeunesse » lorsque c’est nécessaire, comme lorsqu’il enregistre « Coronavirus » au plus fort de l’épidémie. C’est pourquoi aujourd’hui, avant de prendre le large, Jizzle dédie « Work & Pray » à la jeunesse gambienne, comme une preuve par l’exemple que la persévérance porte ses fruits.