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The Pan African Music Magazine
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Don Zilla : itinéraire d’un enfant surdoué… et acharné !

Le jeune musicien ougandais s’était promis de devenir producteur de musique électronique. Devenu un des piliers du collectif Nyege Nyege, il sortait de l’anonymat il y a un an avec son EP, From the Cave to the world, avant de se produire à Berlin. C’est là que PAM l’a rencontré.

Vendredi 31 janvier, 23h, Berlin. Malgré l’air froid et humide, des centaines de personnes attendent en file indienne dans la pénombre. Ceux qui rejoignent la queue aperçoivent au loin des rayons de lumière violets s’échapper des fenêtres de l’imposante façade du Berghain. La fête a déjà commencé dans l’ancienne centrale électrique reconvertie en temple de la musique électronique. Depuis 1999, le CTM Festival propose une programmation exigeante autour de la musique et des arts visuels dans différents lieux de la capitale allemande. Cette année, les artistes affiliés au collectif ougandais Nyege Nyege ont été invités dans le cadre d’une résidence. Les spectateurs se sont massés pour danser dans la plus grande des salles. Des totems d’enceintes diffusent en quadriphonie un son parfait qui fait vibrer les grandes verrières de cette forteresse de béton. Don Zilla est caché dans un coin. On le voit à peine mais sa musique sombre, mystérieuse et tellurique emplit l’espace, comme si elle avait été conçue pour y être jouée. C’est la première fois qu’il se produit en dehors des frontières de son pays natal.

Au même titre que les productions de Slikback et de Rey Sapienz, la sortie l’an dernier de son premier EP From the Cave to the World reste l’un des temps forts de la jeune histoire du label Hakuna Kulala. Si sa présence au Berghain face à une audience conquise apparaît comme une évidence, le parcours de Don Zilla pour en arriver là a été semé d’embûches. Retour avec lui, pour sa première interview, sur cette histoire qui débute il y a 28 ans dans un village en Ouganda. C’est avec l’aura d’un chef spirituel, canne à la main, qu’il nous a reçus à l’hôtel Moxy, le QG de toute la team Nyege Nyege pendant le CTM.

Enfance et adolescence

La musique a toujours fait partie de la vie de Kisakye Kingsamuel Donzilla. Dès l’âge de 7 ans, il commence à jouer des percussions. À l’époque, pas de guitare électrique ou de claviers autour de lui. Seulement des instruments traditionnels. Mais la passion du son est déjà là. Il utilise ce qu’il trouve autour de lui pour jouer de la musique. “Au village, nous utilisions des jerricans en plastique pour transporter l’eau. Quand ils étaient vides, je les remplissais et je tapais dessus. Je jouais pour tout le voisinage”, se souvient-il. Si bien que les écoles et les églises font appel à lui pour ses talents de musicien. Il n’a pas encore 10 ans.

En 2003 s’ouvre un nouvelle étape de sa vie. Il rencontre son père pour la première fois et s’installe avec lui à Kampala, la capitale ougandaise. Son père est prêtre et possède une église. À 12 ans, il se retrouve exposé à un nouveau monde et développe un amour encore plus fort pour la musique. Kisakye veut apprendre à jouer du clavier et à maîtriser les techniques d’ingénieur du son. Personne autour de lui n’est en mesure de lui enseigner, donc il apprend en autodidacte. “J’ai appris tout seul à jouer du clavier, je me suis formé tout seul au son. J’avais en tête des choses que je ne pouvais expliquer aux gens. Je me disais que si je maîtrisais la production, je pourrais très facilement les exprimer”. Alors, même sans tuteur pour le guider dans le monde du son, il ne lâche rien.

Crédit photo : Sophie Garcia

Du cyber café à la scène 

En 2007, il produit son premier beat en deux heures dans un cyber café de Kampala. Quelques mois auparavant, il a téléchargé sur l’un des postes une version démo du logiciel FL Studio. Il pratique tous les jours et apprend en regardant des tutoriels. Jusqu’à arriver au résultat escompté. Ses amis restent incrédules à l’écoute de sa première production : “Non, non, ça ne peut pas être toi qui l’a faite ! C’est quelqu’un d’autre !”, se rappelle-t-il en souriant. “C’est ainsi que j’ai commencé à produire”.

En 2011, Kisakye a 20 ans. Un ami musicien qui a un groupe réputé à Kampala pressent qu’il a du talent, et l’invite à venir observer comment travaille son ingénieur du son. À son contact, il apprend rapidement à monter et sonoriser une scène. Quelques mois plus tard, l’ingénieur du son s’évapore dans la nature sans prévenir. Le groupe s’en rend compte alors qu’il est censé donner un concert le soir-même dans un village et commence à paniquer. Le jeune homme propose de le remplacer mais on lui rétorque qu’il n’en est pas capable. Il ne se démonte pas et commence à préparer la scène. Au bout de trois heures, il a terminé. Personne n’en revient. Ce jour-là, le groupe a pour invitée une chanteuse très connue en Ouganda. Au moment où elle fait sa balance, elle demande brusquement à tout le monde de s’arrêter : “Qui est l’ingénieur du son ? Je l’invite à dîner ce soir ! Personne n’a jamais fait si bien le son pour moi depuis qu’on travaille ensemble. Tout est parfait ! Nous devons garder ce type ! a-t-elle dit”, se remémore Don Zilla. “C’est comme ça que mon aventure en tant qu’ingénieur du son a débuté”.

Les début de l’aventure Nyege Nyege

Au début des années 2010, le futur Don Zilla joue dans plusieurs groupes de musique et évolue dans le microcosme musical local. En 2014, il rencontre Derek Debru, un Belge qui après avoir organisé les soirées Boutiq Electroniq vient de co-fonder le festival Nyege Nyege. Il le retrouvera dans quelques années. En attendant, le jeune ougandais n’a rien oublié de ses rêves : “Je voulais toujours être un producteur. Chez moi, ils ont commencé à m’appeler “producteur” alors qu’ils ne savaient même pas ce qu’est la production musicale. Je disais à ma mère qu’un jour elle verrait son fils à la BBC en train d’expliquer comment il arrive à produire ses sons. Elle riait beaucoup parce qu’elle pensait que c’était impossible”. 

En 2017, après une année de pause en raison d’un problème de santé, Don Zilla revient, plus déterminé que jamais à réaliser son objectif. Il s’achète le matériel nécessaire pour monter son propre home studio et apprend à s’en servir, toujours en autodidacte. Le collectif Nyege Nyege ou le Boutique Studio lui empruntent régulièrement sa carte son et son micro. Un jour, il vient récupérer son matériel et tombe sur Derek. Il en profite pour lui faire écouter un morceau qu’il vient de créer sur son ordinateur. Le Belge est étonné : “Un jour, il est venu me voir pour me présenter ses premières productions électroniques et discuter d’une possible résidence. Ses premiers sons, comme ceux de Slikback, reflétaient déjà un gros potentiel. Dans le cas de Zilla, c’est sa maturité qui nous a tout de suite parlé. Malgré son jeune âge, il avait déjà une vision personnelle, ce qui est rare et quelque chose que l’on essaye de développer chez nos artistes”.

Don Zilla devient alors l’ingénieur du son et le manager du Boutique Studio qui sert, tout au long de l’année, de lieu de résidence au collectif Nyege Nyege. “Il est avec Rey Sapienz, l‘un des piliers de notre résidence. Au fil des années, il a pu s’imprégner de tous les gens qui sont venus à la Villa et a développé des techniques de mixages vraiment pointues. Il est aussi un lien important avec les communautés de musiciens traditionnels avec lesquelles on travaille” précise Derek Debru. Le musicien ougandais est comme un poisson dans l’eau dans cette marmite en pleine ébullition, et il profite du matériel à disposition et des rencontres pour avancer dans sa propre quête.

De la grotte au monde 

Après un an passé dans le studio du Nyege Nyege, Don Zilla est enfin en mesure de réaliser son rêve d’enfance. En mars 2019, le label Hakuna Kulala publie son premier EP From The Cave To The World. Le morceau “From The Cave” présente un mélange puissant de drum and bass, de dubstep et de percussions africaines. Un titre sombre taillé pour les raves et les clubs. Quant à “Inside Me”, c’est une expérience auditive de 12 minutes, une aventure sonique et mystique. “Dans mon pays, les gens me disent que je fais de la musique extra-terrestre. Je ne les blâme pas, ça me fait rire” s’amuse-t-il.

Pendant les mois qui précèdent cette sortie, la phrase “From the cave to the world” (“De la grotte au monde”) revient sans cesse dans la tête de Don Zilla. Un jour, il se balade près de la source du Nil (blanc). Un ami lui propose une petite croisière en bateau. Il accepte aussitôt. Alors que le tour touche à sa fin, le capitaine de l’embarcation propose aux deux amis de visiter une grotte sacrée où ont lieu des rituels en l’honneur du fleuve. “Comme nous nous approchions, j’ai senti une énergie très puissante qui me repoussait. Impossible d’approcher”, se rappelle-t-il. Après des semaines à entendre cette voix qui lui parle d’une grotte, il comprend qu’il est enfin face à elle. 

J’ai compris que la grotte pouvait être n’importe quelle situation dans la vie qui t’empêche d’accéder au monde. La grotte, c’est comme le ventre d’une mère. Un bébé n’en sort que le bon moment venu. Mais avant, il y a tout un processus. Le bébé a besoin de se battre, la mère doit passer par des douleurs. J’ai réalisé que j’étais dans une grotte depuis tout ce temps et qu’il était temps maintenant temps d’en sortir, qu’il était temps que le monde me voit” explique Don Zilla. Le titre de son premier EP, From The Cave To The World résume toutes ces années de persévérance face à l’adversité et célèbre cet accès à la lumière.

Grâce au succès d’estime de son premier EP et à la reconnaissance internationale dont jouit tout le collectif Nyege Nyege, Don Zilla a pu cet hiver sortir pour la première fois de son pays. “L’Ouganda est caché du monde. C’est une grotte en quelque sorte”, affirme-t-il. Le show dans le cadre du CTM Festival à Berlin acte lui aussi de cette nouvelle naissance. 

Son premier album sortira en juin sur le label Hakuna Kulala, et s’intitulera Ekizikiza Mubwengula. En luganda : “L’obscurité dans la galaxie”. Qu’on se le dise, maintenant qu’il est sorti de sa grotte, le producteur continuera de manier les ténèbres et la lumière, en les faisant danser !

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