Apparitions présidentielles embarrassantes, bandes originales récompensées : la musique aura marqué l’iconique festival du film qui rassemble les cinéastes du continent et de la diaspora depuis sa création en 1969.
La 16e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) se déroula dans un contexte assez tendu pour le Burkina Faso. Le festival de cinéma, à jamais associé à la capitale Ouagadougou, allait connaître sa dernière édition du 20e siècle, s’ouvrant à peine deux mois après le meurtre du journaliste d’investigation Norbert Zongo, gérant du journal L’Indépendant et véritable épine dans le pied du régime du président Blaise Compaoré.
C’est alors le reggae de Alpha Blondy qui fut choisi pour ouvrir les festivités, et les images d’archive montrent parfaitement l’accueil cathartique que le public réserva à la superstar ivoirienne et son groupe. Les caméras captèrent également l’instant embarrassant où Blaise Compaoré pensait pouvoir faire une entrée magistrale, tentative gâchée par l’interprétation simultanée par Alpha Blondy de son titre « Les Imbéciles », diatribe acerbe contre les piètres gouvernants du continent, reprise par la foule entière.
Tout change, tout évolue
Seuls les imbéciles ne changent pas
J’insiste, je persiste, et je signe
Les ennemis de l’Afrique ce sont les Africains
À peine Blondy eut-il fini de chanter qu’on fit taire son groupe, afin que le président prenne place dans son siège réservé du Stade du 4 Août.
Sans surprise, une fois le discours d’ouverture présidentiel prononcé, et alors que Blondy reprenait le micro pour une nouvelle interprétation du même morceau, sa performance fut brusquement interrompue.
Le courage et la candeur de Blondy en cette année 1999 symbolisent parfaitement l’esprit du Fespaco et de ses cinéastes briseurs de tabou. Le festival voit le jour trente ans plus tôt, en 1969, en plein élan des indépendances et d’une véritable renaissance panafricaine pour la nation qu’on appelait encore Haute Volta et pour ses voisins ouest-africains. À l’image du fameux proverbe, « tant que les lions n’auront pas leurs historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur », le Fespaco cherche à réunir des cinéastes qui racontent les histoires africaines d’ un point de vue africain, célébrant ainsi l’excellence du continent.
L’événement bisannuel est depuis longtemps devenu l’une des fiertés de Ouagadougou, ville dont les carrefours giratoires, places et rues portent les noms de grands réalisateurs, tandis que le très convoité Étalon d’or de Yennenga récompense le meilleur film de fiction pour chacune des éditions.
Tous les regards sont donc tournés vers Ouaga pour la 27e édition du festival, prévue pour se tenir du 16 au 23 octobre avec pour thème principal « Cinémas d’Afrique et de la diaspora : nouveaux regards, nouveaux défis ». Qu’en était-il des précédentes éditions ? Et hormis le sulfureux Alpha Blondy, quels autres talents musicaux le festival a-t-il accueillis ?
Le troubadour sénégalais Wasis Diop est sans aucun doute le musicien et compositeur le plus récompensé par le Fespaco. Né à Dakar en 1950, Diop est passé maître dans l’art de mettre en musique la beauté et la mélancolie de la vie en bordure du Sahara, depuis ses débuts remarqués dans Hyènes, le film de son frère Djibril Diop Mambéty. Invariablement équipé de sa guitare acoustique et prêtant sa voix mélancolique à d’innombrables films de la sélection du Fespaco, Diop a raflé le prix de la meilleure bande originale à trois reprises : en 1999 (Silmandé), 2001 (Les Couilles de l’éléphant) et 2003 (Le Prix du pardon).
Plus récemment, il a essentiellement travaillé avec le réalisateur tchadien Mahamat-Saleh Haroun sur de nombreux films tournés au Sahel. Haroun, qui avait fait appel au jeu de guitare de Ali Farka Touré en 2002 pour Abouna, a débuté sa collaboration avec Diop en 2006 dans Daratt, une histoire de vengeance qui a remporté le 3e prix du Fespaco 2007.
Évocation parfaite du souffle chaud de l’harmattan dans Daratt, la guitare de Diop accompagne le protagoniste Akim dans son voyage vers N’Djamena, où il s’est mis en tête de venger la mort de son père. Après être parvenu à se faire embaucher dans la boulangerie tenue par Nassara (joué par Youssouf Djaoro) le meurtrier de son père, le jeune Akim se rapproche de son employeur qui ne se doute pas un instant du lien de son apprenti avec le défunt. La tension dramatique de la relation s’intensifie de plus belle au son de la musique méditative de Diop.
Diop et Haroun recevront en 2011 le deuxième prix de la compétition pour Un Homme qui crie, long-métrage décrivant, à nouveau, la relation tumultueuse entre un père et son fils, et qui compte aussi Djaoro au casting.
Le film primé fait le récit d’Adam (Djaoro), fier responsable de la piscine d’un hôtel qui décide d’envoyer son fils à la guerre après que ce dernier a tenté de lui prendre son poste. Parsemée des notes d’un accordéon aérien et de violons, la musique de Diop est scintillante et liquide, reflétant la texture de l’eau qui parcourt tout le film.
Parmi les autres compositeurs d’Afrique de l’Ouest que le Fespaco a primés, on citera le formidable écrivain et musicien camerounais Francis Bebey, qui en 1989 raflera la meilleure bande originale de la 11e édition pour son travail mélodique minimaliste sur Yaaba, long-métrage du Burkinabé Idrissa Ouedraogo.
Côté Mali, c’est Cheick Tidiane Seck qui représente les couleurs du pays avec le prix de la meilleure B.O. en 1993, une collaboration avec Mahamadou Cissé sur Yelema, essai cinématographique sur le difficile retour au pays.
Le Fespaco est une célébration véritablement pan-africaine, et récompensera le génie sud-africain du piano jazz Abdullah Ibrahim en 1991, année où le natif de Cape Town précédemment connu sous le pseudonyme Dollar Brand composa la musique du film Tilaï (« La Loi ») du Burkinabé Ouedraogo.
Fable africaine contée avec la gravité d’une tragédie grecque, le drame de Tilaï est amplifié par les nappes stridentes du piano de Ibrahim, tandis que le développement de l’intrigue en marche inéluctable vers son dénouement est accompagné par l’utilisation de la contrebasse, de la flûte et des percussions.
En plus de l’Étalon d’or de Yennenga et du prix de la meilleure bande originale, le Fespaco décerne également depuis 2017 le Prix Thomas Sankara au meilleur court-métrage de la sélection.
Nommé en l’honneur du leader progressiste qui a donné au Burkina Faso son nom post-colonial et a initié le processus de révolution du pays avant son assassinat en 1987, le prix est remis par la Guilde africaine des réalisateurs et producteurs, basée à Paris, dont le président Balufu Bakupa-Kanyinda prodigue ce conseil aux jeunes cinéastes : « Nous ne sommes pas à la recherche d’un film révolutionnaire. Le cinéma est déjà un acte révolutionnaire : faire un film en Afrique est déjà un acte d’engagement et de résistance. »
Un commentaire qui permet de boucler la boucle en revenant à Alpha Blondy, cette fois-ci en 2017 lorsqu’il est à nouveau invité à ouvrir le festival, son pays, la Côte d’Ivoire, en étant l’invité d’honneur. Quant à 2021, ce sera l’année du Sénégal.
Toute cette créativité cinématographique ne va pas sans difficultés. Le développement du DVD, le piratage de masse et la fermeture de nombreuses salles de cinémas au Burkina Faso et ailleurs sur le continent se sont ajoutés aux nombreux défis que tout cinéaste africain doit affronter dans l’espoir de porter un récit sur grand écran.
Fort heureusement, de la Tunisie au Sénégal en passant par l’Égypte et le Congo, les récits et l’héroïsme nécessaire pour les réaliser ne manquent pas.
Le FESPACO 2021 se tiendra à Ouagadougou du 16 au 23 octobre.