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MUTANT, le rêve brisé de la nation arc-en-ciel
© Imraan Christian

MUTANT, le rêve brisé de la nation arc‑en‑ciel

Dans le film MUTANT, les réalisateurs Lebogang Rasethaba et Nthato Mokgata dressent le portrait d’une figure incandescente de la scène rap sud-africaine : Isaac Mutant. Interview.

Dans le film MUTANT, les réalisateurs Lebogang Rasethaba et Nthato Mokgata dressent le portrait d’une figure incandescente de la scène rap sud-africaine : Isaac Mutant. Interview.

Jeune prodige des mathématiques promis à des études scientifiques, enfant orphelin jeté dans les baraquements du township de Mitchell’s Plain au Cap, avant la découverte de la scène Hip-hop locale, dont il va durablement prendre le trône… Le parcours d’Isaac « Mutant » est, comme l’histoire de la nation arc-en-ciel, faite d’ombre et de lumière, de terribles ruptures et d’une fantastique créativité.

L’homme incarne parfaitement le chaos de l’Afrique du Sud contemporaine : incompris, Isaac se traîne – entre strass et crasse –, des réputations plurielles : mi-gang member, mi-rasta, boss de l’horrorcore au sein de son ancien groupe DooKoom… Mais Isaac Mutant, qui a travaillé avec Die Antwoord ou partagé la scène avec Public Enemy, est également baptisé ici le God of Afrikaans Rap, pour la qualité de ses paroles.. C’est cette narration fracturée, empêchée parfois, qu’ont décidé de rétablir Lebogang Rasethaba et Nthato Mokgata alias Spoek Mathambo. Durant six années de production, les deux réalisateurs l’ont suivi dans ses différents mondes, au cœur de ses communautés d’accueil. Le film MUTANT raconte les nombreuses vies d’Isaac et dresse un portrait intime de cet étonnant monstre rapologique. Documentaire d’auteur, MUTANT dresse également en corollaire un état des lieux radical d’un pays encore cisaillé par les crises sociales, ainsi que la division raciale.

MUTANT TRAILER

Lebo, Nthato, comment l’idée de réaliser un documentaire tel que MUTANT a-t-elle germé dans vos esprits ?

Nthato Mokgata : Initialement, nous voulions documenter la scène Hip-hop nationale, en explorant ses différentes facettes. Nous avions pour projet de tourner dans différents coin d’Afrique du Sud, différentes cultures, différentes classes sociales. Et l’histoire d’Isaac a littéralement pris le dessus sur tous les autres personnages que nous avions pu croiser jusqu’ici. On connaissait Isaac depuis le début des années 2000… Par ailleurs, lorsque son groupe Dookoom a explosé, au niveau local mais également internationalement, amplifié par ailleurs avec la polémique autour du track Larney Jou Poes, on a alors repris contact avec lui.

À quel moment avez-vous senti qu’Isaac serait le personnage central de votre film ?

Lebogang Rasethaba : Assez vite en fait. L’histoire d’Isaac contient tellement de portes d’entrées… Car Issac représente bien plus que lui-même. Il est un produit, social et culturel, de la société sud-africaine actuelle. Certes, nous avons réalisé un film sur un seul individu, mais ce personnage nous a permis de documenter tout un contexte, d’ouvrir une vaste fenêtre sur toute une classe sociale, sur tout un pan de la société sud-africaine.

L’homme est connu pour ses points de vue extrêmement tranchés quant aux problèmes sociaux en Afrique du Sud. Comment avez-vous travaillés, en tant que réalisateurs, pour recueillir au mieux cette parole si brute ? 

Lebogang : Il était important pour nous qu’Isaac s’exprime librement. Même s’il peut être radical sur certains points et que nous ne partageons pas toujours les mêmes positions qu’il affiche dans MUTANT. Mais c’est la raison pour laquelle nous avons décidé de faire intervenir d’autres figures au sein du film.

Nthato : Isaac nous a ouvert son monde, avec générosité. Sans secret, mais avec enthousiasme. Il nous a emmené là où il a grandi, dans les lieux qui ont compté pour lui. À mesure que nous entreprenions ce voyage à ses côtés, à travers son enfance, sa communauté et sa vie en général, nous avons rencontré beaucoup de gens. Le fait de donner la parole à des membres de sa famille, à ses amis, à des travailleurs sociaux, aux gens qui ont fait de la musique à ses côtés, tout comme aux habitants de son quartier nous a permis de livrer des éclairages, des nuances. Tous ces autres points de vue aident à comprendre une pensée très profonde, mais qui s’exprime parfois de façon très brute. En même temps, toutes ces autres voix qui accompagnent le film ne sont pas là uniquement pour servir de simple caisse de résonance aux propos d’Isaac.

Lebogang : Certains personnages ne sont d’ailleurs pas d’accord avec lui. En tant qu’auteurs et réalisateurs, nous avons la responsabilité de parvenir à une forme d’équilibre quant aux sujets abordés.

© Imraan Christian

MUTANT… Ce film documentaire porte parfaitement son titre. Une heure durant, on navigue entre histoire de l’Afrique du Sud, crise sociale ou identitaire, création artistique, lutte des classes et révolte…

Nthato : Je pense que l’idée de MUTANT est d’abord de comprendre ce qu’Isaac cherche à exprimer à travers sa musique. Ce film parle d’abord de musique car tout part de chacun de ses morceaux. Il n’y a rien qui soit évoqué dans MUTANT qui ne trouve son origine dans la musique d’Isaac. Il n’y a pas une problématique soulevée dans ce film qui ne trouve sa source dans les paroles d’une de ses chansons. Le mutant, c’est lui. Le film traite d’Isaac, Isaac traite de la situation sociale en Afrique du Sud. Si nous avions tourné un documentaire sur la scène Hip-hop dans les favelas brésiliennes, la situation là-bas serait immédiatement remontée à la surface du film. Ici, le phénomène est identique, ce sont les problématiques de notre société qui innervent toute la création d’Isaac.

MUTANT, c’est également l’histoire d’une crise identitaire individuelle, qui se déploie aussi sur presque toute une société.

Lebogang : Isaac en tant qu’individu, est constitué de nombreuses facettes. Sur un plan identitaire, Isaac se revendique en tant que Khoïsan et non en tant que métisse ou “colored” selon l’appellation européenne. Il revendique cette appartenance, cette forme de retour aux sources qui connaît actuellement une très forte résurgence. Mais Isaac est également un nomade, à la fois intégré dans plusieurs communautés ou familles.

Nthato : Il a une famille rasta, une famille hip hop, une famille un peu plus dure, ancrée dans la réalité de la rue… Isaac vit à travers toutes ces intégrations. Et il nous a ouvert les portes de tous ses mondes, des mondes qui sont révélés du coup au grand public.

Tournage difficile ?

Lebogang : Avec MUTANT, on a été en production durant près de six ans, les derniers plans ont été mis en boîte l’année dernière. C’est la raison pour laquelle Isaac porte parfois des vêtements d’hiver, parfois des fringues d’été. On a fabriqué ce film dans le rush, avec une dynamique très spéciale, puisque nous n’avions pas de séquencier préalablement défini. On tournait, puis on montait les rushs immédiatement après, sans arrêt. La production de MUTANT aura été une succession de séquences de tournage, puis de montage. D’autant que concrètement, on appelait Isaac, on lui disait ok mec on est arrivé, et il nous emmenait alors en balade dans les quartiers. À partir du moment où tu es parvenu à lui mettre la main dessus, c’est un super guide, très généreux. Il faut juste réussir à la choper en fait. Après, tu n’as plus qu’à le suivre.

© Imraan Christian

Est-ce qu’on peut dire qu’il a quasiment co-réalisé ce film ?

Nthato : Franchement, grave ! C’est vraiment Isaac qui a choisi les lieux ainsi que les personnes qu’il voulait dévoiler. Je pense qu’Isaac est un incompris. À la base, ce mec est un jeune prodige des mathématiques. Ceux qui comprennent l’Afrikaner savent pertinemment qu’il est un excellent parolier. Un des meilleurs de la scène même. Ici, certains l’appellent le “God of Afrikaans Rap”. D’autres ne le voient malheureusement que comme un mec qui traîne dans la rue. Grâce à ce film, il a pu récupérer, empoigner à nouveau sa narration. Donc c’est un projet dans lequel il s’est vachement investi tu vois. Et nous aussi, de fait. De tous les projets que nous avons filmé, MUTANT est le film qui a posé le plus de questions éthiques. Chaque plan, chaque découpage filmique a été débattu entre nous, pour qu’il soit justifiable d’un point de vue éthique, pour ne pas trahir l’intégrité de notre personnage.

Lebogang : En tant que réalisateurs, notre responsabilité est immense dans la restitution que nous livrons de la personnalité d’Isaac. On l’a compris très vite justement, cette notion de pouvoir. Le pouvoir que nous détenons grâce à nos caméras.

Avant sa libération en ligne, MUTANT débarque sur les écrans des meilleurs festivals de films documentaires, stay focused.

Le documentaire sera projeté en ligne ce vendredi 1er octobre 2021 à 20 heures. Inscription gratuite ici.

MUTANT, écrit et réalisé par Lebogang Rasethaba et Nthato Mokgata, produit par Sifiso Khanyile – Arcade – TEKA – Anaphora Films. 2021.

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