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The Pan African Music Magazine
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Au Brésil : échos des artistes engagés contre Bolsonaro

Face à la percée bolsonariste au premier tour des élections, la plupart des artistes brésiliens réitèrent leur soutien au candidat Lula. Analyse des résultats et réactions sur le vif, avant le second tour.

« J’ai a-do-ré », se réjouit le chanteur Chico Cesar, interrogé sur le résultat du premier tour des élections à la présidence de la république. Voilà enfin l’opportunité de renverser deux fois le fascisme au Brésil, une fois au premier tour, une fois au deuxième ». L’avis de tous musiciens Brésiliens est loin d’être aussi tranché. D’autant plus que les 43,2% du président d’extrême droite, candidat à sa propre réélection, viennent éclipser le score historique de son ancien homologue Lula, arrivé en tête avec 48,4 % des suffrages. Condamné en 2018 à 12 ans de prison pour corruption puis libéré un an plus tard pour vice de forme, l’ancien dirigeant du pays de 2002 à 2010 a frôlé l’exploit, celui d’être élu une nouvelle fois à 76 ans dès le premier tour.

« Angoissant », répond João Selva, carioca installé à Lyon depuis le début des années 2000. « Le sentiment qui domine jusqu’à présent c’est la frustration de voir qu’un nombre aussi élevé de mes compatriotes adhère aux idées fascistes. » C’est aussi l’avis de Bruno Capinan, scintillant Bahianais installé au Canada, et très engagé dans la lutte pour les droits des LGBTQIA+ : « C’est très décourageant. Je pensais que les 650 000 morts de la Covid-19, l’incapacité de Bolsonaro à combattre la pandémie et son déni du retour de la faim au Brésil auraient été suffisants pour défaire le fascisme dans les urnes ». 

Chico Cesar – © Ana Lefaux  / Zamora prod
Une lame de fond conservatrice

Comment expliquer alors l’adhésion d’une si grande partie de la population à des actes et des idées qui ne devraient pourtant inspirer que dégoût et répulsion ? Pour Vitor da Trindade, auteur-compositeur et gardien du Théâtre Solano Trindade, du nom de son grand-père, poète militant de la cause afro-brésilienne, peintre et fondateur du Théâtre populaire brésilien dans les années 1950, « La pensée de Bolsonaro n’est pas l’exclusivité de la classe dirigeante ». Le musicien, qui a participé cet été au clip manifeste anti-Bolsonaro Hino ao Inominável (hymne à l’Innommable) auprès de Chico Cesar et d’une trentaine d’autres personnalités du monde du spectacle dont Lenine, Leci Brandão ou encore l’acteur Wagner Moura, signale qu’à Embu Das Artes, quartier populaire situé à la périphérie de São Paulo où vit sa famille, le nombre de bolsonaristes est énorme, y compris dans la favela à proximité. « Le pays fourmille de gens qui pensent comme lui, les petits patrons et les évangéliques, mais aussi les pauvres qui n’ont accès à rien du tout, les employés de maison et ceux du monde agricole qui ont peur de perdre leur emploi. »

HINO AO INOMINÁVEL

« Hélas, le Brésil a un système d’éducation précaire et l’ascension de la religion dans la politique a permis à l’extrême droite de gagner encore plus de sympathisants », déplore Bruno Capinan, qui pointe au passage la normalisation de la pensée bolsonariste par les autres candidats des partis traditionnels, arrivés très loin derrière Lula et Bolsonaro. « Le Brésil est extrêmement conservateur », renchérit João Selva. On parle beaucoup des évangéliques, du fondamentalisme chrétien, mais en vérité, la culture brésilienne est extrêmement misogyne et raciste. Bolsonaro a su exploiter des thématiques comme celle de l’avortement pour stigmatiser Lula et conquérir cet électorat très conservateur. »

« L’être humain est complexe et n’est pas forcément bon, rappelle quant à lui Chico Cesar, grand défenseur des minorités mais aussi profondément humaniste. Il est très opportuniste et plein de gens prennent sition popour le parti qu’ils considèrent être le plus fort à ce moment-là. De plus, beaucoup de Brésiliens se sentent représentés par cette pensée sinistre. » Pour preuve, la large victoire annoncée de l’extrême droite au Congrès et la Chambre des députés. Bien que quelque peu atténuée par l’entrée de représentants des communautés indigènes, LGBT et des mouvements sociaux, elle vient s’ajouter au danger que ferait peser un second mandat sur les institutions brésiliennes, comme le Suprême Tribunal Fédéral (responsable entre autres de l’organisation des élections, NDLR), cible  permanente d’attaques ultra violentes de la part de Bolsonaro et de son électorat.

Entre les soupçons de fraude nourris par le camp Bolsonaro au sujet des urnes électroniques, et les appels du président à manifester armé et à ne pas reconnaître la victoire de son adversaire, de sérieuses menaces pèsent en effet dans cette élection contre une démocratie de plus en plus fragile. « Nous devons faire preuve de beaucoup de vigilance pour éviter un scénario à la Trump, alerte Chico Cesar, qui en appelle à la communauté internationale. Il faut que le monde entier garde les yeux ouverts et reconnaisse immédiatement celui qui sera élu. ». Le musicien, en concert à Paris le 14 octobre, a d’ailleurs enregistré un titre qui se moque des adeptes de Bolsonaro, appelés “Bolsominions” en référence aux personnages de dessin animé.

Un Brésil fracturé 

« Le Brésil m’inquiète énormément, résume Bruno Capinan. Au final, la corde se casse toujours du côté des plus précaires. Les populations noires et marginales comme les peuples indigènes continueront de payer pour le bien être des élites brésiliennes blanches, par la violence ou par la faim, comme ça a toujours été le cas. Le fantasme de logique humaniste qu’alimente la gauche intellectuelle et les influenceurs digitaux bien à l’abri dans leurs bulles n’a pas sa place dans le capitalisme. » Entre les adeptes du travail esclave, défenseurs des valeurs de la « famille traditionnelle », et les progressistes, partisans d’une organisation moderne de la société, entre le sud industriel et le nord traditionnel, le pays apparaît plus fracturé que jamais, quel que soit le résultat final.

Comment le peuple brésilien va-t-il réussir à éviter la confrontation entre les militants et surmonter cette division, quand l’élection de son président met sur le même plan fascisme et démocratie ? « Le dialogue entre les parties devient de plus en plus difficile, concède João Selva. Oui, le spectre d’une guerre civile existe. Mais un gouvernement de réconciliation est aussi possible. Que Lula ait choisi un membre de son vieil ennemi le PSDB pour vice-président (candidat sur son “ticket”, NDLR) en dit long sur cette volonté de réconciliation au nom du bien commun.» La tâche s’annonce des plus ardues pour celui qui va devoir redresser un pays en proie à l’insécurité alimentaire et miné par une nostalgie malsaine de la dictature. « Nous n’aurons pas le même Lula qu’avant, regrette Vitor da Trindade. Mais ce qui se pointe, c’est notre futur. »

Néanmoins, au vu des résultats du premier tour, la victoire des progressistes semble loin d’être acquise et cette incertitude tourmente de nombreux Brésiliens. Pour Bruno Capinan, « faire preuve d’optimisme en ce moment serait juste un mécanisme de déni, ou reviendrait à vouloir tuer une légion de moustiques à mains nues ». Chico Cesar est nettement plus confiant : « L’élite entrepreneuriale comme celle de l’agroalimentaire s’est rendue compte qu’un climat de tranquillité favorise la fluidité des affaires et attire les capitaux étrangers. Le Brésil va se remettre en route, en respectant les peuples ancestraux et indigènes, les droits du citoyen et les impératifs climatiques. Ça va être super ! »

« C’est bien de vivre en Europe où tout marche, mais c’est encore mieux de vivre au Brésil où rien ne fonctionne, conclut Vitor da Trindade, qui vient régulièrement jouer sur le vieux continent. C’est encore le meilleur pays du monde, où des politiciens et des citoyens douteux côtoient des gens fantastiques et solidaires. » Lula, ultime rempart contre la percée bolsonariste, finira-t-il par l’emporter et redonner espoir aux millions de Brésiliens désespérés par les éternelles combines de leurs dirigeants ? Réponse le 30 octobre.

Bruno Capinan, photo DarYan Dornelles
  • Bruno Capinan en concert à Paris au Bab-Ilo le 13/10
  • Chico Cesar en concert à Marseille à l’Espace Julien le 13/10 , et à Paris au Café de la Danse le 14/10
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