Avec Right of Passage, Amadou Diagne et Cory Seznec signent un disque voyageur qui mêle kora, banjo et guitare pour questionner exil, intégration, mémoire et tradition.
Dans un voyage, ce n’est pas la destination qui compte, mais toujours le chemin parcouru, les détours et les rencontres surtout : voilà un principe sur lequel s’accordent toutes les grandes philosophies, mais aussi Amadou Diagne et Cory Seznec qui sous le nom de Touki (voyage en wolof), signent ensemble le délicat Right of Passage. Un album dans lequel le duo nomade est en prise avec les notions de droits et de rites de passage artistiques, intimes ou géographiques.
Les traditions griotiques de sa famille seront les premières initiations du percussionniste sénégalais Amadou Diagne, avant qu’il ne les transgresse en se tournant vers l’apprentissage de la kora, à laquelle il n’était pas destiné. En 2004, l’expert en tambour sabar éprouvera aussi celles de la migration lors de son départ pour l’Angleterre, un « London calling » qui continue de pousser des milliers de personnes à prendre d’énormes risques chaque année. « Le plus douloureux, c’était l’intégration » se rappelle-t-il aujourd’hui. « L’hiver est arrivé et j’avais des problèmes de passeport… j’ai dû jouer dans la rue pour m’en sortir. Mais c’est aussi comme ça que j’ai rencontré une formidable communauté de musiciens à Bath et, grâce au destin, que ma route a croisé celle de Cory Seznec ». Lorsqu’ils se rencontrent dans un bar en 2007, le multi-instrumentiste franco-américain cultive déjà un goût prononcé pour les chemins de traverse : banjo New-Orleans au sein du trio Groanbox Boys, Cory Seznec finit par tomber amoureux des polyrythmies des guitares africaines qu’il ira étudier sur place pendant plus de trois ans, frottant notamment ses cordes bluegrass aux gammes pentatoniques de la musique éthiopienne. Si son approche de la musique s’en trouve profondément modifiée, ne manquaient plus que des retrouvailles avec Amadou Diagne, qui entre-temps a sorti deux disques en solo, pour lui donner tout à fait corps.
« Nous sommes tous les deux des intrus » résume Cory Seznec. « Nous occupons ce même terrain marginal à l’écart de l’industrie de la musique et pourtant, nous demandons un droit de passage ! » C’est donc en iconoclastes qu’Amadou Diagne et Cory Seznec mêlent kora, banjo et guitare pour décliner leurs réflexions sur l’exil, l’intégration, les traditions ou la filiation au fil des treize titres de Right of Passage. Amadou Diagne se fait tour à tour conteur, vigie des traditions en voie de disparition ou encore chroniqueur social, chantant également la mémoire de son grand-père combattant dans « Tirailleur » comme celle de sa mère sur « Yaye Bouye », où accordéon (Michael Ward-Bergeman), contrebasse (Oscar Cainer) et chœurs subtils offrent au morceau un relief et une émotion bienvenus.
Imaginant une fugue à quatre mains aux géographies musicales complémentaires, de l’espace mandingue aux rives du blues américain — sur « Samba » notamment, Amadou Diagne et Cory Seznec s’autorisent des compagnons comme des sorties de route. « Yaen Yalay » et « Machallah » invitent Endris Hassen au masenqo (luth monocorde à archet) pour une virée en terre éthiopienne, « Xam Xam » puise dans les mystères spirituels du juju tandis que les deux artistes reviennent à leur passion pour les guitares est-africaines sur Rumba On The Canal, avant de conclure le disque sur un solo de kora très contemplatif. Si leur aventure manque un peu d’accidents, et donc de piment, ce disque constitue une très belle étape dans la quête musicale de Touki, dont l’authenticité et l’horizon ne sont plus à prouver.
Right of Passage de Touki (Amadou Diagne & Cory Seznec), disponible sur Bandcamp.