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The Pan African Music Magazine
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Les 100 meilleurs albums des années 2010

2020 est déjà là. L’occasion pour PAM de revenir sur les meilleurs albums de la décennie qui s’en va. De 2010 à 2019, voici les 100 disques essentiels de la rédaction.

2010-2020 : dix années s’achèvent, au cours desquelles l’écosystème de la musique aura poursuivi sa mutation, aussi rapide que s’étendait la couverture internet. Les grandes maisons de disques avaient beau tenter de maintenir un semblant de contrôle, les modes de consommation et l’avènement du streaming allaient bouleverser leur domination sur l’économie de la musique. La place des artistes tout autant. En 2019, le DIY — do it yourself — est  devenu la règle, et les EPs ou les singles isolés – mais clippés – servent désormais à faire connaître les artistes ou à les maintenir dans les esprits. À l’orée de la prochaine décennie, la production de disques physiques est devenue un luxe, mais le concept d’album, sous d’autres formes et formats, a perduré. Certains artistes, à défaut d’une sécurité économique, y auront même gagné en liberté.

En attendant la suite, PAM a sollicité bon nombre de ceux qui écrivent sur le site pour vous proposer, de manière chorale, une sélection d’albums parus entre 2010 et 2019, et qui balaie à sa manière, et selon les goûts diversifiés de l’équipe, un large éventail de genres qui, de près ou de loin, sont liés au vaste univers culturel afro. Hip-hop, jazz, reggae, électronique, musiques traditionnelles et urbaines, ou encore dialogues intercontinentaux… de quoi, année après année, faire un riche flash back dans vos souvenirs, ou vous faire découvrir, peut-être, des pépites que vous auriez pu manquer. Avant de sauter à pieds joints dans les années 2020, un petit coup d’oeil dans le rétro ne pouvait pas faire de mal.

Retrouvez les 100 meilleurs albums des années 2010 en playlist sur Spotify et Deezer.


Ali & Toumani
 (2010)
Ali Farka Touré & Toumani Diabaté

Album posthume et ultime enregistrement du grand guitariste malien Ali Farka Touré, Ali & Toumani témoigne de l’amitié profonde qui l’unissait au joueur de kora Toumani Diabaté. Enregistré en 2005, cet album est le second et dernier volet de l’aventure musicale qui lie ces deux grands musiciens. Sorti en 2011 Ali & Toumani fait suite à In the Heart of the Moon, tout en empruntant des chemins différents : onze titres doux et lumineux dans lequel Toumani est tout simplement au sommet de son art. Quant à Ali, il démontre une fois de plus sa maitrise à revisiter tout autant les chansons mandingues que le repertoire cubain. Accompagnés des meilleurs musiciens de studio (dont Vieux Farka Touré, fils d’Ali) Ali et Toumani signent un véritable chef-d’œuvre, testament  musical du guitariste de Niafunké. L’album se voit décerner le Grammy 2011 du «Meilleur album de musique du monde», la troisième pour Ali après Talking Timbuktu en 1993 et  In the Heart of the Moon en 2006. – Christian Askin


My Beautiful Dark Twisted Fantasy
(2010)
Kanye West 

Ce disque succède à 808s and Heartbreak qui avait, au mieux, surpris son audience, mais surtout déçu ses fans. Blessé dans un ego déjà bien boursouflé, Kanye va alors revenir de son studio hawaiien en force, avec My Beautiful Dark Twisted Fantasy, un treize titres ultra-tubesque. Un geste d’autant plus intéressant que cet album illustre parfaitement – d’un point de vue clinique – la mégalomanie et le désir de toute-puissance du producteur. Tendance qui n’aura d’ailleurs de cesse de s’aggraver la décennie suivante.My Beautiful Dark Twisted Fantasy a nécessité en effet près de quarante auteurs-compositeurs, de M.I.A. à Jay-Z en passant par Q-Tip, RZA, DJ Premier, Common ou T.I. Le seul morceau «All Of The Lights» est co-signé par six auteurs et contient quatorze parties vocales (parmis elles Fergie, Elton John ou Alicia Keys). Une logique d’empilement artistique ultra-capitalistique pour une production d’un montant total (rarement atteint) de plus de trois millions de dollars, qui signe en 2010 le retour de Kanye au sommet du game et de sa bipolarité. – Théophile Pillault


Love and Death  (2010)

Ebo Taylor

À la faveur du revival afro-beat et psyché world funk, le guitariste et arrangeur ghanéen Ebo Taylor est apparu sur le devant des scènes européennes, après plus d’un demi-siècle de carrière. À travers des compilations où ses titres perçaient, puis des rééditions d’albums originaux dont Twer Nyame et My Love and Music, deux galettes pétries de highlife qui le hissent au rang de maître grooveur, ou funky father (c’est comme vous voulez). Ce que confirme cet album de la résurrection, où il est associé à l’Afrobeat Academy et l’un des deux Whitefield Brothers, sur l’un des label pionniers en la matière. Pas forcément le meilleur de ses disques, mais une importante étape pour la reconnaissance du natif de Cape Coast en 1936. – Jacques Denis


Flockaveli
(2010)
Waka Flocka Flame 

Waka Flocka Flame est à Gucci Mane ce que Wez, le biker à la crête rouge, est au seigneur Humungus dans Mad Max II : l’exécutant fou, le bourreau enragé, le bras droit encore plus violent que son propre mentor. Aujourd’hui retraité du game, Waka a pourtant brutalisé Atlanta comme personne, de 2010 à 2013. Il existe mille et unes incroyables histoires de beef business, de clashes et de haches de guerres autour de cette TrapStar cartoonesque et de son infâme équipe, le Brick Squad, label pépinière qui révèlera entre autres Young Thug, Future, Fetti Wap, Young Dolph, Mike Will, les Migos, Young Scooter, 808 Mafia (un super groupe de producteurs monté justement par Waka), Peewee et même Nicki Minaj. Pour comprendre l’importance de ce quaterback sur la scène Trap, matez cette subtile séance d’humiliation d’un journaliste de Vice par Waka – et Gucci d’ailleurs –, écoutez l’incroyable mixtape LeBron Flocka James 3, découvrez Waka rapper sur l’instru de Que le Hip Hop français repose en Paix de Booba et surtout, surtout faites de Flockaveli le premier album studio de Waka Flocka Flame, votre nouvelle sonnerie de réveil. – Théophile Pillault


Earthology
 (2010)

The Whitefield Brothers

Neuf ans après In The Raw, album de soul funk vintage, les deux frères munichois – Jan et Max Weissenfeldt – entament la nouvelle décennie avec un disque qui invite à faire un tour de la planète musique. Ou plutôt invente un jeu de pistes, des flûtes orientales aux percussions amérindiennes, de l’afro-beat au hip-hop, des arabesques tendance psyché aux grooveries éthiopiques, toutes réunies dans cet objet nomade à la géographie aléatoire et aux formules orchestrales transitoires (Quantic, Antibalas, Dap Kings…)… Un projet qui, malgré la diversité des sources et des convives (de Mr Lif à Bajka, la liste est longue), trouve son unité dans le son, un irrésistible grain « soul funk ». – Jacques Denis


Aou Amwin
(2010)
Danyel Waro

L’infatigable et extatique Danyel Waro, désormais daron du maloya après quarante ans de chants, de poésies et d’engagements, publiait avec Aou Amwin – de vous à moi – l’un de ses plus beaux disques. On y retrouve tout ce qui fait sa force, ses thèmes favoris (spiritualité, émancipation de l’Afrique, déclaration d’amours au créole et à son île) et ici, peut-être pour la première fois chez ce joyeux enragé, une forme de paix intérieure. Sur plusieurs morceaux de toute beauté, il invite les profondes voix de l’ensemble corse A filetta, et même le rappeur sud-africain Tumi Molekane pour une reprise revisitée de l’hommage qu’il avait écrit à Mandela. Sans oublier le lancinant voulvoul, terrible blues sensuel, ouvre une porte sur les acres douceurs de la chair. – Vladimir Cagnolari 


Jamm
(2010)
Cheikh Lô

Dernier album du chanteur sénégalais sur le label World Circuit, Jamm est un disque charnière. Il y revient notamment sur des classiques ouest-africains qu’il réinterprète à sa sauce, comme il le faisait lors de ses débuts dans le Volta Jazz du Burkina Faso. Les musiques d’inspirations cubaines ont ainsi la part belle sur Jamm. Rien d’étonnant quand on consodère qu’elles font partie du patrimoine africain et qu’elles contribuèrent à faire accoucher le Sénégal de son mbalax national. «Il n’est jamais trop tard», «Warico», «Seyni», ou encore «Ne parti pas» (en fait «Moya») prennent ainsi sous sa patte de nouvelles et subtiles couleurs. Ajoutez à cela le magnifique et émouvant «Sankara», chanson hommage que Cheikh Lô dédie au « Che » africain. – Vladimir Cagnolari


New Amerykah Part 2
 (2010)

Erykah Badu

La seconde partie du dyptique «New Amerykah» sonne comme un retour aux sources apaisé pour la diva mystique de la neo soul. Elle laisse de côté les allusions ésotériques et autres concepts politico-identitaires qui faisaient la richesse (et la lourdeur) du premier opus, pour se recentrer sur une dimension plus personnelle, sentimentale et épurée de sa musique. Toujours aussi bien servie par les meilleurs producteurs de la veine soulful du hip hop : le regretté J Dilla miraculeusement ressuscité le temps de quelques titres, Karriem Riggins, Madlib… C’est pourtant bien Erykah en personne qui dirige les opérations sur ces dix titres envoûtants, avec une vision artistique presque aussi aiguisée que sur son indétrônable classique, Baduizm. Simon Da Silva  


Agadez 
(2011)
Bombino 

Considéré aujourd’hui comme l’un des chefs de file de la musique touarègue et comme l’un des meilleurs guitaristes au monde, Omara «Bombino» Moctar, est un enfant d’Agadez, la plus importante ville du Nord Niger. C’est là qu’il a fondé son groupe pour fêter la vie et les mariages. Là aussi que, de retour au pays en 2010 après un énième exil, il a donné un concert historique devant la Grande Mosquée, célébrant la fin d’un cycle de rébellion. Là enfin qu’il enregistre, en public, une partie de son premier album international. L’autre le sera aux États-Unis, avec des musiciens américains. Le blues du désert est par nature économe, Bombino en joue ici une version épurée, zébrant ses chansons hypnotiques de riffs de guitare électrique subtils et puissants. Deux ans plus tard, Dan Auerbach (Black Keys) produira Nomad, un classique contemporain.- Hortense Volle


Superstar
 
(2011)

Wizkid

Avec son apparence et sa voix d’enfant, le jeune Wizkid a visé juste dès le début. Avec Superstar, son premier album sorti en 2011, Wizkid nous dévoile son immense talent. À une époque où des artistes afro-pop plus âgés comme P’Square et D’banj régnaient sur la scène, Wizkid s’autoproclame superstar. Visionnaire, lorsque l’on connait la notoriété de l’artiste aujourd’hui. L’album connaitra un succès critique et commercial, toutes les chansons devenant des succès, et Wizkid sera acclamé comme l’artiste nigérian le plus prometteur. – Wale Owoade


Ela lia
(2011)

Damily

Après ses cassettes produites et enregistrées à Madagascar, Ela lia est le second disque du guitariste Damily et de ses quatre comparses produit et enregistré en France. Originaire du sud de l’île, Damily est passé maître de ce jeu qui consiste à lancer un train musical à toute vitesse dans la brousse sans que les passagers, auditeurs ou danseurs, sachent jamais quand il va s’arrêter. C’est le propre du tsapiky, un courant musical qui fait vrombir les nuits de Tuléar, le grand port du sud-ouest malgache, où l’on perçoit les échos des basses sud-africaines. Ela lia fait la part belle à ce rythme trépidant (écoutez le titre «Nahoda» !) mais aussi aux ballades qui mettent en valeur les voix profondes et émouvantes de sa troupe. Vladimir Cagnolari 

Komba (2011)

Buraka Som Sistema

Plus accessible que son prédécesseur Black Diamond, le deuxième album des fous furieux lisboètes de Buraka Som Sistema n’en est pas moins frénétique et galvanisant. Komba tire toute son inspiration d’une cérémonie funéraire angolaise du même nom, ayant pour but d’honorer la mort d’un défunt en entamant sept jours de fêtes intensives suite à sa disparition. La célébration exacerbée de la vie, du mouvement et de la fête, c’est bien tout cela qui fait le sel de cet album croisant avec un entrain presque incontrôlé le kuduro, la techno, le breakbeat et le hip hop. Porté par des singles décérébrés à l’énergie contagieuse tels que « Hangover (BaBaBa) » et « (We stay) Up All Night », Komba a permis aux BSS de marquer durablement leur empreinte dans la musique et de l’exporter dans le monde entier. – Simon Da Silva


Super Nova Samba Funk
 (2011)

Banda Black Rio

La mythique formation carioca mené cette fois-ci par William Magalhães (fils du premier leader du groupe, Oberdan Magalhães) apporte une vague de fraîcheur à la soul et au funk sous les latitudes brésiliennes avec Super Nova Samba Funk. Acteur majeur du « Movimento Black Rio » à partir des années 70, le groupe redonne ses lettres de noblesse à leur fusion samba-funk et plus largement à la musique afro-brésilienne de Rio sur ce sixième album feel-good. Reliant Rio, New York et Paris, BBR lorgne vers le hip hop en invitant Flame Killer et GOD PT3, membres affiliés du légendaire duo du Queens Mobb Deep, tout en renouant avec ses racines samba et bossa en conviant les icônes nationales que sont Caetano Veloso, Gilberto Gil, Elza Soares ou Seu Jorge pour de véritables morceaux de bravoure. – Simon Da Silva  

Lost in Time (2012)

Khuli Chana

Khuli Chana a marqué l’histoire en remportant le titre de meilleur album de l’année pour son deuxième album lors des South African Music Awards en 2013, devenant ainsi le tout premier album hip hop sud-africain à être sacré dans cette catégorie. Un événement qui marque le début de quatre années au cours desquelles toute la scène hip-hop s’est montrée plus ambitieuse qu’elle ne l’avait jamais été auparavant. Sans amoindrir la réussite personnelle de Khuli, ni les fulgurances dont regorgent cet album remarquable, Lost in Time s’inscrit dans le sillage tracé par son crew Morafe, dont le son aura marqué un tournant au cours des années 2000 et a ouvert la voie aux générations suivantes. – Tseliso Monaheng


Batida
(2012)
Batida

Double musical et scénique du Luso-Angolais Pedro Coquenão, Batida est allé puiser en profondeur dans la musique angolaise des années 70 qu’il sample pour en proposer une relecture moderne façon kuduro frénétique. L’homme qui ne se définit ni comme artiste, ni comme musicien, ni comme activiste mais avant tout comme un citoyen d’Angola et du Portugal, allie le meilleur de la musique traditionnelle et tribale angolaise revu et corrigé à l’heure électronique de Lisbonne, où il est installé. Il n’y a qu’à se laisser emporter par les transcendants  « Alegria » et « Bazuka » pour prendre le pouls de cet album sans temps mort qui érige un pont culturel entre Lisbonne et Luanda. – Simon Da Silva


Noir Désir
(2012)
Youssoupha 
En 2012, Youssoupha alors trentenaire avec déjà deux albums à son actif, sort Noir D****.  Ce disque, Youssoupha l’a voulu plus plus éclectique. Néanmoins le  « lyriciste bantou » est déjà tranchant dans ses textes qui sortent des sentiers battus du rap français. Il prône la non-violence et l’ouverture d’esprit, le désenclavement. Parmi les dix-spet titres qui nous mènent dans des univers musicaux très différents, on trouve le titre « Les Disques de mon père », un hommage à son père, l’immense chanteur congolais Tabu Ley alias « le Seigneur Rochereau ». Sur le choix du titre de l’album, le rappeur explique : « c’est une façon pour moi d’aborder la question noire et de parler de l’amour dans sa plus grande complexité, la manière dont il lie les gens. Noir Désir, c’est également un combat mené contre les clichés. Il y a une foule de questions à se poser, mais déjà une certitude: la place des Noirs en France n’est pas encore faite. » – Tseliso Monaheng

Mars
(2012)
Sinkane

La genèse de ce disque remonte à 2007, une époque où Sinkane expérimente des joujoux qui lui permettent de créer seul des albums. Il faudra attendre la fin 2011 et ce troisième opus pour que ce réfugié soudanais installé à Brooklyn n’ose envoyer un de ses tubes vitaminés à 200 personnes. « Jeeper Creeper » devient viral et lui ouvre les portes d’un label qui va sortir Mars. Sinkane y invente Caparundi, une terre d’accueil imaginaire pour tous les apatrides du monde moderne dépossédés de leur identité culturelle. Sept ans et quelques albums plus tard, il est clairement devenu l’un des premiers ministres de ce pays qui secoue les planètes jazz, pop, afrofunk, world et hip hop. Extra-terrestre ! – Élodie Maillot


The Tel-Aviv Session 
(2012)
The Touré-Raichel Collective

La musique d’Idan Raichel est devenue la bande son de l’Israël de ces dernières années en rendant hommage aux déracinés. Le pianiste jazz a dynamité la pop de son pays en valorisant les sons de cultures invisibles là-bas, essentiellement celle des Arabes et des Ethiopiens. Alors quand la superstar croise le fils de feu Ali Farka Touré dans un aéroport au hasard de leur tournée, un nouveau chapitre de conversations vers l’Autre s’ouvre… Les deux artistes se retrouveront deux ans plus tard pour une session à Tel Aviv avec Yossi Fine à la basse et Souleymane Kane à la calebasse. C’est le début du Touré Rachel Collective et d’un pont aérien entre le Mali et Tel Aviv. – Elodie Maillot


Good Kid, M.A.A.D. City
(2012)
Kendrick Lamar

Tous les regards se tournent vers le kid de Compton qui, depuis cette année-là, n’en finit plus de grimper sur l’échelle de la popularité. Même si Kendrick Lamar a publié deux autres très bons disques durant la décennie, Good Kid, M.A.A.D. City est définitivement celui qui lui a ouvert les portes du panthéon du hip-hop. Ce disque aux ambiances multiples met de côté les stéréotypes de la West Coast et contribue à redorer le blason d’une scène à l’époque en recherche de nouveauté. Kendrick Lamar y parle de son adolescence dans le quartier de Compton et s’installe dans une confortable bulle soulful et jazzy pour y dérouler son flow aujourd’hui reconnaissable entre mille, qui l’a propulsé dans le cercle convoité des voix les plus importantes du rap contemporain. – François Renoncourt


Chatma (2013)

Tamikrest


Chatma est le 3ème album du groupe de rock touareg Tamikrest. Sorti sur Glitterbeat en 2013,  avec Chatma – qui signifie « soeurs » en tamasheq – Tamikrest offre un blues hypnotique et rend hommage aux femmes touaregs. C’est sans aucun doute l’album le plus psychédélique de leur carrière, à la fois profond et cohérent, affichant ainsi la preuve d’un renouvellement, d’une tradition touarègue qui sait faire peau neuve tout en conservant son ancrage. Le groupe explique : « Depuis dix ans que nous jouons ensemble, nous utilisons les mêmes instruments, les mêmes bases rythmiques, la même façon de chanter : notre tradition musicale. Mais en essayant d’évoluer, d’apporter de nouvelles idées. » – PAM Team


Double Cup
 (2013)

DJ Rashad 

Double Cup est l’unique album studio du regretté DJ Rashad. Devenu aujourd’hui un monument incontestable du mouvement footwork, le producteur et DJ chicagoan pave d’un voie royale le genre qu’il représente à base de hi-hats agités et de samples hypnotiques. Alors en pleine ébullition dès le début de la décennie 2010, DJ Rashad se fait le porte étendard de toute une scène qui ne cesse de s’exporter en dehors de sa ville natale, Chicago. Apparu dans les années 90, au delà de la danse, le footwork est un genre qui n’a pas d’égal, une évolution mutante de la house ultra dansante à base de rythmiques au tempo constamment survolté, de samples triturés et de voix pitchées. Le genre a aujourd’hui largement influencé de nombreuses sous-catégories innovantes de la musique électronique. Double Cup sort sur le label de Kode9, Hyperdub, et fait suite à deux EPs Don’t Give a Fuck et Rollin’. Entre rap (« Pass That Shit »), house (« Leavin »),  techno hardcore (« Acid Bit »), ou encore à la jonction de tous ces genres comme dans le sublime « She a Go » : Rashad montre la direction. – PAM Team


Mayok Fler
 (2013)
Zanmari Baré

Mayok Flèr n’est pas simplement un sublime album de maloya, c’est un disque important. En quatorze pistes poignantes, mêlant fonnkèr (poèmes) et maloya radical au son du bobre (l’arc musical réunionnais), des choeurs et des roulèrs, Zanmari Baré esquisse un avenir pour une veine poétique de la musique traditionnelle réunionnaise à l’époque sous-représentée. Le maître du genre, Danyel Waro, ne s’y est d’ailleurs pas trompé : il lui prête ses musiciens, lui offre un texte inédit et chante en duo un morceau a capella. À l’arrivée, malgré la simplicité de l’orchestration, ce premier album est d’une remarquable épaisseur. Car Zanmari Baré n’est pas seulement doté une voix hantée légèrement voilée et d’un sens infaillible de la mélodie, sa puissance d’interprétation est renversante. – Hortense Volle


Hôtel Univers 
(2013)
Jupiter & Okwess

Lorsque sort Hôtel Univers, Jean-Pierre Bokondji, alias Jupiter, n’est pas complètement inconnu à nos oreilles : après La danse de Jupiter (2006), le documentaire de R. Barret et F. de la Tullaye consacré à la nouvelle scène musicale de Kinshasa, Damon Albarn l’a associé à l’album Kinshasa One Two et au projet Africa Express. N’empêche, la claque est réelle car le son de cet authentique alchimiste tradi-moderne est à nul autre pareil. Sur un rock furieusement tapageur, une basse ronflante et une grosse dose de cuivres façon afrobeat, le « général rebelle » se fait passeur de transes et convoque les innombrables rythmes du Congo pour une grande fête électrifiée. Un album bouillonnant, percutant et révolté qui, à 50 ans, propulse enfin Jupiter sur orbite internationale. – Hortense Volle


Coin Coin Chapter Two
: Mississippi Moochile (2013)

Matana Roberts

Deuxième volet des aventures de Matana Roberts au pays de Coin Coin, personnage central d’une fresque qui devrait compter douze chapitres au final. La jeune saxophoniste et clarinettiste de Chicago y cherche à travers les fantômes de l’histoire américaine, à commencer par ceux de sa famille, à recomposer une bande-son du futur. Entre les lignes, elle y interpelle encore l’actualité à la lumière du passé, à travers une esthétique résolument décloisonner. Et en bon adepte du DIY, elle signe l’artwork, et bien entendu la bande-son, hormis trois traditionnels transfigurés. Poignant, créatif, radical… Les mots manquent pour témoigner de l’urgence de cette musique prophétique, comme le sont le chant divin de Jeremiah Abiah et le souffle cosmique de Matana Roberts. – Jacques Denis


Expressions – Live in Toulouse
(2013)
Natacha Atlas

Natacha Atlas, découverte en 1993 avec le groupe Transglobal Underground puis, en France, avec la fameuse reprise – version pop orientale – de Mon Amie la Rose chantée jadis par Françoise Hardy, se livrait en 2013 à une  expérience inédite. Flanquée de son double et compositeur Sami Bichai, elle se produisait avec l’orchestre (classique) du Capitole de Toulouse, pour quelques soirées exceptionnelles où Expressions fut enregistré. Loin des synthés et des beats pops de ses débuts, les cordes classiques, percussions et flutes orientales mettent plus que jamais en valeur sa voix et ses qualités d’interprète, qui prennent ici les couleurs majestueueses des grandes divas du passé (on pense, entre autres, à Fairuz).  Dans cette orchestration, sa chanson « Mounqaliba » est d’ailleurs plus belle que jamais. – Vladimir Cagnolari


Jama Ko
(2013)
Bassekou Kouyate & Ngoni Ba

Enregistré en 2012 au moment même où le Mali vivait un coup d’état et le début d’une longue descente aux enfers, Jama Ko est l’un des albums les plus aboutis de Bassekou Kouyaté, griot et virtuose du ngoni, un instrument qu’il aura fait voyager aux quatre coins du monde. Son titre, qui désigne les grands rassemblements où parents, voisins et amis se retrouvent, évoque la cohésion sociale mise à mal au Mali. En invitant aussi bien le doyen Kasse Mady Diabaté que la cantatrice Khaira Arby (décédée en 2018) originaire de Tombouctou, il défend les valeurs maliennes face aux islamistes qui menacent alors (et toujours) le pays. L’Américain Taj Mahal est lui aussi de la partie, pour un duo rageusement « blues » (au Mali, on dit « poye »). – Vladimir Cagnolari


Soutak
(2014)
Aziza Ibrahim 

« Quelle sensation ça fait d’être dans un tank, dans le ‘terrier mobile des hommes en guerre’ ? » C’est ce qu’une grand-mère Sarawie tente d’imaginer dans « Sensacion Del Tanque » mis en musique ici par Aziza Brahim, une des rares voix à s’élever pour le Sahara Occidental, territoire en lutte pour l’autonomie. Aziza est la petite fille de Ljadra Mint Mabrouk, surnommée « la poétesse au fusil » pour ses vers récités au front. Elle est née en 1976 dans un camp en Algérie, elle a étudié à Cuba avant de se réfugier en Espagne. Dans son blues ouvert sur le monde et le XXIe siècle, on sent encore un souffle poétique qui brûle la nuque et l’air sec qui enveloppe les dunes à perte de vue. De quoi avaler l’exil et reconstruire un peu d’espoir… – Elodie Maillot


Nzimbu
  (2014)

Ray Lema

Un album à la sobriété radicale, acoustique, entièrement dédié à trois voix trois voix en or dont les syncopes vocales et les chansons tout en souffles dessinent les contours de l’ancien Royaume du Kongo. Entre le fondant Ray Lema, le swing tout en rondeur de Ballou Canta et le flow qui claque de Freddy Massamba, l’accord polyphonique pétille et émeut. Avec élégance et originalité, Nzimbu reprend le répertoire de chacun, revu et corrigé pour l’occasion. Il est question de sagesse, d’amour, de guerre, de patrimoine traditionnel, de deux Congo séparés par un fleuve et des frontières, mais qui ne font qu’un seul et même peuple, ici réunis. – Hortense Volle


Project Elo
(2014)
Tumi Mogorosi

Le label britannique s’est fait une réputation à travers des rééditions de choix. Ce qui ne l’empêche pas de publier des nouveautés dignes du plus grand intérêt. C’est le cas avec ce jeune batteur sud-africain qui s’inscrit dans le sillon des grands anciens. Dès « In The Beginning », on songe au Max Roach du début des années 1960, lorsque ce dernier signait des suites vocales. On pense aussi au Black Christ of the Andes de Mary Lou Williams, aux visions d’un Lateef. L’héritage est assumé, comme celui d’un jazz modal, polyphonique, spirituel. D’ailleurs, le titre du disque renvoie à Elohim. Ce qui ne veut pas dire qu’il sombre dans le béni oui-oui : écoutez donc le cri de « Slaves Emancipation ». – Jacques Denis


Métal métal
(2014)
Metà Metà

En yoruba, Metá Metá signifie « trois en même temps ». En musique, c’est un trio débarqué de Sao Paulo, la mégapole à la folle créativité  : le guitariste et principal compositeur Kiko Dinucci, la chanteuse Juçara Marçal et le saxophoniste-flûtiste Thiago França forment depuis 2009 un triangle équilatéral. Entre eux, en jeu, le panthéon syncrétique du candomblé revisité à l’heure du post-psychédélique, les racines afro-sambistes recuisinées à la sauce des afro beats. En clair, ils explosent les conventions dans la grande tradition des artistes anthropophages brésiliens et chevauchent les esprits des orixas, y puisant une vitale énergie afro-punk aux confins des transes du jazz libre. – Jacques Denis


Black Messiah
– (2014)
D’Angelo

Il aura fallu quinze à D’Angelo pour revenir sur le devant de la scène et accoucher de son Black Messiah. Un coup de maître pour un disque qui,, cinq ans après n’a pas pris une seule ride. Tout l’ensemble tient à merveille : la finesse des arrangements et la qualité de la production font de ce disque un standard de la black music.
Sur des chansons comme «Ain’t That Easy», «Really Love» et «Betray My Heart», D’Angelo  fusionne l’orthodoxe et l’expérimental. Il n’est pas étonnant que le critique musical Robert Christgau ait un jour surnommé l’homme le «R&B Jesus». – Wale Owoade

Anar (2014)
Mdou Moctar 

On avait déjà goûté à la magie des guitares Tamacheck nourries au rock et polies par la débrouille des sables, mais Mdou Moctar fait basculer le genre dans une autre dimension ! Virtuose et gaucher ahurissant, le guitariste nigérien est même acteur (il joue Prince dans un « Purple Rain » des dunes). Anar n’est pas son premier album, mais il va révéler au monde « Tahoultine », une version auto tunée d’un mp3 que toute la jeunesse avait dans son téléphone, du Niger à Gao en passant par Kidal. Ce titre a accroché l’oreille de Christophe Kirkley, patron du label Sahel Sounds, qui a fini par retrouver Mdou en 2012, et lui faire parcourir le monde ! – Elodie Maillot


Where We Come From (2014)

Popcaan 

Comme Vybz Kartel en 2011,  la superstar jamaïcaine Popcaan a collaboré avec le producteur américain Dre Skull du label Mixpak pour son premier album. Six ans après sa révélation, il sort donc Where We Come From, constitué de titres produits par Dre Skull lui-même, avec les renforts de Dubbel Dutch, Jamie Roberts, Anju Blaxx et Adde Instrumentals. Autant de producteurs qui lui ont confectionné des instrus à la croisée de la pop et du dancehall, aussi bien nourris de sonorités électro que hip-hop. Dans une démarche proche de celle du reggae, Popcaan y dépeint la société, ses contradictions et ses inégalités, tout en gardant son côté positif et joyeux. Il chante les galères, le ghetto et la fast life avec un réalisme implacable, comme le ferait Pusha T, qui se trouve être le seul invité de l’album. – PAM Team 


Da Rocinha 2
 (2014)
Sango

Tombé amoureux du Brésil et plus particulièrement des rythmes tapageurs du baile funk, le beatmaker basé à Seattle, également membre éminent de l’écurie Soulection, s’est lancé dès 2012 dans sa propre interprétation du genre avec la trilogie d’albums instrumentaux intitulée « Da Rocinha ». Dans ce deuxième opus, Sango nous propulse une nouvelle fois du côté de Rocinha, la plus grande favela de Rio où serait né la fureur baile funk, et distille sa touche perso dans une fusion toujours plus fougueuse mais qui gagne ici en mélodies. Il ramène dans ses bagages une pléiade de sample soul/R&B, les glisse entre les basses nerveuses purement trap et le groove saccadé du funk carioca, pour un concentré unique de puissance survoltée rehaussée de bribes de voix enivrantes. Grâce à son aboutissement et sa diversité, Da Rocinha 2 a assurément marqué une étape importante dans l’essor du baile funk en dehors des frontières auriverdes. – Simon Da Silva


Musique de Nuit
(2015)
Vincent Segal & Ballaké Sissoko

Six ans après Chamber Music (dialogue fusionnel et obsédant vendu à près de 100 000 exemplaires dans le monde), le joueur de kora Ballaké Sissoko et le violoncelliste Vincent Segal se retrouvent à Bamako pour poursuivre leurs conversations instrumentales, virtuoses et poétiques. Le premier opus avait été enregistré dans l’intimité du studio de Salif Keita, le deuxième est en partie le fruit d’une session nocturne, à ciel ouvert, sur le toit qui abrite la famille Sissoko. Résultat : un disque intemporel où les esprits des musiques mandingues, baroques, brésiliennes, jazz et gitanes se répondent. Une musique tout en effleurements et caresses, bercée par le vol furtif d’une chauve-souris, le bruit d’un tapis de prière que l’on secoue ou les bêlements paisibles d’un mouton. – Hortense Volle


Ibeyi
 (2015)
Ibeyi

Nommant leur duo d’après « les jumeaux qui ont triomphé du diable avec la musique » selon la chanteuse cubaine Daymé Arocena, Naomi et Lisa-Kaindé Díaz embrassent d’emblée leur part insulaire avec Ibeyi, premier album totalement habité par les figures sacrées de la santería cubaine. Initiées très jeunes aux cultes yorubas par leur mère puis de nombreux aller-retours à Cuba avec feu leur père Miguel Anga Díaz, célèbre conguero du Buena Vista Social Club, les sœurs jumelles invitent notamment Elegguá, Changó, Yemayá ou encore Ochún la déesse des eaux vives, de la sexualité féminine et du renouveau sur « River ». À Paris et à tout juste vingt ans, le duo s’imposait d’office avec ce disque soigné comme on signe un portrait : l’une aux claviers, l’autre au cajon et au tambour batá, Ibeyi s’exprime instinctivement par les textures du hip-hop et de la musique électronique. Un premier essai qui plut beaucoup pour sa grande maturité, attirant immédiatement l’attention des plus grands – Beyoncé en tête – et leur ouvrant la voie d’une trajectoire internationale. – Jeanne Lacaille 


Sou Kono
(2015)
Midnight Ravers

Dès les premières notes, on est loin des clichés. Hors du temps et des géographies. Comme propulsé dans une galaxie qui invente l’électro d’un futur mélancolique en passant par le groove mandingue. Ce collectif unique est né des pérégrinations de Dom Peter au Mali. Avec ses machines et son blues, le batteur du groupe de dub lyonnais High Tones y a embarqué des MCs des blocks parties de Bamako, Meleke Tchatcho et Mc Waraba du Supreme Talent Show, la voix aérienne de Fatim Kouyaté, la kora de Madou Sidiki Diabaté, le n’goni d’Assaba Dramé, et le dessinateur Emmanuel Prost. D’une rêverie nocturne onirique poignante, l’album vogue vers les dancefloors poussièreux des Balani Show… Efficace et planant ! Et remixé par Spoek Mathambo ! – Élodie Maillot


Indigo
(2015)

Elom 20ce

Clin d’oeil au classique de jazz Mood Indigo, le troisième projet solo du rappeur et fervent panafricaniste togolais Elom 20ce, est un album pluriel et engagé qui fait la part belle au featuring (Oxmo Puccino, Blitz The Ambassador, Le Bavar, etc.) et à l’instrumentation live. Dédiés à tous les « damnés de la Terre », ses quinze plages résonnent comme autant d’appels à l’indignation. Fait rare pour ne pas dire inédit sur un album de rap, l’une d’elle  se présente sous la forme d’un entretien de vingt minutes avec l’historien Amzat Boukari-Yabara. À noter : Indigo est désormais disponible en vinyle avec un titre originale Eda Kplé Fessu. Le film qui l’accompagne est une petite merveille d’animation autant qu’un précis des violences faites aux Noirs depuis le 17e siècle. – Hortense Volle


From Kinshasa
(2015)

Mbongwana Star

La décennie précédente, le Staff Benda Bilili avaient conquis la planète avec sa rumba funky et son imparable fureur de vivre. Né de sa scission, le Mbongwana (« changement » en lingala), voit deux de ses dissidents et principaux chanteurs, Coco Ngambali et Théo Nzonza, entourés de jeunes musiciens de Kinsasha (dont le talentueux Jean-Claude Kamina Mulodi, dit R9, à la guitare), doigts dans la prise, s’envoler vers de nouvelles voix dopées aux effets synthétiques. Trafiquée avec audace et brio par le réalisateur parisien Liam Farrell, alias Doctor L., la rumba congolaise est en effet secouée d’ondes de dub, parées d’accents punk-rock et de pointes de trip-hop. De ce dancefloor lunaire résulte un charme infini et une véritable addiction. – Hortense Volle 


Big Sun
(2015)
Chassol

Plein soleil ultrabrillant. Après l’Inde et La Nouvelle-Orléans, le pianiste arrangeur surdoué en revient à la Martinique, la terre ancestrale, pour y bâtir un objet qui (entre)mêle film et musique, afin de restituer sa « vision d’une folk antillaise ». Il y a glané des images et des sons, matière première qu’il se charge d’éditer, d’étirer, de boucler, jouant des effets de réitérations d’un son, d’une onomatopée, d’un rythme, captant le chant poignant d’une femme sur « Bwa Brilé », classique d’Eugéne Mona, le phrasé surpuissant d’un reggae lover… De quoi composer une longue suite en trois mouvements dont le titre est une allusion au Big Fun de Miles, redéconstructeur devant l’éternel. Un trip sidérant. – Jacques Denis


DS2
(2015)
Future

Démons intérieurs, titres émo-torturés et confidences crues… L’aura tourmentée de Future lui confère un statut particulier à Atlanta et, depuis quelques années, dans le reste du monde. Comme si, dans le monde ultra-concurrentiel et viriliste de la trap sudiste, il était le seul élu à pouvoir avouer mettre, régulièrement, un genoux à terre. Et faire des albums entier sur le sujet. DS2, son troisième album studio est de ceux-là. Confuse, romantique, éclaboussée du désormais rituel cocktail codéïne-soda… La suite de sa mixtape Dirty Sprite est une longue complainte autotunée, l’hymne d’un looser magnifique, mis en musique par Metro Boomin, Sonny Digital, Southside et bien sûr Zaytoven, le crooner attitré de Gucci Mane. Le seul hit radio-compatible du projet, F*ck Up Some Commas, est volontairement relégué en toute fin d’album et l’unique featuring de DS2 – Where Ya At –, pourtant co-signé avec un gros ambianceur comme Drake –, se noie dans la mélancolie et met un stop à la fame : les premiers seront les derniers. – Théophile Pillault


Coup Fatal
(2015)
Fabrizio Cassol, Rodriguez Vangama, Serge Kakudji

« Coup Fatal », c’est le nom de ce spectacle qui à partir de 2015 a tourné sur bon nombre de grandes scènes européennes. Le disque, qui en est l’exact reflet (les chorégraphies d’Alain Plattel en moins) réussit le pari de marier musique baroque occidentale, rumba congolaise et danse contemporaine. Prélude de Bach à la sanza rejointe par les guitares, lesquelles dialoguent à merveille avec le balaphon sur une Toccata de Monteverdi , et la voix du chanteur haute-contre Serge Kakudji, originaire de Lubumbashi (RDCongo) qui brille au firmament de l’ensemble… Le résultat, orchestré par Fabrizio Cassol et l’excellent guitariste Rodriguez Vangama de Kinshasa restera une référence, sans doute la plus belle depuis l’expérience Lambarena (Hugues de Courson & Pierre Akendengue) vingt ans plus tôt. – Vladimir Cagnolari 


Terry Riley’s C in Mali 
(2015)

Africa Express

Encore une expérience inédite : In C, la pièce musicale écrite en 1964 par le compositeur américain Terry Riley, voyage pour la première fois au Mali sous la houlette de Damon Albarn, Brian Eno, et tout le crew Africa Express. Cette œuvre, devenue un classique de la musique minimaliste et répétitive, installe un motif qui insensiblement évolue et semble tourner sur lui-même, comme une répétition changeant à l’infini.  Autant dire que c’est la une description qui pourrait coller avec nombre de musiques de transe africaines. Percussions, ngonis, balafons, flûtes peules et violons traditionnels sokou s’y invitent donc pour donner de nouvelles couleurs à cet ovni d’un doyen (Riley est né en 1935), enregistré à la maison des jeunes de Bamako. – Vladimir Cagnolari


To Pimp A Butterfly
(2015
)
Kendrick Lamar

Rares sont les albums ayant connu un succès public et critique aussi dithyrambique dans la sphère mainstream des années 2010 que le monumental troisième album de Kendrick Lamar. Complètement bouleversé à la suite d’un voyage en Afrique du Sud en 2014, le rappeur de Compton revient changé sur la côte Ouest américaine avec la ferme intention d’honorer ses racines. Sur To Pimp A Butterfly, Kendrick embrasse l’histoire, l’identité et la condition de la communauté afro-américaine en s’entourant de la nouvelle fine fleur californienne de la Great Black Music, l’architecte Terrace Martin en tête de liste. Tentaculaire, l’album long de 78 minutes est une plongée sans aucun concession dans les entrailles du rappeur le plus ambitieux et doué de sa génération. Si le voyage est certes rétrospectif en terme de sonorités sans que les genres soient repoussés ou réinventés, il est avant tout radical, urgent, et terriblement obsédant. TPAB est un album dont on ne ressort pas indemne. Sans doute la marque des chefs-d’oeuvre.  – Simon Da Silva


A Seat at the Table
(2016)

Solange

A Seat At The Table est l’œuvre d’une artiste accomplie en paix avec elle-même et au clair avec les autres. “Rise”, “Weary”, “Don’t Touch My Hair” avec Sampha, “Cranes in The Sky” ou encore “Mad” avec Lil Wayne : autant de tubes que d’arrêts sur image sur ce que signifie pour elle être afro-américain au 21e siècle. Racisme, lutte, émancipation, fierté sont abordés par le prisme de la délicatesse. A l’heure où les Etats-Unis choisissent Donald Trump pour président et où le monde s’exprime principalement en hurlant, l’épure de A Seat At The Table est franchement salutaire. En préférant une neo-soul digne aux écueils d’un disque pompier, Solange se fait donc entendre, gagnant ainsi le cœur et le respect d’une grande communauté d’artistes qui ne cessent, depuis, de se réclamer d’elle. – Jeanne Lacaille


Akö
(2016)
Blick Bassy 

La puissance de certains fantômes est telle qu’il suffit de raviver leur mémoire pour qu’ils viennent hanter les oeuvres des autres avec élégance. C’est une photo du bluesman Skip James qui accompagnait de rudes soirées d’hiver sans chauffage de Blick Bassy dans le Nord de la France qui a été le combustible et la flamme de cet album magnétique chanté en Bassa. La voix du chanteur y trouve une direction envoutante, éclairée par un passé douloureux et pourtant diablement contemporaine. Le spectre de Skip James convoque les souvenirs d’une enfance au Cameroun, les tourments, les doutes, l’Afrique, l’Amérique, et surtout une beauté universelle : une émotion intense. Un choc magistral ! – Elodie Maillot


Yes Lawd
(2016)

NXWorries

Après Venice et surtout Malibu, un album au début 2016 à la conjonction de la soul so deep, du gospel hiératique et du rap tendance organique, Anderson .Paak confirme son caractère d’outsider. Le prodige californien (il tâte des baguettes comme du micro) qui se révéla sur le Compton de ce bon vieux Dre signe ainsi avec le producteur Knxwledge, un album du style oblique sous le nom de code NXWorries. Aux lisières de tous les genres, ils y regroupent un ensemble de dix-neuf titres, inédits ou extraits d’anciens EP, pour former un album-concept aux faux airs autobiographiques. What More Can I Say ? – Jacques Denis


Love & Hate
(2016)
Michael Kiwanuka

Repéré sur la foi d’un premier recueil qui le promut au rang de meilleur espoir de la soul en 2012, le jeune Londonien d’origine ougandaise confirme tout le bien que promettait la terrible ballade Worry Walks Beside Me. Hendrix et Dylan, Curtis Mayfield et Neil Young, Otis Redding et Bill Withers, les références qu’on lui colle aident à situer la hauteur de sa musique. Une écriture soul pop dans un écrin designé par Danger Mouse, telle est la recette de ce classique qui rappelle les grandes œuvres des années 1970 : funk-rock symphonique, gospel-folk mélancolique et coup de blues stratosphérique pour finir, tout ici sonne parfaitement raccord avec le climat rétro-futuriste des années 2.0. – Jacques Denis


Blonde
(2016)
Frank Ocean
Dire que le deuxième album du prodige du R&B qu’est Frank Ocean était attendu relève de l’euphémisme. Maintes fois repoussé, sa sortie inespérée et confuse au crépuscule de l’été 2016 restera un souvenir longtemps gravé dans les mémoires des mélomanes. Heureusement pour nous, l’attente n’aura pas été vaine. Sur Blonde, Frank Ocean transcende chaque morceaux de sa grâce, se livre à coeur ouvert comme rarement un artiste de son ampleur s’est livré, et partage dans une geste d’une introspection totale les phases de doute, d’échec mais également de joie qu’il a traversées lors de sa longue absence médiatique. Sorte de journal intime pop, à la fois exigeant et épuré, Blonde donne à ressentir les fêlures d’un artiste écorché vif au sommet de son art, et dont “Self Control” est sans aucun doute la plus belle illustration. La mélancolie, l’expérimentation au profit de l’émotion et d’une sincérité déchirante, tout cela concentré en quatre minutes d’une classe divine. – Simon Da Silva

Telefone
(2016)
NoName

Telefone est l’un des albums de rap féminin les plus inspirés de ces dernières années. Issue de la nouvelle scène du rap de Chicago et membre du cprestigieux collectif Pivot Gang, NoName a surpassé toutes nos attentes. Son flow est unique et le choix des beats montre toute l’influence de sa ville, tout comme le choix des invités sur l’album. Il n’y a qu’à écouter le sublime “Shadow Man” sur lequel elle invite le trio Phoelix (Smino et Saba ont depuis monté un groupe, “Ghetto Sage”, en surfant sur le succès du titre). D’autres morceaux comme “Yesterday” ou “Freedom Interlude” sont riches de mélodies et d’arrangements influencés par le jazz, parfait pour le flow de NoName. Expansif avec des détours par la neo-soul, le jazz, et le R&B, Telefone est un disque indispensable pour les fans de hip-hop moderne. – Christian Askin


A mulher do fim do mundo
 (2016)
Elza Soares

C’est à l’âge de 78 ans et en prenant tout le monde à contrepied que l’infatigable Elza Soares a sorti cet album, chef-d’œuvre de samba alternative sombre et viscérale. A des années-lumière des stéréotypes en la matière, la reine de la samba s’entoure d’une brochette de musiciens d’avant-garde de São Paulo pour entourer sa voix rauque de guitares distordues, rythmes expérimentaux et mélodies minimalistes. En posant littéralement ses tripes sur la table, la brésilienne crache son désarroi et use de son vécu pour dépeindre son pays et ses fléaux actuels : le racisme, les violences domestiques, les addictions au sexe ou à la drogue. Les épisodes douloureux de sa vie et sa carrière hors du commun s’additionnent et transpirent des pores de cet album à la fois malsain, puissant, mélancolique… et toujours intense ! – François Renoncourt


Made in the Manor
(2016)
Kano

Quinze ans après ses débuts avec le super-banger P’s and Q’s, Kane Kano Robinson continue d’être le secret le mieux gardé d’Angleterre. Franchement, pourquoi Dizzee Rascal, Skepta ou Stormzy devraient être célèbres si Kano continu d’être abonné à l’underground ? Décidément, il n’est rien de plus de cruel que l’arbitraire distribution de carrières dans la musique. Mais après tout, peut-être que gouverner son East Ham originel – quartier de Londres qui a enfanté des pelletées de footballers ou Idris Elba – suffit à Kano ? Gouverner… et sortir les meilleurs albums de grime de la scène. En 2016, alors qu’il incarne depuis cinq ans le personnage de Sully dans l’immense série Top Boy, Kano sort Made in the Manor, son meilleur opus à ce jour. 3 Wheel-ups, This Is England, A Roadman’s Hymn ou Drinking In The West End… Cet album est flanqué d’une incroyable diversité d’instrus, empoignées par un flow, une voix et des lyrics inouïs. Ne manquez pas GarageSkank et le bien-nommé Flow Of The Year, les deux bonus track de cet album, sûrement un des plus sous-estimés de cette décennie musicale. – Théophile Pillault


Arbina
(2016)
Noura Mint Seymali

La chanteuse mauritanienne, élevée dans la musique, offrait en 2016 cet album déjà devenu un classique du rock saharien. Qu’elle s’inspire de la musique de louange religieuse (Arbina, titre qui est aussi celui de l’album, est l’un des noms du Divin) ou de la poésie maure (dont son père fut un grand interprète), le son de Noura Mint Seymali est résolument rock (la batterie de Matthew Tinari n’y est pas pour rien), tendance psychédélique (et là, c’est le luth traditionnel Tidinit de son mari Jeiche Ould Chighally qui prend des accents hendrixiens). Enregistré à Brooklyn, ce second disque a propulsé la chanteuse dans une autre dimension, et vers de nouvelles collaborations, comme cette année 2019 avec les Tinariwen, cousins rockeurs et tout aussi sahariens. – PAM Team


Landlord (2016)

Giggs

L’aura de Giggs était déjà bien établie chez lui, au Royaume-Uni, au moment de la sortie de son quatrième et plus grand succès à ce jour, Landlord. Cet LP est un uppercut en pleine face donné à la maison de disques XL Recordings, pour l’avoir éjecté de son catalogue après la sortie de deux de ses albums Let Em Ave It (2010), et When Will It Stop (2013). Bien que Landlord soit composé d’une série de bangers, les auditeurs ont également eu droit à des moments de pur introspection de la part du MC qui s’accapare les genres – de la grime au gangsta rap, en passant par la drill – particulièrement sur le glaçant et ténébreux  » Just Swerving « . Landlord est un album déterminé, rempli de couplets incisifs qui en disent long sur l’état d’esprit et la hargne qui habitait son auteur lors de cette phase tourmentée. – Tseliso Monaheng


Wisdom of Elders
(2016)
Shabaka & The Ancestors

Wisdom Of Elders est le premier album en son nom du saxophoniste anglais Shabaka Hutchings (The Comet Is Coming, Sons Of Kemet, Anthony Joseph…). Enregistré à Johannesburg en 2015 durant l’un des nombreux voyages de Shabaka Hutchings sur place organisé dans le but de s’immerger lui-même dans le riche héritage musical du pays. L’album est un véritable psaume découpé en neuf parties.

8 personnes rassemblées dans un studio de Johannesbourg pour donner naissance à ce disque : un saxophone ténor, un saxophone alto, une trompette, une voix, des claviers, une contrebasse, des percussions et une batterie. A eux tous, ils résument ainsi le destin de l’Afrique (et du pays de Mandela) : « 800 millions de voix. 700 ans. Des millions d’os brisés sous le poids de 22 années de fausse liberté ». D’innombrables petites étincelles, une explosion incontrôlable. – PAM Team


Yermande
(2016)
Mark Ernestus’ Ndagga Rhythm Force

Après plusieurs performances lives, la collaboration finale entre le géant de la techno allemande Mark Ernestus — fondateur de Basic Channel et Rhythm & Sound — et les musiciens de Jeri-Jeri, est époustouflante. Intitulé Yermande, l’album de six titres connecte le mbalax sénégalais, le dub jamaïcain et la techno minimale berlinoise comme s’ils avaient toujours coexisté. « Cette fois-ci, j’ai mieux été en mesure de préciser ce que je voulais dès les premières sessions d’enregistrement à Dakar, explique Ernestus. J’ai pu aller plus loin dans le processus de production, prendre plus de liberté dans la réduction et l’édition des pistes audio, remplacer les sons de synthé et introduire des samples de batterie électroniques. » – PAM Team


99,9%
(2016)
Kaytranada

Pas tout à fait à 100%, Le DJ et producteur montréalais d’origine haïtienne a pourtant frappé un grand coup en 2016 avec ce premier album à l’univers aussi hypnotique que sa sublime pochette réalisée par Ricardo Cavolo. Louis Kevin Célestin aka Kaytranada nous montre l’étendu de son talent avec ses instrumentaux kaléidoscopiques passant d’inspirations jazz, R&B, house, MPB ou hip hop d’une track à l’autre. À l’image de sa musique éclectique et dansante, le génial beatmaker ramène un cortège de vocalistes parmi les plus smooth de la scène rap/R&B pour donner vie à ses compositions. On se retrouve ainsi avec un album léger fait de grooves irrésistibles et servis par un casting de luxe : Anderson. Paak, Syd, GoldLink et consorts… – Simon Da Silva


Stillness in Wonderland
(2016)
Little Simz 

D’après ses propres déclarations, la conception du second album de la rappeuse londonienne d’origine nigériane a représenté une épreuve délicate. Inspiré du roman fantasmagorique de Lewis Carroll comme son titre l’indique, Stillness in Wonderland reprend la trame du récit d’Alice (in Wonderland) transposé sous le regard de Simbi Ajikawoaka aka Little Simz dans le monde halluciné de l’industrie musicale et ses revers. La prodige du rap UK nous plonge durant 16 pistes ascendant downtempo et trap dans son pays des merveilles. A la fois complexe, riche et très plaisant, le périple dans lequel nous entraîne Simz donne à voir le revers de la médaille une fois la popularité acquise avec une parabole ingénieuse, qui prenddavantage d’ampleur encore dans le court-métrage qui accompagne l’album. – Tseliso Monaheng


Zaneliza: 
How The Water Moves (2016)
Msaki

Ce premier album de l’artiste sud-africaine Msaki continue, quatre ans après avoir vu le jour, de trouver un nouveau public. Sûrement parce que Zaneliza s’écoute d’un bloc, comme un ensemble de titres qui se suivent et qui donnent à ce disque une cohérence assez rare pour un premier essai. Msaki est une auteure-compositeure de talent, elle a participé à une des plus grandes chansons de 2019, « Fetch your Life » de Prince Kaybee. Accompagnée de musiciens d’exception, ce disque est aussi une histoire de rencontres et de collaborations, où Msaki s’affirme tout en tirant le meilleur de ses nombreux invités. Tseliso Monaheng


Lemonade
(2016)

Beyoncé

D’une densité sans précédent chez Beyoncé, à la fois œuvre totale et manifeste afro-féministe, Lemonade frappe fort à sa sortie en avril 2016. Si ses difficultés de couple avec Jay-Z sont le prétexte narratif initial du disque et du film qui l’accompagne, Beyoncé s’y affirme en véritable lionne aux manettes de sa propre émancipation en tant que femme afro-américaine, multipliant invitations et références – discours de Malcolm X, vers de la poétesse anglo-somalienne Warsan Shire ou samples de prison songs enregistrés par Alan Lomax. Bien que Lemonade ait fait couler beaucoup d’encre à sa sortie, cette superproduction a aussi fait des enfants… A l’image d’Ibeyi avec Ash l’année suivante, dont le propos est sensiblement le même, invitant à leur tour un casting afro-américain xxl, ainsi que les discours de Frida Khalo ou de Michelle Obama contre les violences faites aux femmes.  – Jeanne Lacaille 


Simisola
(2017)
Simi

La musique de Simi repose sur deux fondamentaux : l’émotion et l’honnêteté. L’introduction de Simisola, “Remind Me” représente bien cette volonté. Sur des notes de piano plaintives, elle se lamente sur son incapacité à montrer de l’affection aux autres. Simisola poursuit sur la même force sentimentale tout le long des quatorze morceaux qui le compose. Sa voix, légère et pleine de force, est renforcée par son écriture agile qui traverse un panel d’émotions large, sur des productions highlife, R&B et juju menées avec un évident savoir faire. Aucune surprise que l’album ait glâné le prix de meilleur album de l’année aux Headies, la plus prestigieuse cérémonie du monde de la musique nigériane. – Wale Owoade


Open Letter to Adoniah
(2017)
Sibusile Xaba

Parmi les musiciens de la relève jazz d’Afrique du Sud, le guitariste et chanteur Sibusile Xaba est sans aucun doute le plus élégant de tous. S’il maîtrise les fondamentaux, appris notamment aux côtés du Dr Philip Tabane et du roi de la guitare zulu Madala Kunene, Sibusile Xaba les sublime dans Open Letter to Adoniah, un premier double album solaire au fil duquel ce dernier transmet à son fils l’énorme héritage musical du KwaZulu-Natal. Avec un doigté virtuose à la hauteur de la richesse mélodique de ses prières vocales – flirtant parfois avec le scat, Sibusile Xaba s’inscrit à deux pieds dans les traditions maskandi et folk sud-africaines. Dans l’improvisation, le musicien pousse d’un cran sa quête spirituelle vers une terre qui n’aurait pas connu l’apartheid, parfaitement soutenu par les percussionnistes Dennis Moanganei Magagula et Thabang Tabane… De vrais moments de grâce. A suivre en 2020 : Ngiwu Shwabada, un nouvel opus dédié à ses ancêtres qui invite notamment le saxophoniste Shabaka Hutchings. –  Jeanne Lacaille


Thuto
(2017)
Cassper Nyovest

Thuto, le troisième album du rappeur sud africain Cassper Nyovest est un hommage à sa sœur aînée Thuto Phoolo. Certifié disque de platine (100 000 albums vendus), Cassper Nyovest, avec son lyrisme subtil soutenu par une production de qualité, ne se trompe pas et fait de chacune des pistes qui composent l’album un hit. Sorti en 2017, le succès commercial de l’album n’a fait que confirmer sa place au panthéon du hip hop sud africain. – Wale Owoade


Arise
(2017)
Zara McFarlane 

Arise est le troisième album de Zara McFarlane sorti sur le label Brownswood de Gilles Peterson.  La chanteuse née à Londres de parents jamaïcains ne s’est  jamais cachée de l’influence immense de son deuxième pays. Avec Arise elle explore l’héritage de ses racines caribéennes. Avec sa voix suave d’une justesse et d’une intensité impressionnantes, oscillant entre jazz et tradition,  à l’image du titre « Fisherman », ultime chanson de l’album et cover du titre culte des Congos, Zara se place parmi les artistes les plus brillants de la scène jazz britannique. – Tseliso Monaheng


Culture
(2017)

Migos

Soyons honnêtes : la scène Trap  3.0 actuelle est composée à 80 % de wankers, spécialisés dans les stoopid sounds. Lorsqu’ils ne sont pas occupés à mourir d’OD ou à se mettre à table avec le FBI, les mumblers tentent uniquement d’exploser les compteurs YouTube. Les scandales n’en finissent pas, la musique n’avance plus vraiment et, même au cœur de la mère-patrie Atlanta, le mouvement est troublé. Heureusement qu’une poignée de jalons ont été posés préalablement avant que la Trap ne s’autodétruise. Comme en 2017, avec ce Culture des Migos. En treizes titres, les trois (a)Migos vont réorganiser toute la géographie des States, et placer le Sud au sommet de l’industrie musicale : instrumentaux paralysants, lyrics faussements simplistes mais en réalité hautement référencés, science des arrangements vocaux poussée à son paroxysme – les adlibs de Migos composent parfois des mélodies à part entière, absolument surréalistes. De T-Shirt à Bad and Boujee (qui au passage, a fait éclore Lil Uzi Vert) en passant âr Slipper en feat. avec leur mogul Gucci Mane… Cet album surnage littéralement au-dessus de la mêlée, et constitue une porte d’entrée privilégiée dans la vaste scène d’Atlanta, toute générations confondues. – Théophile Pillault


Black Origami
(2017)
Jlin

La productrice américaine Jerilynn Patton, connu sous le nom de Jlin, avait déjà secoué la scène footwork en 2015 avec son premier album, Dark Energy. Un de ses morceaux fut même joué par Aphex Twin en 2016 lors de son grand retour sur scène. Rien d’étonnant quand on sait que ce dernier est très proche du boss de Planet Mu, le label qui accueille les albums de Jlin.  Avec Black Origami, Jlin amène le footwork — style de musique électronique ainsi qu’une street dance originaires de Chicago — vers de nouvelles terres : « Je vois le footwork comme une musique club africaine qui s’inscrit dans l’ère du temps. Le genre en lui même vient de Chicago mais ses racines viennent d’Afrique. » Ses percussions explosives et agressives, parfois inspirées de celles de l’Afrique de l’ouest, prennent aux tripes comme si l’on se retrouvait au coeur d’un rituel survolté… en l’an 3019. – PAM Team


Colón Man
(2017)
Equiknoxx Music ‎

Avec ce véritable premier album, les visionnaires du dancehall jamaïcain –  Gavin Blair (Gavsborg) et Jordan Chung (Time Cow) s’orientent vers des territoires plus sombres et psychédéliques que leur précédent projet Bird Sound Power sorti en 2016. Colón Man mélange avec habileté les riddims jamaïcains aux sonorités électroniques futuristes. L’album fait référence à un conte (et une chanson) jamaïcain parlant du retour au pays d’un mystérieux personnage, qui, comme le militant Marcus Garvey, faisait partie des 100 000 Jamaïcains envoyés sur les travaux du Canal de Panama au début du 20ème siècle. Ce conte a ainsi servi de « fondation métaphorique » pour la composition de l’album, dans lequel le groupe reconnaît « les fondements essentiels des précédentes générations de producteurs tout en contextualisant leurs nouvelles avancées dans le dancehall jamaïcain. » – PAM Team


Process (2017)

Sampha
Après avoir travaillé avec les plus grands (Drake, Kanye West, Frank Ocean, SBTRKT, Solange…), Sampha dévoile enfin Process, son premier album studio. Un disque solaire et contemplatif qui s’illumine au fil de l’écoute. 43 minutes où l’artiste s’élève dans un monde sensible chargé d’émotions portées par son piano, instrument qu’il joue depuis l’âge de 3 ans. Pour Sampha, le piano est un pilier de son développement personnel. L’une des rares choses qui l’ait toujours accompagné : «tu me montres que j’avais quelque chose que certaines personnes appellent une âme», lui confie-t-il sur «(No One Knows Me) Like the Piano». Avec Process, Sampha ouvre en grands les portes de son univers et on y découvre tout son talent, dans un album qui allie avec succès l’électronique au classique, au service de textes poignants.-  PAM Team
 

Mogoya
(2017)
Oumou Sangaré

Avec Mogoya, Oumou Sangaré intégrait la maison No Format pour un album dont la production tranchait avec ses disques précédents, sans jamais perdre des qualités essentielles de la diva malienne : sa voix et les rythmiques du wassoulou qu’elle porte mieux que quiconque. Au kamele ngoni et au karigna s’ajoutent ici tantôt des claviers synthétiques milimétrés, la batterie de Tony Allen (sur le très sombre « Yere Faga« ), ou encore le violoncelle si sensible de Vincent Segal sur le magnifique Mogoya. Mais – et c’était l’ambition de la chanteuse – Mogoya offre aussi plusieurs titres calibrés pour faire danser dans les clubs, qui inspirèrent d’ailleurs plusieurs remixes. Bref, une petite révolution où jamais Oumou Sangaré ne se trahit. Et pour mieux le prouver, No Format publiera en 2020 une version acoustique de la plupart des titres de Mogoya. – Vladimir Cagnolari


Chronology
(2017)
Chronixx 

Après un début fracassant avec Dread and Terrible, qui faisait suite à plusieurs mixtapes et des collaborations qui ont créé le buzz, Chronology arrive comme une prophétie accomplie. Sur l’album, Chronixx emprunte les sonorités vocales du reggae sur des riddims qui vont du reggae roots (« Skankin ‘Sweet ») au hip hop ( » Selassie Children »), au ska (« Majesté »), notes de gospel, ou encore musique électronique. Chronology est une  inspiration pour les jeunes du ghetto du monde entier pour qu’ils continuent à bouger, à se battre et à redoubler d’efforts pour s’en sortir. – Tseliso Monaheng


Ladilikan
(2017)
Trio Da Kali & Kronos Quartet

Ladilikan est la collaboration inédite entre un célèbre et téméraire quatuor à cordes et un trio malien, héritier de la tradition des griots. Auteurs d’une cinquantaine d’albums où figurent des artistes de renom tels que Rokia Traoré ou le Taraf de Haïdouks, pas étonnant que le Kronos quartet se soit rapproché du chant délicat, du balafon et du n’goni du Trio Da Kali, le temps d’un projet éphémère. Ensemble, les sept artistes ont réussi à trouver un équilibre quasi-spirituel entre musique mandingue et classique. Sur cet album à la beauté déconcertante, les deux univers cohabitent et le mélange atteint son paroxysme quand la voix d’Hawa Diabaté (fille de Kassé Mady) flotte sur les envolées lyriques des violons et violoncelles du quartet américain. Un disque one-shot indispensable. – François Renoncourt


Gulu city anthems
(2017)
Otim Alpha

Au premier abord, la musique d’Otim Alpha peut sonner comme le délire compulsif d’un chanteur de mariage qui aurait trouvé une boîte à rythmes dans un grenier. En y regardant de plus près, cet ancien boxeur devenu musicien s’approprie et détourne avec brio les chansons acholi jouées par les orchestres larakaraka lors des mariages. Epaulé par son producteur Leo Palayeng, le représentant de la ville de Gulu glisse les traditions ougandaises dans une turbine électronique pour en sortir des bangers destinés aux clubs. C’est Nyege Nyege Tapes, label à l’imagination sans limite, qui met une fois de plus l’Afrique de l’Est au centre de la mappemonde avec cette compilation qui rassemble 11 titres qui rendent fou et invitent irrésistiblement à la transe. – François Renoncourt


Birds and The Bee 9
(2017)
Sampa the Great

Si la jeune rappeuse née en Zambie signait cet automne The Return, premier long format largement plébiscité après plusieurs tournées aux côtés de Thundercat, Ibeyi, Kendrick Lamar ou encore son icône Lauryn Hill, c’est qu’elle exposait déjà dans Birds and The Bee 9 l’essence de ce qui la compose. Elle s’y affiche en Reine de la Nature mais attention : chez Sampa Tembo alias Sampa The Great, la rime est ardente et le hip-hop frondeur, féministe, spirituel et fier de l’être, notamment dans des titres comme “The Healer”, “Black Girl Magik” ou encore le tubesque “Rhymes to The East”. Elle qui rêvait d’une carrière à la Tupac comme d’un idéal inaccessible qu’elle a longtemps caché aux siens, la voilà trouvant dans cette mixtape très aboutie, conçue comme une œuvre totale, l’impulsion nécessaire à son ascension sans faute. Comme son nom l’indique, Sampa est grande, et c’est pour de vrai ! – Jeanne Lacaille 


IIII + IIII (2017)
ÌFÉ

Ife est une ville située au sud-ouest du Nigéria, dont le nom signifie « aimer » ou « affection » en yoruba. Mais IFÉ est également un groupe basé à Porto Rico créé par Otura Mun, et qui mélange les genres : rumba cubaine, sonorités électroniques et traditionss musicale yoruba. Otura Mun est un artiste Afro-Américain originaire du Texas. Il s’est installé en 1999 à Porto Rico et est devenu depuis une figure de la scène locale, produisant la chanteuse Mima ou le groupe Cultura Profetica.  Il est initié dans la santeria, le culte des orishas (divinités) venus d’Afrique développé par les communautés d’esclaves à Cuba, et devenu l’une des religions nationales.
La beauté de la musique d’ ÌFÉ réside dans les détails, comme sur « House Of Love ». Son groove est basé sur un motif rythmique utilisé dans la rumba afro-cubaine qu’il fusionne avec les codes du dancehall jamaïcain, créant ainsi des frottements sonores uniques. IIII + IIII est un album qui puise dans les traditions, et les projette vers une modernité futuriste qui fait attendre avec impatience le prochain opus de ce groupe dont la créativité semble sans limites.  – PAM Team


Radio Siwèl
(2018)
Melissa Laveaux

Pour son troisième album, le premier chanté exclusivement en créole, la canadienne s’est inspirée de chansons populaires haïtiennes qui à leur manière s’élevaient contre l’occupation américaine de l’île au début du XXème siècle. Presque tous les morceaux de ce disque sont donc des hymnes de résistance à l’occupant dont, souvent, il ne restait que des fragments. Cent ans plus tard, Mélissa Laveaux complète les vides et raconte, d’une voix insolente et solaire, l’histoire du pays qui vit naître ses parents autant que sa vie personnelle. Il en résulte un disque à guitares (la sienne et celle de son ami Drew Gonsalves du groupe Kobo Town), à l’énergie rock et au groove permanent. Un petit bijou pop aux refrains entêtants. – Hortense Volle


Poaa
(2018)
Bamba Pana

Bamba Pana est l’un des principaux producteurs du studio Sisso Records – une plaque tournante centrale pour les MC et les producteurs de la scène Singeli dans le ghetto de Mburahati, dans la banlieue de Dar Es Salaam en Tanzanie. Une scène passionnante porté par le prolifique collectif Nyege Nyege, fer de lance d’une musique qui bouleverse les codes établis. Avec ses pairs, Jumanne Ramadhani Zegge (aka Bamba Pana) revisite le singeli à l’aide de son ordinateur portable et de logiciels introduisant des rythmes uptempo (le plus souvent à 150 bpm) et des mélodies de synthés entraînantes. Difficilement descriptible, ça pourrait s’apparenter à du kuduro ou a du grime mais passés au mixeur tanzanien. C’est addictif : les neuf titres ne devraient pas vous laisser assis sur votre chaise. Fire ! – PAM Team


137 Avenue Kaniama
(2018)
Baloji

Dans un bouillonnement parfois sensible, parfois furieux, Baloji arrange avec une autorité impressionnante son quatrième album. Les cordes d’un violon s’invitent sur de la rumba, la trap se frotte au bikutsi et l’afrobeat comme les musiques électroniques sont convoqués pour porter le flow de cet artiste complet. Auteur-compositeur, ce « congolais d’Outre-Mer » est avant tout un poète. Et un rappeur, amateur de sample, au grand talent de storyteller, qui continue de poser son regard critique sur les affaires du pays et plus largement sur celles de son continent d’origine. Mention spéciale pour Peau de Chagrin – Bleu de Nuit, un texte magnifique sur l’amour charnel qui évoque aussi ce moment de bascule que l’on appelle « petite mort ». – Hortense Volle


Conquistadors
(2018)
Toofan

Malgré les milliards de vues sur Youtube (!) et le succès mondial de leurs chorégraphies (en mode « teré », « cool-catché », «épervier ogbragada », etc…), il aura fallu attendre ce cinquième album pour que le duo togolais pousse enfin la porte d’une major! Alors Conquistadors donne le ton : Masta Just et Barabas veulent « Gbessi Gbeko » (faire un truc de fouuuuu) !!!  En cultivant toujours un éclectisme axé sur l’agitation festive des reins (hip hop, coupé décalé, afropop etc), le duo s’offre même quelques featurings de luxe (Koffi Olomidé, Wale, Louane, Lartiste). Résultat : beaucoup de tubes dansants, avec une mention spéciale à l’Affairage et à Money, un afro trap autotuné imparable qui chronique ce que la monnaie peut renverser dans la vie. De quoi placer définitivement Lomé sur les places financières  ( et dansantes) internationales ! – Elodie Maillot


Everyone’s Just Winging It And Other Fly Tales
(2018)
Blinky Bill

C’est en grande partie dans son studio de Nairobi que l’homme fort de l’underground kényan et pilier du collectif Just A Band a enregistré son premier opus : 12 titres gorgés de groove (quelque part entre rap, funk, nu soul et électro) qui font la part belle à la bouillonnante scène urbaine kényane (Muthoni Drummer Queen, Sage…) et plus largement afro (Petite Noir, Sampa the Great, Nneka). Un album feel good chanté en anglais et en swahili qui doit sa cohérence au flow lancinant de cet expérimentateur prolifique et à son impeccable production. Spéciale recommandation pour les titres Atenshan, Dont’Worry, Mungu Halili (« Dieu ne dort pas ») et Showdown. – Hortense Volle 


Downtown Castles Can Never Block The Sun
(2018)
Ben Lamar Gay

Fruit d’une sélection à partir des sept albums publiés sur le Net depuis 2010, cet album donne à entendre tout ce que sous-tend la Great Black Music, ce mot né dans les communautés avant-gardistes du Chicago des années 1960. Normal, Ben Lamar Gay, instrumentiste surdoué – cornettiste, chanteur, claviériste, flûtiste, il joue même du ngoni – est né en 1978 dans le South Side, l’épicentre créatif de la cité des vents, où sa singularité s’est illustrée au sein de collectifs de graffeurs, puis dans les musiques électroniques. « Mais derrière il y a toujours le blues ! » Même quand il va au Brésil, ce chercheur de sons traque cet esprit, le son des origines pour inventer des lendemains qui swinguent autrement. – Jacques Denis


Khonnar (2018)
Deena Abdelwahed

Après un premier EP sorti en 2017 et une apparition sur l’importante compilation du collectif Arabstazy dont elle fait partie, Deena Abdelwahed poursuit l’aventure avec le label français InFiné pour son premier album intitulé « Khonnar ». Prononcé « ronnar », le terme fait pleinement partie du registre linguistique et culturel tunisien. Il évoque « le côté sombre, inavouable et dérangeant des choses qu’on cherche à dissimuler, mais que Deena s’efforce de faire resurgir à travers sa musique, » qui oscille entre bass music, techno et musique expérimentale. Dès les premières secondes de Khonnar, on retrouve une atmosphère bien plus introspective que sur son premier EP. Tête de liste de la nouvelle scène techno maghrébine, ancienne jazzwoman reconvertie en figure incontournable du Plug à Tunis, Deena Abdelwahed est l’archétype d’une génération mondialisée, née avec Internet et pour qui les frontières sont une notion obsolète.
PAM Team


Sabor Maracujà Desnuda
(2018)

Gilberto Rodriguez y Los Intocables 

Inconnu de ce côté-ci de l’Atlantique avant qu’il ne débarque avec ses « Intouchables » aux récentes Transmusicales rennaises, ce jeune trentenaire de la Baie de San Francisco, enfant de parents émigrés mexicains, se révèle comme une tenace promesse avec un disque passionnant, une « prière passionnée » qui n’est pas sans faire écho aux grandes heures de la soul chicano comme des meilleures faces du latin jazz expérimental. Le tout réhaussé d’un séduisant song writting et d’une singulière prise de son, propices aux plus entêtantes dérivations vers les profondeurs spirituelles. Cumbia prise de côté, rumba décadrée, cette transe aussi minimaliste qu’expansive emprunte différentes rythmes pour vous saisir corps et âme. – Jacques Denis


Tomorrow Comes the Harvest
(2018)
Tony Allen & Jeff Mills

L’histoire commence fin 2016 lorsque Tony Allen invite Jeff Mills à jouer sur un album. De cette rencontre découle l’idée d’un show à deux, c’était au New Morning à Paris. Ils se produiront dans des club de jazz où les deux légendes s’adonnent à des live improvisés. Il aura fallu attendre deux ans pour que cette collaboration voit le jour sur disque. Sur « The Seed »le groove unique de Tony rentre en collision avec la techno symphonique de Mills laissant à chacun la place de s’exprimer librement. “On travaille ensemble pour produire quelque chose de plus grand que nous deux”, explique Jeff Mills. “Il s’agit d’une véritable collaboration, dont la nature n’est pas uniquement musicale mais également intellectuelle et spirituelle”.  Un album 10 titres dans lequel les percussions sont incroyables, la production millimétrée et le groove unique. Sur, les deux compères ne se sont pas ratés.
PAM Team


CARE FOR ME
 (
2018)
Saba

Le kid de Chicago accouche d’un deuxième album carthartique et rédempteur avec le sublime Care For Me. Avec pour toile de fond le décès de son cousin John Walt, un des membres fondateurs de son crew Pivot Gang, Saba aborde les thèmes de la perte, de la famille et de l’espoir retrouvé avec dignité pour surmonter sa douleur. Le jazz se fraye un chemin et se révèle être l’inspiration majeure des productions méticuleuses et mélancoliques signées daedaePivot, Daoud et Saba lui-même. “I’m so alone” voilà les premiers mots qui s’échappent de l’album sur l’ouverture “Busy/Sirens” témoignant de l’isolement dans lequel s’est retrouvé Saba lorsqu’il était au plus bas. Aux premiers abords déprimant, Care For Me n’est en aucun cas un album qui sombre dans sa propre tristesse ou sa morosité, il s’affiche davantage comme un processus méditatif pour son auteur. Une exploration des abysses de l’âme admirablement interprétée par un rappeur qui est aussi, et viscéralement, un redoutable conteur. – Simon Da Silva


The Electro Maloya Experiments of Jako Maron
(2018)
Jako Maron 

Dans The Electro Maloya Experiments of Jako Maron, le producteur Jako Maron propose une relecture habitée du maloya, blues ternaire hérité des esclaves, brandi fièrement comme l’âme et le drapeau de la créolité réunionnaise. Pionnier électronique de l’île intense, Jako Maron conserve ici la plupart des ingrédients de base du maloya – pikèr, roulèr, kayamb – mais s’amuse à déconstruire sa pulsation entêtante à la faveur d’un magma moléculaire essentiellement composé sur des synthétiseurs modulaires, sa spécialité. Publié sur le label ougandais et hautement expérimental Nyege Nyege, le troisième opus de Jako Maron délivre ainsi un trait d’union transocéanique à la sauce drone minimale, témoignant aussi de la vivacité des scènes électroniques d’Afrique australe – en particulier lorsqu’il s’agit d’innover en revisitant les patrimoines traditionnels. – Jeanne Lacaille


Visions of Selam
(2018)

Arat Kilo, Mamani Keita, Mike Ladd

Paris est encore un carrefour des (re)créations musicales ! Arat Kilo and co le prouvent par leur groove à température fiévreuse ! C’est à Paname que le lumineux sextet parisien de l’éthio groove a rencontré le rugueux Mc et poète américain Mike Ladd et la solaire chanteuse malienne Mamani Keita. Les trois entités boostées par l’éclectisme et la qualité des instrumentistes forment ainsi un précipité actif de ce qui s’entend de plus (re)-jouissif au sein des nouvelles scènes éthiopiques 2.0! Mamani Keita et Mike Ladd s’était déjà croisés sur le précédent album d’Arat Kilo (Nouvelle Fleur en 2016), mais après une première scène au Festival Au Fil des Voix, cette collaboration prend ici une véritable forme artistique. A voir absolument en live! – Elodie Maillot


You Will Not Die
(2018)

Nakhane 

Flirtant avec la pop de David Bowie, la soul de Marvin Gaye, les chœurs d’église et les beats house dont il s’est abreuvé dans les clubs, Nakhane sort un album inclassable. Mais ce chanteur-ovni au passé tourmenté semble avoir trouvé une certaine forme de paix. You Will Not Die, le titre semble sombre, mais comme Nakhane nous l’expliquait lors d’un long entretien, il est plein d’espoir quand on cherche plus profondément. « Tu vas te réveiller, te brosser les dents, enfiler des habits, et continuer à vivre. Les êtres humains sont vraiment bons pour ça. Nous refusons de mourir ». Même pas mort, Nakhane. – PAM Team

Orquesta Akokan (2018)
Orquesta Akokan

Voilà un disque qui fait renaître les grandes heures de la Havane, quand celle-ci était électrisée par le mambo et la voix d’or de Benny Moré, « le barbare du rythme ». Pour cette résurrection aussi inspirée que créative, il aura fallu la rencontre à New York du chanteur Pépito Gomez, Cubain installé dans la Grande Pomme, avec deux fans de mambo : le producteur Jacob Plasse et le pianiste Mike Eckroth. Ils décident d’enregistrer à la Havane, dans les fameux studios Egrem, un hommage aux grands orchestres qui mêlaient le swing américain aux rythmes afro-cubains. A la rescousse, le pianiste de Los Van Van et la section cuivres d’Irakere, et un nom (Akokàn) qui renvoie à la culture yorouba, aquel le magnifique morceau Elegua rend hommage. – Vladimir Cagnolari


Ambulante
(2018)
Karol Conka

Au cours de la décennie qui s’achève, le Brésil a seulement commencé à donner de la place aux figures féminines au sein de son rap national. La rappeuse de Curitiba, Karol Conká, est l’une de ces femmes audacieuses à avoir amorcé le mouvement. Grandement influencée par Lauryn Hill, Missy Elliot et Erykah Badu, Karol est revenue en 2018 avec ce second album (cinq ans après l’ovationné Batuk Freak), où elle affirme sa singularité avec une impressionnante versatilité. Ambulante est un court portrait de son auteur aux multiples facettes. Au fil de ces dix morceaux, elle se laisse guider par son instinct vers des territoires sonores hybrides, laissant libre court à l’expression de sa personnalité chaleureuse et haute en couleur. Il en est de même pour les productions pop/rap au fort penchant électronique élaborées par son associé Boss in Drama, producteur exécutif de ce projet. – Simon Da Silva


African Giant
(2019)
Burna Boy

La sortie d’African Giant n’était pas dans les plans de Burna Boy. Dans une interview, le natif de Port Harcourt (Nigeria) révèle que c’est à la suite de l’incident rencontré à Coachella (il avait protesté contre la taille ridicule réservée aux noms des artistes africains sur l’affiche) qu’il abandonna complètement l’album qu’il préparait (‘Reckless & Sweet’) pour commencer à enregistrer African Giant. L’influence grandissante des questions politiques sur son travail aura contribué à donner plus de force à l’album, comme en témoignent les excellents morceaux “Another Story” et “Collateral Damage”. African Giant marque surtout le retour pour Burna à une esthétique plus africaine. Il fait preuve d’une grande maîtrise du son afrobeats et en propose sa propre version, incorporant des adlibs dignes de son icône Fela dans ses textes audacieux. African Giant a toute l’étoffe d’un futur classique. Mené d’une main de maitre, African Giant s’enracine totalement dans le présent, mais se présente déjà comme une référence historique potentielle pour les auditeurs des prochaines générations. – Simon Da Silva


Fongola
(2019)
KOKOKO!

Le collectif KOKOKO! fait partie de cette nouvelle scène bouillonnante que la capitale congolaise voit fleurir à ses carrefours. Performers en tout genre et musiciens ont tous décidé de se faire entendre dans un contexte politique tendu où la parole est de plus en plus verrouillée.

A l’aide de leurs instruments bricolés avec des matériaux de récupération et du travail de production du français Débruit, les KOKOKO! accompagnent la vague. Après une série de singles et Ep’s, ce premier album, Fongola, évoque l’urgence des problématiques profondes de la RDC tout autant que de cette volonté farouche de créer par tous les moyens, au milieu des coupures de courant régulières et des soubresauts politiques du pays. Fongola ou la bande-son cathartique d’une époque troublée à laquelle les KOKOKO! ont choisi de prendre part avec fracas et sans aucune retenue. Christian Askin


Manga
 (2019)
Mayra Andrade

Après une absence de cinq ans, Mayra Andrade nous offre avec Manga, son quatrième album, l’oeuvre la plus cohérente, douce et ambitieuse de toute sa carrière. Manga est une fusion totalement décomplexée d’afrobeats, de musiques urbaine et des rythmes traditionnels capverdiens. Elle qui est née à Cuba, puis qui a successivement vécue au Cap-Vert, au Sénégal, en France et au Portugal, dévoile son exploration moderne des influences qui l’ont façonnée au fil des voyages. En incorporant des techniques de production inédites pour elle comme l’auto-tune et les synthétiseurs, Mayra nous fait découvrir de nouvelles dimensions de sa voix soyeuse, la colorant de nouvelles sonorités comme l’on colore le son d’une guitare. Des titres comme le single « Afeto », très inspiré par l’afrobeats ghanéen incarne cette nouvelle direction artistique, tandis que « Plena » est une méditation plus minimaliste aux frontières de son nouveau son. En résulte, une oeuvre rayonnante et impeccable de bout en bout : aussi doux que la mangue, parfaitement ancré dans son temps, et dont on se délectera idéalement lors des délicieux moments de chaleur estivale. – Christian Askin


Diaspora
(2019)
Goldlink

Sorti aux prémices de l’été 2019, Diaspora vient clore cette décennie en beauté. Une décennie où l’intérêt pour la musique africaine et globale n’a cessé de croître. Le rappeur au flow protéiformeest toujours plus à l’avant-garde du rap avec ses fusions inventives qui infusent ses beats aux couleurs de l’Afrique et des sons de sa diaspora. A la manière d’un acrobate, GodLink maintient un équilibre savamment maîtrisé entre les riddims dancehall, les grooves afro-house et autres tubes aux contours afrobeats sur les 14 titres qui composent ce voyage aux multiples influences. Avec sa sélection Allstar qui glâne les meilleurs talents des quatre coins du monde dont Pusha T, Tyler, the Creator, Wizkid, Jay Prince, Bibi Bourelly et bien d’autres, Diaspora mélange les inspirations réunies dans le prisme des sonorités afro, pour un résultat absolument fédérateur. – Simon Da Silva

KOKOROKO (2019)
KOKOROKO

London a longtemps été the place pour les métissages et les creusets afro-caribéens, notamment en jazz. Avant de totaliser des millions d’écoutes, KOKOROKO a d’ailleurs été repéré par une compilation du légendaire DJ Gilles Peterson et son label Brownswood qui documentait la scène underground du jazz britannique : « We Out Here ». Le phénoménal « Abusey Junction » clôture ce disque et devient vite un tube. Dans ce premier EP produit par le label de Peterson, KOKOROKO (qui signifie « fort » dans une des langues nigérianes) nous plonge encore plus profondément dans son univers, planant et élastique, comme un doux flux et reflux qui voguerait via Lagos sur un Atlantique Noir pacifié, avec comme capitaine la trompettiste Sheila Maurice-Grey. De quoi oublier le fracas du Brexit ! – Elodie Maillot


Inna de Yard
(2019) 
Inna de Yard

En Jamaïque, le Yard c’est la cour ou le jardin, bref ce qui fait partie de chez soi mais qui n’est pas l’intérieur. C’est surtout un lieu qui permet de s’élever. Cette collection de disques enregistrés en plein air dans les brumes des montagnes qui surplombent Kingston honore cet esprit du yard, avec les vénérables vétérans des 70’s (Winston MacAnuff, Kiddus I, Cedric Myton des Congos, Viceroys) et de nouvelles voix tendance bon esprit (Derajah, Var ou la féline Jah9). Dans ce yard, on joue tous ensemble, en acoustique (guitare et basse), avec quelques percus rastas (Nyabinghis), un piano un peu désaccordé, et surtout des voix et des personnages qui passent au gré des vibes. Pas étonnant que ce studio en plein air soit sur la route des Marrons, ces esclaves qui fuyaient les plantations. Un vent de liberté transcende ce blues rasta cru. – Elodie Maillot


Poetic Transe
 (2019)
Aziz Sahmaoui & University of Gnawa

Le chanteur marocain, ancien de l’Orchestre National de Barbès et du Joe Zawinul Syndicate sortait en 2018 Poétic Transe, troisième album avec le all stars qui l’accompagne, « University of Gnawa ». Un nom qui rend hommage à la Tagnawit, l’art des confréries gnawas qui s’est forgé comme une arme musicale de rédemption chez les descendants d’esclaves noirs emmenés sur la face Nord des dune sahariennes. Entouré du bassiste Alune Wade et du guitariste Hervé Samb (pour ne citer que ceux-là), le disque réunit les deux faces du Sahara et magnifie l’Afrique (Janna Ifrikiia) ou fait surgir la lumière de l’obscurité de nos peurs (écoutez le magnifique Nogcha). Un parfait condensé de Transe, de groove et de poésie. – Vladimir Cagnolari


Quest of The Invisible
(2019)
Naïssam Jalal

Femme de lutte(s) et flûtiste de combat, Naïssam Jalal réunit autour d’elle l’excellent quartet Rhythms of Resistance pour donner corps à sa révolte tandis qu’éclate la révolution syrienne en 2011. Ensemble, ils publient des disques foudroyants tel qu’Almot Wala Almazala en 2016 – “la mort plutôt que l’humiliation”. Mais si jusqu’alors Naïssam Jalal compose surtout avec sa douleur, elle se tourne pour Quest Of The Invisible vers un registre beaucoup plus intérieur car “dans ce monde capitaliste et matérialiste, aller vers la spiritualité de l’être est un mouvement de résistance. La colère n’a pas réponse à tout”. Pour cela elle s’entoure d’amis musiciens qui n’ont, comme elle, peur ni du silence ni de la transe : le pianiste brésilien Leonardo Montana, le contrebassiste Claude Tchamitchian et Hamid Drake aux percussions, respectivement désignés comme “la douceur, la profondeur et la puissance”. En envisageant l’improvisation comme l’expression d’un Etre supérieur à soi, Naïssam Jalal embrasse ainsi un nouveau souffle, mystique comme Coltrane(s), divin assurément… En paix ? Peut-être encore pas tout à fait. – Jeanne Lacaille 


Cartas Na Manga
(2019)

DJ Nigga Fox

Difficile de choisir une seule sortie parmi le prolifique catalogue du label lisboète Príncipe qui, depuis sa création en 2011, s’est lancé à la conquête du dancefloor international avec une signature sonore irrésistible : la batida.

L’une des plus marquantes est sans celle de DJ Nigga Fox (2019). Comme annoncé dans le titre, Cartas Na Manga (« J’ai d’autres atouts dans la manche »), le producteur afro-portugais nous joue des tours avec ses nouveaux atouts, faisant cohabiter musique concrète et mélodies acidulées assises sur des fondations rythmiques décalées et parfois même loufoques. Un raffut organisé qui nous plonge comme jamais dans l’univers psychédélique du magicien fou Nigga Fox, un laboratoire dans lequel les éléments s’entrechoquent et font jaillir des grooves aussi paradoxaux qu’imprévisibles.
PAM Team


IGOR
 (2019)

Tyler, The Creator

Tyler, the Creator est connu pour être un provocateur. Sa musique reflète cette facette de sa personnalité: le désir irrépressible de défier et de bousculer les codes pré-établis. Pour son cinquième album studio, Tyler revêt son les habits d’Igor (son alter ego) et en dévoile toute la sensibilité. Il expérimente et mélange les genres, et crée une atmosphère qui se marie parfaitement avec l’histoire du disque grâce à la précision de la production et des orchestrations. Sans pour autant les créditer sur les plateformes, le Californien invite Kanye West, Lil Uzi Vert, Santigold, ou encore Playboi Carti. Dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux, Tyler explique : « Ne vous jetez pas sur ce disque avec l’espoir d’écouter un album de rap comme n’importe quel autre album. Juste allez-y, jetez-vous dedans. » Après le sublime Flower Boy, Tyler continue de bousculer les codes du rap et délivre un album audacieux et introspectif, décrivant ses tourments amoureux. – Wale Owoade


RWANDA, you should be loved
(2019)
The Good Ones

L’une des claques émotionnelles de 2019 vient de ces trois fermiers rwandais qui offrent un album d’une simplicité biblique à base de voix, guitares et percussions, en y invitant une poignée d’artistes occidentaux. Même s’il s’agit de leur troisième album, leur musique respire l’innocence d’un premier essai enregistré à la volée, comme s’ils avaient empoigné leur guitare et appuyé sur le bouton « record » sans répétition préalable. Enregistré live et sans effets dans la ferme familiale de leur leader Adrien, RWANDA, you should be loved est une leçon de vie chargée de tragédies, de souffrances et d’amour. Car ces Good Ones sont des survivants : les arbres qui entourent cette même ferme leur ont servi de cachette pour échapper au génocide. Mais cette terrible expérience a accouché d’une musique positive et authentique, capable de tirer des larmes aux moins sensibles… – François Renoncourt

Legacy! Legacy! (2019)
Jamila Woods

Legacy! Legacy!” résonne comme un insistant cri du coeur visant à nous plonger dans son histoire personnelle et celle de nos origines. Le deuxième album de la poètesse, chanteuse et activiste de Chicago marie, avec un équilibre intelligemment dosé, remarques politiques incisives et profonde introspection. Au fil de ses onze morceaux, Jamila réinvesti l’héritage laissé par les pionniers artistiques que sont Frida Khalo ou James Baldwin, et propage un discours d’amour afro-féministe et personnel, toujours plus sublimé de titre en titre . “I’m not your typical girl” déclare-t-elle intensément avant l’envolée lyrique du refrain de “Betty”, ouverture magistrale de l’album. L’héritage musical de sa ville, Chicago, se manifeste quant à lui à chaque instant sur les compositions de son producteur exécutif, Slot-A. Du footwork à la soul lumineuse, en passant évidemment par le R&B contemporain, Legacy! Legacy! est un modèle d’album où l’engagement, l’amour et la colère se côtoient en permanence avec raffinement. – Simon Da Silva

Retrouvez les 100 meilleurs albums des années 2010 en playlist sur Spotify et Deezer.

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