Mercredi 15 janvier sortait sur les écrans Système K, un film qui vous plonge dans le chaos de Kinshasa pour y rencontrer ceux qui résistent et protestent sans paroles, mais avec toutes les matières usées que recrache quotidiennement la ville, capitale d’un pays dont le sous-sol est riche mais les rues souvent jonchées de déchets, ajoutant au chaos général qui fait de la vie des Kinois un vrai parcours du combattant.
De tous les habitants de cette ville que les démographes les plus courageux ont renoncé à dénombrer, les artistes que nous présente Système K sont l’avant-garde. Certains sont même des performers, qui utilisent leur corps comme support de leurs protestations, et la rue comme théâtre où leur art se donne, interpellant la population pour mieux lui ouvrir les yeux. Regardez Yas, qui vêtu d’un simple short, pieds et poings liés, se roule dans les rues de terre et de poussière une Bible à la main, pour dénoncer « l’esclavage volontaire » auquel se livrent ses compatriotes qui n’ont plus foi qu’en Dieu et donnent leur argent à des pasteurs qui roulent carrosse. L’image frappe les esprits. Et tous, y compris ceux qui n’ont pas fait l’école en comprennent ou en sentent la portée. Car ici, tout le monde sait que la rue est un théâtre. Un théâtre où résonnent chaque jour, crachées par d’increvables enceintes, les cris des évangélistes qui rendent grâce à Dieu, comme ceux des atalakus qui rendent hommage aux puissants. C’est là que se joue chaque jour la vie et la survie d’une population qui s’adonne au Système K, que Béni, l’un des jeunes artistes définit ainsi : « t’as pas d’argent, mais tu as des envies illimitées« . Alors si l’on vit dans le chaos, il faut savoir l’utiliser. Mieux, le sublimer en créant des oeuvres d’art.
Ce théâtre kinois, sa musique, le réalisateur Renaud Barret les connaît bien.
Avec son compère Florent De La Tullaye, voilà quinze ans qu’ils arpentent les couloirs d’une ville en perpétuelle ébullition, toujours prête à déborder.
Victoire Terminus, La Danse de Jupiter, Staff Benda Bilili, autant de films qui explorent des personnages aussi romanesques que réels, des héros qui se débattent avec classe pour sortir des fleurs merveilleuses du chaos ambiant. Deux de ces longs-métrages documentaires font le portrait de musiciens dont la carrière a depuis décollé : Jupiter et Okwess qui tournent toujours dans le monde entier, et le Staff Benda Bilili qui après son succès fulgurant, a fini par exploser. Le dernier groupe en pleine ascension s’appelle Kokoko!. Un ovni électro sorti tout droit des ghettos kinois, laboratoire à ciel ouvert pour artistes aussi géniaux que précaires.
Les Kokoko et leur musique, naturellement, font partie de l’univers de Système K. Et pour cause, avec leurs tenues de techniciens tout droit sortis d’une centrale nucléaire, leurs instruments qui en eux-mêmes sont des œuvres d’art, et leur énergie branchée sur triphasé, ils font partie de ces artistes pour qui la rue est le cadre, la source d’inspiration, et même la scène où ils se produisent. Leur rue, la rue Kato, est d’ailleurs célèbre : pas seulement parce que le Grand Kallé l’a chantée, mais aussi parce qu’y vit Bebson de la Rue, génial pionnier de la musique née des poubelles congolaises.
Les autres protagonistes que l’on verra dans Système K, sont de la même trempe. Freddy Tsimba, leur aîné, est un génial sculpteur et plasticien qui compose des œuvres à partir de douilles, de machettes, bref des déchets de toutes les armes qui continuent d’ensanglanter la RD Congo.
Il y a aussi Kongo Astronaute, un personnage mystérieux et solitaire qui arpente la ville dans une tenue spatiale de sa fabrication et rêve du futur, du jour où les Congolais auront le monde à leurs pieds… ou encore Flory et Junior, deux performers qui avec leur tête-bidon ou leur tête-téléviseur, dénoncent sans mots dire le manque de courant et d’eau dans une ville située au bord d’un des fleuves les plus puissants au monde.
Tous ces artistes font partie de ces incroyables performers qui, confrontés à une situation politique tendue, à la crise qui s’éternise et aux espaces de liberté qui s’amenuisent, dénoncent la situation des Congolais, et sont en prise directe avec la population qui les prend peut-être pour des fous, mais regarde, les yeux grands ouverts, leurs performances au coin de la rue.
À voir absolument !