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The Pan African Music Magazine
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Songhoy Blues : leçon d'optimisme

Les quatre rockeurs originaires du Nord Mali publient leur troisième album, plus énergique et électrique que jamais. Enregistré avant la pandémie de la COVID et le coup d’État militaire au Mali, il est baptisé « Optimisme ». Interview.

Le groupe malien vient de franchir la troisième marche de sa jeune et déjà riche histoire, en publiant le 23 octobre son album Optimisme, célébré par un concert à l’institut français de Bamako. Réalisé par Matt Sweenay, le disque met en valeur l’un des meilleurs atouts du groupe : l’énergie débridée du live, et l’alliance du rock nerveux et des transes du Sahara. Repéré en 2013 sur la compilation Maison des Jeunes qui suivit l’expédition musicale Africa Express de Damon Albarn et ses comparses au Mali, le groupe originaire du nord s’est forgé au fil des ans un son bien à lui, et s’autorise de nouvelles audaces sur ce nouveau disque. En attendant leur retour sur les scènes du monde, PAM a contacté Aliou Touré, le chanteur de Songhoy Blues, pour qu’il nous raconte son histoire d’« optimisme ».

Aliou, il y a huit ans, en 2012, c’était le début de Songhoy Blues. Peux-tu nous raconter les circonstances dans lesquelles le groupe s’est créé.

C’est quand même dû à la crise, c’est elle qui était à la base de tout. C’est le moment où on a banni la musique au Nord, et où le Nord était occupé par des djihadistes et tout, donc les habitants de ces zones partaient soit pour les pays limitrophes dans des camps de réfugiés, soit se déplaçaient vers le sud, notamment la capitale. Donc à cette époque beaucoup de jeunes nordistes sont venus à Bamako, et entre autres les membres du groupe. Là, nous vivions dans le même quartier, et à l’époque il y avait un club qui s’appelait « Le Domino », c’est là ou une grande partie de la jeunesse du nord, songhaï et touarègue, se retrouvait, car il y avait des groupes de nos régions qui jouaient là-bas, et nous on y allait en tant que spectateurs amoureux de la musique qui connaissaient bien ces groupes. Alors des fois on nous invitait à jammer. Et un jour, par coïncidence, on était tous là, et on s’est retrouvés sur scène ensemble en train de jammer et le public en a redemandé, et après ça on s’est dit « les gars, pourquoi ne pas en faire quelque chose ? ». Le lendemain, j’avais une cousine qui se mariait et qui m’avait demandé de venir animer les festivités, alors j’ai appelé les mêmes gars : les Oumar (Touré, bassiste), les Garba (Touré, guitariste), et on y est allés. C’était pour interpréter le répertoire du terroir connu de tous, et on a pris goût. Le jour d’après, c’était le premier jour du mois de carême (de ramadan, NDLR), donc il n’y avait plus de clubs, plus de concerts, et on a passé tout le mois de carême à écrire et créer des chansons ensemble. Après le carême, on a attaqué les pubs les week-ends et bientôt pratiquement chaque soir on jouait quelque part. Et c’est comme ça que le groupe a grandi jusqu’à Africa Express.

Songhoy Blues – Barre (Official Music Video) + Lyric Translations

C’est là que vous rencontrez Marc-Antoine Moreau, qui deviendra votre manager, et toute la bande emmenée au Mali par Damon Albarn ? 

Oui, après neuf mois à jouer dans les cabarets, on s’est dit qu’il fallait qu’on aille en studio faire des maquettes. Et à l’époque, Barou Diallo était l’ingé son réquisitionné par Africa Express, c’est lui qui nous a informés et nous donné le contact de Marc-Antoine. Je l’ai appelé et il est venu nous voir jouer dans un club. Il a apprécié, et dans la foulée Nick Zinner (guitariste invité par Africa Express, NDLR) a flashé et il nous a invité en studio pour enregistrer Soubour, notre premier titre et c’est comme ça que c’est parti en fait, avec Marco à bord. Paix à son âme.

Ce sont les même Nick Zinner et Marc Antoine Moreau qui ont produit votre premier album, Music in Exile en 2015. Depuis, est-ce que vous êtes retournés chez vous dans le Nord ? 

Oui, ces derniers temps, depuis l’année passée, on a pu passer plus de temps au Nord. Ça nous a beaucoup aidés à faire ce troisième album, c’était une grande bouffée d’air pour nous ressourcer et donner le meilleur de nous-mêmes.

Votre second album s’appelait « Résistance », celui-ci « Optimisme ». C’est une suite logique ?

Nous on ne fait que surfer sur les vagues qu’on croise sur notre parcours. Et le parcours vers l’objectif est plus important que l’objectif lui-même. Nous traversons un tournant très décisif du monde dans lequel nous vivons, on doit tous s’approprier ce mot d’ordre : « optimisme », soyons optimistes pour de vrai. C’est la seule façon de traverser ce qu’on vit maintenant. Certains croient que le nom du disque et certains des titres de l’album étaient attribués à la crise sanitaire actuelle, mais en fait tous les noms étaient déjà là au mois de novembre 2019, bien avant la Covid, qui n’a fait que différer la sortie. On parlait d’optimisme, parce que vu tout ce qu’on a traversé en Afrique en général et au Mali en particulier (notons que chaque année la malaria fait en Afrique plus de victimes que toutes les victimes du coronavirus réunies jusqu’à aujourd’hui), on était déjà dans les crises : crises postélectorales, guerres civiles, famines j’en passe… à un moment donné, tout ce qu’on peut espérer c’est de se donner foi : d’avoir la foi, croire en soi, avoir foi en cette lumière au bout du tunnel pour nos peuples, pour nous-mêmes personnellement, et c’est la force qui nous pousse vers l’avant, car on croit à cette lumière au bout du tunnel. On espère tous l’atteindre à jour. La seule façon d’y arriver c’est d’y croire. La crise que nous vivons vient de nos propres erreurs, d’une façon ou d’une autre. Prendre ce recul sur soi est plus que jamais nécessaire, le monde idéal n’existe pas, mais on peut avoir un idéal. Le seul truc qu’on sait, c’est qu’il y a un combat à mener.

Au Mali justement, après le coup d’État du 18 août dernier (qui a chassé le président Ibrahim Boubacar Keïta), comment vois-tu la période de transition qui s’est ouverte ? 

Elle est très décisive pour la survie même du pays, après plusieurs crises, qui ont toujours profité aux uns ou aux autres, et là encore ça va profiter à des gens, mais à un moment donné il faut que le peuple malien soit celui qui en profite le plus, qu’il soit le personnage principal à la table. Je crois qu’on est à ce moment-là de l’histoire où le peuple veut prendre le dessus, veut être écouté, et qu’il va prendre son destin en main. Ces dernières années, le peuple était tellement conditionné par la misère qu’il était facile de le manipuler. Je crois que le peuple a pris conscience de ça : il faut qu’on lui redonne une véritable liberté de choisir. 

Justement, sur Optimisme, la chanson « Barre » évoque un conflit de générations : celle d’une classe dirigeante qui vieillit et refuse de laisser sa place…

Comme on l’a dit dans l’album, c’est un cycle naturel, comme les saisons.
Aujourd’hui on parle d’un monde numérique, dominé par la technologie et tout ce qui est high-tech : l’économie en dépend, tous les secteurs en dépendent, et on a affaire à des vieux qui à peine savent manipuler un téléphone, encore moins un clavier d’ordinateur, et encore moins des applications ou logiciels avancés. Donc on est tous d’accord que pour ça, il faut l’implication d’une génération adaptée à ça, il faut qu’on avance. Et on a cette épidémie d’accrochage au pouvoir qui est très répandue en Afrique francophone et ça, vraiment, il faut que les lois qui nous régissent puissent être à la hauteur et qu’elles jouent en faveur du peuple. Les jeunes, on est peut-être 80 % de la population. Chaque année, c’est des milliers de diplômés sans emploi et des milliers qui veulent aller à l’étranger. On a tout ce qu’il faut pour éviter ça, donc le travail est là, mais il n’est pas fait. Pourquoi ? Il faut un changement et c’est ce qu’on réclame.

Ce nouvel album est encore plus énergique et électrique que les précédents : qu’est-ce qui vous a poussé encore plus fort dans cette direction ?

Cette énergie, c’est venu de la manière dont on a enregistré l’album. On avait faim, après nos deux albums nous aussi on vivait un tournant décisif, après une longue expérience sur la route, il nous fallait faire le bon choix. Trouver le bon groove. Il était nécessaire de miser sur l’énergie, parce qu’on parle à la jeunesse, et qu’elle aime quand ça bouge. 

Et en plus, Matt Sweenay (qui a réalisé le disque, NDLR) nous a aidés à amener ça, c’est pour nous comme un godfather musical. C’était à la fin de notre tournée américaine, on a fait l’album en six jours, top chrono. Lui il revenait de Jamaïque et il est arrivé directement de l’aéroport au studio avec ses valises. On a répété un peu, et on a fait un track. Juste après, il nous a dit de nous arrêter, et je l’entendais parler à l’ingé son du studio (Daniel Schlett), lui dire qu’ils nous avaient vus beaucoup de fois sur scène, et que la liberté, l’énergie et la confiance qu’on avait sur scène, on ne les avait pas en studio. Donc il nous fallait une atmosphère de scène dans le studio. Alors pour avoir l’ambiance de scène, il a fait venir des copains à lui qui venaient avec à manger, à boire, et c’est devenu ambiance de club. Et ça nous a fait bouger nous-mêmes en fait. 

Il y a ce côté rock, et puis le rythme et les sons du nord qui infusent tout l’album (certains riffs de guitare rappellent les parties de violon traditionnel ndjarka par exemple)…

Ça, c’est l’accent de la langue qu’on parle. Ces instruments parlent la langue du désert. Et quand tu fais la musique, tu ne peux que transposer ce que cette langue te dicte dans l’instrument que tu joues. 

Il y a aussi la chanson « Fey Fey », dont la rythmique sonne très afro-beat. Que dit-elle ? 

« Fey Fey », en songhaï, ça veut dire division. Donc on voulait encore rappeler ce mot d’ordre : le Mali est un pays uni et indivisible, il y a tous les moyens de parvenir (à cette unité, NDLR) à travers le dialogue donc on est optimiste, et on croit qu’on verra un Mali uni, et le retour du festival au désert à Essakane (célèbre festival organisé dans le Sahara malien, interrompu depuis les conflits au nord, NDLR).

On a l’impression que des atouts comme la sanankouya, « la parenté à plaisanterie » qui unit les familles, mais aussi les peuples du Mali entre eux, a été abîmée. 

Oui c’est vraiment déplorable, le fait qu’on ait laissé se fissurer ce symbole de la culture malienne, c’est le plus grand échec. Si Peul et Dogons soi-disant s’entretuent, ou si un Touareg et un Songhoy s’entretuent, il faut chercher au-delà du conflit pour comprendre.

En tout cas ce n’est pas peine perdue, on peut récupérer, mais jusqu’où faut-il creuser pour récupérer ça ? Il faut que les griots jouent leur rôle de sensibilisation et conscientisation, rappelle l‘importance de cette précieuse pierre qu’est le sanankouya. Et c’est à travers la jeunesse qu’il faut retrouver cette valeur : car c’est les jeunes qui ne savent pas qui sont victimes, qui sont détournés et endoctrinés par X ou Y pour se ranger derrière une position politique ou religieuse, voire éventuellement pire. Donc il faut éduquer les enfants, faire intervenir les griots, les maitres de la parole, et pourquoi pas, inclure l’enseignement de cette valeur dans le système éducatif pour les dix prochaines années, pour qu’on ait une génération bien mûre, bien cultivée dans sa propre culture, et qui connaisse et reconnaisse ses propres valeurs… ça peut nous éviter de subir des choses comme celles qu’on est en train de vivre en ce moment. 

Aujourd’hui, on dirait que le Coronavirus a moins frappé l’Afrique que le reste du monde, est-ce que la vie musicale a repris ses droits à Bamako ?

La vie musicale se porte à merveille actuellement à Bamako (à part la période du coup d’État et du couvre-feu où c’était en stand by). Là je te parle j’entends de la musique, il y a certainement un mariage dans le quartier… Il y a des concerts quasiment toutes les nuits dans les clubs, et même les salles ont repris comme l’Institut Français (où le groupe a joué le 23 octobre). Il se passe beaucoup de choses, des artistes lancent leurs disques, les rappeurs font le plein… Si vous voulez voir des concerts, il faut venir à Bamako !

Écoutez Songhoy Blues dans notre playlist Songs of the Week sur Spotify et Deezer.

L’album Optimisme est maintenant disponible.

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