S’il y a bien une force de caractère que l’on ne peut enlever à Pongo, c’est sa détermination sans faille. De ses premiers pas adolescents et chancelants avec le groupe Buraka Som Sistema de la banlieue de Lisbonne, au long passage à vide qui s’en est suivi, jusqu’à son retour inespéré sur le devant de la scène en 2018, la rayonnante Engrácia Domingues, de son vrai nom, a su reprendre du poil de la bête. Aujourd’hui âgée de trente ans, la native de Luanda savoure sa renaissance artistique, formée au fil de ce parcours du combattant. Pongo est une femme nouvelle, renforcée par les tempêtes traversées, marchant la tête haute et le regard intrépide fixé au loin, comme celui qu’elle nous adresse sur la pochette de l’album Sakidila.
Cette force d’esprit, elle l’a puise au plus profond d’elle-même : de ses souvenirs d’enfance dans le quartier de Cuca, mais également auprès de son nouvel entourage musical, grâce auquel elle a pu donner vie à Sakidila. Prête à en découdre, l’ambassadrice du kuduro occupe désormais la place qui lui revient de droit : “Commence et je te termine!” avise-t-elle sur « Começa ». C’est pourtant avec une grande bienveillance que Pongo est revenue pour PAM sur la confection de ce premier album au goût de revanche sur le destin
Depuis tes débuts avec Buraka Som Sistema en 2008 jusqu’à Sakidila, en passant par tes EPs Baia (2018) et UWA (2020), comment vois-tu le chemin que tu as parcouru pour en arriver là, à la fois artistiquement et personnellement ?
J’ai commencé avec Buraka Som Sistema avec « Wegue Wegue », qui a été mon premier tube. J’avais quinze ans quand j’ai commencé avec le groupe, comme tu vois ça a donc été un long chemin depuis 2008. J’ai fait le tour du Portugal, du nord au sud avec eux, et ensuite plus rien. Je n’ai eu aucune aucune sorte de justification de leur part, ils ne m’ont rien dit après « Wegue Wegue » … Et voilà c’est tout. De mon côté, je devais m’occuper de mes affaires, de mes droits. Et cela a duré jusqu’à l’année dernière. C’est encore difficile pour moi d’en parler. Ensuite, j’ai dû lutter pour pouvoir travailler en solo. Cela fait quatre ans avec mes deux EPs et maintenant l’album. C’était compliqué parce que c’était une lutte pour avoir la reconnaissance à partir de cette chanson. C’était une période très difficile pour moi mais en même temps, une période d’apprentissage aussi. Et aujourd’hui ça finit par avoir une grande importance dans mon parcours et ma carrière.
Je prends ça comme quelque chose qui m’a rendu plus forte aussi. Entre tout ça, j’ai eu plusieurs combats sur le plan personnel, professionnel, puis j’étais une adolescente à cette époque, ça faisait beaucoup. Mais aujourd’hui, je prends uniquement le côté positif.
Je fais preuve de gratitude, comme le titre de mon album Sakidila, cela signifie “merci” en Kimbundu (une des langues officielles de l’Angola, ndlr). Je suis reconnaissante d’avoir réussi à me remettre de tout cela, et principalement grâce à mes fans et à ceux qui me suivent. Cela finit par être une force et une motivation. Surtout maintenant avec l’accueil de l’album, les retours sont très positifs et je suis heureuse. Je suis très reconnaissante d’être en vie pour vivre tout cela !
Le kuduro a toujours occupé une place centrale dans ta musique et cela se retrouve une fois encore dans ton album. Mais j’ai l’impression ici que tu veux montrer autre chose de ce genre…
Exactement. Je suis très portée sur les fusions et l’album en lui-même est une fusion de styles musicaux, de cultures. Pour moi, il s’agit de prendre ma culture, ainsi que de nombreuses autres, et de pouvoir faire voyager les gens dans le monde entier sans qu’ils aient à quitter l’endroit où ils se trouvent. Et être capable de faire se rencontrer les différents sentiments que nous partageons tous. J’essaye à travers la musique d’apporter ma part pour l’union entre ma culture et toutes les autres cultures. Parce que plusieurs facteurs nous font encore défaut : l’unité, la convivialité, le partage. Et c’est encore plus vrai avec toutes les situations qui se sont produites récemment : pandémie, guerre, etc. Nous en avons grand besoin.
Cet album je l’ai enregistré pendant ces deux années de pandémie. Mais il ne s’agit pas seulement de ces deux années, cela fait plus de dix ans que j’essaye d’y arriver. D’un côté, je pense que c’était comme « le bon moment » pour moi. Ça a pris le temps qu’il fallait, parce qu’il le fallait pour une certaine raison, et maintenant c’est le bon moment. C’est ce que je ressens avec mon album, je veux vraiment que les gens le reçoivent de cette façon, car il a été enregistré pendant une période de grande réflexion. Tout ce que je mets sur l’album vient de l’intérieur et j’espère toucher beaucoup de monde, de la même manière que cela m’a touchée. Derrière chaque thème, chaque histoire, je veux que les gens reçoivent l’espoir qui s’y trouve. C’est mon rôle avec la musique. Parce que la musique a ce pouvoir : toucher et inspirer les gens. Bien que je parle beaucoup du passé, mes inspirations viennent de ma culture, de mon enfance en Angola. Cela m’amène à une part très nostalgique. Et en même temps, ce côté nostalgique me rend heureuse pour entrevoir le futur.
Il me semble que la plupart des producteurs de Sakidila sont français ou francophones, comment s’est déroulée la collaboration entre vous ?
Ils sont pour la plupart basés en France comme Lazy Flow, King Doudou, Mike Bangerz, Thomas Broussard. Il y a Meryl de Martinique qui a composé et fait les toplines avec moi sur les chansons « So Amor » et « Hey Linda » aussi. Des musiciens du Maroc, de la Réunion, etc. Comme je te disais c’est un mélange, c’est de la « fusion » et à partir de là, l’idée c’est de pouvoir se lier au niveau des sonorités avec tous ces gens. Les producteurs et toute l’équipe m’ont beaucoup aidé à réaliser l’album que j’idéalisais. Pour moi, c’est l’équipe parfaite.
Comment s’est faite la connexion avec ces producteurs ?
Notre connexion a commencé en septembre 2020, par le biais de ma directrice artistique, Oriana. C’est elle qui m’a amené tous ces gars. [rires] Dans le lot, il y avait des producteurs qui avaient déjà été en Angola, au Brésil, donc très proches de la culture musicale africaine. La connexion a été immédiate, c’était très facile et automatique. Nous avons passé une semaine en séminaire d’écriture et à la fin de la semaine, nous avions déjà pratiquement toutes les chansons de l’album.
Banga faisait aussi partie de l’équipe mais les morceaux que nous avons composés ne sont pas encore sortis. Aucune chanson (faite avec la productrice Banga, nda) n’est sortie dans l’album mais elles vont sortir très bientôt, en dehors de Sakidila. Il y a encore beaucoup de bonnes choses. Il y avait aussi Mosty, c’est une rappeuse d’Abidjan mais basée à Paris, une femme pleine de talent et de force. Ensuite Titica, qui est une chanteuse de kuduro originaire d’Angola, figure également sur l’album. Elles ont été des connexions très importantes pour que cet album ait de la force et de l’énergie. Encore une fois, l’union et le fait de croire ensemble était crucial pour que Sakidila existe, parce que ça a été une période difficile pour tout le monde, ces deux ans de va-et-vient à cause de la pandémie. “Sakidila” à mon équipe, aux producteurs, aux coproducteurs qui ont fait partie de ce voyage avec moi.
Tu vis aujourd’hui à Lisbonne mais la majorité des concerts que tu donnes sont en France ou à l’étranger. Quelle est ta relation avec la scène kuduro portugaise et ces producteurs ?
Nous avons eu ces retrouvailles avec DJ Marfox et Tristany à l’occasion de ce projet pour l’Eurovision (ensemble ils ont composé le morceau “DÉGRÁ.DÊ, pré-sélectionné pour représenter le Portugal à l’Eurovision, ndlr). C’était très important de nous retrouver à nouveau, parce que je peux te répondre d’une manière très crue : il y a un manque de soutien avec les gens de cette scène au Portugal. Après mon premier EP fait au Portugal, il n’y a pas eu de suite. Pourquoi ? Parce que tu arrives là-bas et DJ Marfox, DJ Lycox, DJ Danifox et tous les gars de la scène électronique et du kuduro de Lisbonne ont tous leur promotion en dehors du Portugal, tout comme moi. Je fais partie de ce groupe qui n’a pas d’exposition locale. Nous faisons beaucoup de choses à l’étranger, mais le Portugal en lui-même ne nous met pas en avant. Il y a tellement de choses qui se passent ici (à Lisbonne, ndlr), et j’espère ne pas seulement être reconnue qu’à l’international.
Peux-tu nous raconter comment s’est fait le morceau “Amaduro” avec DJ Tony et Lazy Flow ?
C’était en septembre 2021, lorsque nous faisions un troisième ou quatrième séminaire pour l’album. « Amaduro » est une fusion entre l’amapiano et le kuduro. J’ai beaucoup d’influences venant d’Afrique du Sud, en termes d’inspiration, d’éducation musicale, de ce que j’ai écouté en grandissant. L’amapiano est un style musical que je connais déjà depuis un certain temps. Il était là, un peu sur le côté pendant la pandémie, et maintenant avec toute l’évolution du style en lui-même, tous les gens se sont réveillés sur l’amapiano. Pour moi, j’était comme ça : « Waouh enfin, on est tous sur la même vibe ! » [rires]
Le processus créatif de “Amaduro” a été très amusant. Parce que j’ai dit aux gars : « Je veux une fusion d’amapiano et de kuduro. » Ils ont commencé tout de suite à travailler sur le beat. Je suis revenu trente ou quarante minutes après dans la pièce et c’était déjà fait. C’était rapide ! Comme si j’avais eu une réunion avec mes ancêtres, comme avec des sorciers. [rires] Ce morceau a été vraiment cool à faire. Principalement parce que c’est une fusion Afrique-Afrique. Sur le plan culturel et en termes de sonorités, la scène angolaise avec le kuduro et sud-africaine avec l’amapiano ont des rythmes qui me touchent beaucoup. Parce que j’ai toujours été très liée à la musique et à la danse. Le son doit toucher mon âme et mon corps finit par réagir.
Il y a aussi ces cris viscéraux que tu pousses au début du morceau.
C’est Zulu ! Parce que nous sommes Bantous. Au niveau ethnique, nous sommes des Bantous (les Angolais, ndlr), j’espère que je ne dis pas de bêtises mais c’est une branche de population qui couvre presque toute l’Afrique centrale et australe (le terme désigne une famille linguistique qui couvre en effet toute cette zone, ndlr). Cette partie « zulu » que j’ai en moi à fini par sortir sur « Amaduro ».
Sakidila, maintenant disponible.