Originaire d’Ethiopie, d’Erythrée et d’Australie, le trio Music Yared transporte les anciennes traditions musicales d’Afrique de l’Est dans le monde contemporain, grâce à un savoir intrinsèque. PAM vous propose de lire l’interview du groupe en écoutant leur nouveau single « Ruhus Gama » en avant-première.
Respectivement érythréen et éthiopien, Anbessa Gebrehiwot et Haftu Reda sont dotés d’une maîtrise des instruments à cordes est-africains que sont le krar et le masenko. Tous deux exilés à Melbourne à des moments différents de leur vie, les musiciens érudits ont croisé la route du producteur et multi-instrumentiste Dale Gorfinkel, qui devint le pivot de ce trio né en 2016. Ensemble, ils composent une musique folk au pouvoir hypnotique accentué par des chants mélancoliques qui parlent d’amour, de distance, de culture ou de séparation. A l’occasion de la sortie de leur premier EP éponyme sur le label australien Music in Exile, les trois artistes nous parlent collégialement de leur approche moderne des traditions et de ce magnifique troisième single écrit pour un couple de mariés.
Que signifie Music Yared ?
Le nom Music Yared est une référence au premier compositeur d’Ethiopie, Saint Yared. Il vécut au VIe siècle, c’est un peu le Mozart éthiopien. En tant qu’élève de l’Eglise, il n’était pas bon dans ses études. Le professeur n’était pas satisfait de son travail et le mettait toujours en garde, pour éventuellement le punir. Malheureux, Yared essaya de rentrer chez lui avec sa famille, loin de l’église. Sur son chemin, il sentit la fatigue, s’assit sur un morceau de bois et vit une fourmi essayant de pousser quelque chose en haut d’un arbre, tombant six fois d’affilée. La septième tentative fut la bonne et la fourmi parvint à escalader l’arbre en portant l’objet. Yared pensa : « pourquoi suis-je parti de chez moi pour étudier à l’église, seulement pour échouer et rentrer à la maison ? Comment ce petit insecte peut réussir, alors que je suis incapable de rencontrer le succès en tant qu’être humain ? Si je me concentre sur mon apprentissage, je peux réussir. » Il retourna à l’église, étudia sérieusement et devint un homme sage et respectable.
Yared créa toutes les chansons de l’Eglise éthiopienne orthodoxe et jusqu’à aujourd’hui, ses chansons sont chantées dans toutes les églises. Il a créé un nouveau système d’accords et, inspiré par la nature, introduit les percussions et les mouvements rituels au sein de l’Eglise. Même s’il est très connu en Ethiopie, ça n’est pas le cas dans le reste du Monde, c’est une manière pour nous de partager ce morceau d’histoire.
Dans quel contexte vous êtes-vous rencontrés en Australie ?
Anbessa est arrivé en Australie en 2007 avec le chanteur renommé Abraham Gebremedihn, dans le but de jouer pour les communautés éthiopiennes de Sydney et Melbourne. En tant que songwriter à l’époque, Anbessa était toujours suspecté par le gouvernement, qui interprétait ses chansons en y trouvant une signification politique cachée, alors qu’il était complètement innocent. Après être arrivé en Australie, il découvrit que l’un de ses collègues avait été arrêté en rentrant au pays, c’est pourquoi il demanda l’asile en Australie.
En 2013, Haftu arriva à Melbourne et demanda également l’asile. Il rejoint l’ASRC, la même organisation de demandeurs d’asile qui avait aidé Anbessa. C’est là qu’Haftu rencontra Dale qui était à l’époque volontaire pour gérer un groupe de musique communautaire. Peu après, Haftu rencontra Anbessa lors d’une performance dans ce même centre. En fait, Music Yared est initialement né en tant que trio en 2016 avec Haftu, Dale et Evelyn Ida Morris, et Anbessa rejoint le groupe l’année suivante. Aujourd’hui, nous aimons aussi jouer live avec l’incroyable chanteur oromo Mulu Beleke.
Comment transportez-vous les chansons folkloriques traditionnelles dans le monde contemporain ?
La musique est quelque chose qui se développe sans arrêt, qui change avec le temps. Pour certaines chansons folks, nous développons nos propres paroles, changeons le rythme et créonsde nouveaux beats. Traditionnellement, les chansons peuvent être très longues et parcourir de nombreux thèmes. Les musiciens contemporains ont tendance à se concentrer sur un seul thème, comme l’amour, et les chansons deviennent plus courtes. Avec Music Yared, on aime mélanger tout ça. En Ethiopie, les jeunes ont également standardisé les instrumentations. Comme le krar moderne avec des cordes métalliques, il est très commun pour les groupes d’avoir une boîte à rythmes, un clavier, un saxophone et une basse électrique. En ce qui nous concerne, nous aimons tenter différentes instrumentations et chercher des sons qui combinent les traditions et le présent. Dale apporte un élément intéressant parce qu’en plus de la batterie acoustique, il joue aussi des lignes de basses et des sons de percussions sur un sampler.
Quel est le sujet du morceau « Ruhus Gama » ?
« Ruhus Gama » a été écrit spécifiquement pour un mariage australo-éthiopien en 2017. Le morceau célèbre l’amour des mariés. Voici une traduction des paroles :
Je souhaite un bon mariage au marié et à la mariée
Je souhaite que votre mariage fusionne comme le lait dans l’eau
Je souhaite que votre vie soit remplie d’amour, de paix, de santé, et que vous aurez des enfants
Comme le mariage d’Abraham et Sarah, d’être béni par Dieu,
De relever tous les défis ensemble et rencontrer le succès dans votre vie
Et je vous souhaite le meilleur pour le reste de votre vie.
L’EP sortira le 11/09/2020 sur Music in Exile. Précommandez-le ici.