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The Pan African Music Magazine
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La nouvelle « Georgia » de Brittany Howard

PAM vous a raconté la « Georgia » enregistrée par Ray Charles. Soixante ans plus tard, sa compatriote Brittany Howard, a choisi de donner a ce titre une chanson qui raconte un destin qu’elle a choisi d’assumer.

Brittany Howard est métisse, elle a grandi dans un état connu pour ses champs de coton et ses raids du Kuk Klux Klan, là où être différent peut coûter cher. Même avec le succès de son groupe Alabama Shakes (qui a vendu des millions de disques), Brittany n’avait jamais pu dire ce qu’elle chante dans Georgia : le trouble d’une jeune fille noire du sud qui aime une autre fille…

I Just want Georgia to notice me

Non ce « Georgia » n’est pas une énième version du tube chanté par Ray Charles, qui l’avait repris pour rendre hommage à son état de naissance, la Géorgie, dont le passé raciste et l’électorat noir ont bousculé l’élection présidentielle américaine cette année. Brittany, elle, ne vient pas de Georgia (Géorgie), mais d’un état voisin, l’Alabama, qu’elle a aussi secoué en formant un groupe éponyme : les « Alabama Shake ».

Le « Georgia » de Brittany Howard est sorti juste avant la crise sanitaire (qui l’a un peu éclipsé) et il parle de bien autre chose. D’un autre trouble. « Cette chanson je l’ai écrite du point de vue d’une jeune fille noire, homosexuelle, qui tombe amoureuse d’une autre jeune fille noire, sans savoir comment le lui dire » explique Brittany Howard, avant de chanter ceci au micro de l’émission culte NPR Music Tiny Desk Concert :

« I can’t help the way that I was born to be…
I ain’t no little boy
I just want Georgia to notice me
Is it unnatural?
Is it cool ?
Georgia… »

Brittany Howard
Brittany Howard – NPR Music Tiny Desk Concert

Dans sa tenue rouge et noir, elle étire sa voix soul jusqu’aux confins de son âme chahutée, comme on presserait le jus d’un fruit précieux et délicat qui en a connu des vertes et des pas mûrs, et qui est enfin prêt à livrer son nectar. « Je veux juste que Georgia me remarque », martèle le refrain de sa chanson. Brittany y explique que, non, elle n’est pas un garçon, et pourtant qu’elle cherche à ce que cette fille, Georgia, la remarque ! « Est-ce contre nature ? Est-ce cool ? Je veux juste te dire que je t’aime » conclut-elle, dans le premier morceau qu’elle écrit pour son premier disque solo, Jaime. Et comme les onze autres morceaux de son disque, Georgia raconte un bout de la vie de Brittany qu’on a d’abord connue au sein du groupe mythique Alabama Shakes.

« J’ai conçu ce disque comme on enclenche un processus de guérison », explique Brittany. Il y a des choses difficiles, impossibles à changer que les mots et la musique peuvent raconter. Dans la petite ville où j’ai grandi, être différent c’est mal. Je ne voulais surtout pas être différente. J’aurais voulu être plus grande et plus mince, et surtout ne pas avoir les cheveux crépus. » Dans « Goat Head », un autre morceau de ce premier disque solo, Brittanny raconte aussi les pneus crevés et la tête de chèvre sanguinolente trouvée sur la banquette arrière de la voiture de son père, comme condamnation sourde de sa famille « ni blanche ni noire du sud des États-Unis ».

Brittany, et l’Alabama dans tous ses états

Avant de vivre de sa musique et partager ses blessures avec le grand public, Brittany a fait des petits boulots à l’américaine. Elle a enfourné des pizzas congelées et fait frire des œufs dans des chaînes de junk food, elle a travaillé dans des supermarchés, vendu des voitures d’occase et distribué le courrier sur les routes désolées du nord de l’Alabama, sans jamais quitter cet état du sud des États-Unis. Brittany a grandi à Athens, une petite ville de 35.000 habitants, à mi-chemin entre Nashville et Birmingham. C’est là qu’elle a appris la guitare toute seule à 11 ans. Elle aurait voulu aller à la fac, mais sa famille ne pouvait pas souscrire d’emprunt pour payer ses études. Alors il ne lui restait plus qu’à rêver le meilleur, quand elle devenue la voix magnétique des Alabama Shakes, son premier groupe, qui ravive l’empreinte régionale des studios de Muscle Shoals et réconcilie rock, funk, soul, pop et ruralité sudiste. Brittany et ses copains de lycée ont ainsi réussi à inscrire l’état de l’Alabama dans les charts XXIè siècle et les petits papiers des prestigieux Grammy. Leur premier tube (« Hold On ») a même été sacrée meilleure chanson de l’année par le magazine Rolling Stones !

Alabama Shakes – Hold On

Quand leur premier album Boys & Girls sort en 2012, Brittany n’a encore jamais voyagé. Elle ne n’a jamais quitté cet air subtropical humide aux relents de sauce barbecue qui a pétri son enfance et qui a douloureusement brillé aux heures sombres l’histoire des États-Unis : l’Alabama. L’Alabama qui a tant enragé Nina Simone dans Missippi Goodamn (dont PAM vous avait raconté l’histoire). L’Alabama, connu pour les massacres racistes à Birmingham ou son terrifiant Bloody Sunday, pendant la marche entre Selma et Montgomery, en 1965. La sauvagerie de la répression policière fait alors le tour du monde, et John Lewis (un des héros des luttes anti-raciales américaines, né en Alabama et décédé à l’été 2020) supplie alors le Président Johnson d’intervenir en Alabama. Cette triste page devient un tournant dans la lutte pour les droits civiques, et une tache indélébile dans l’histoire du pays et de cet état qui a donc vu naître Brittany et son groupe, mais aussi des grandes figures du Ku Klux Klan.

L’Alabama : pas évident de choisir cet état comme un nom de groupe, même en y ajoutant « Shake ». Pourtant, très vite, la mixture sudiste avant-gardiste du groupe, son intensité, ses sonorités brutes et authentiques, terre à terre et très modernes, et surtout la voix de leur chanteuse vont taper dans l’oreille de VIPs comme Paul Mc Cartney ou Michelle Obama. Prince himself invite le groupe et chante avec eux sur scène ! Leur premier disque dépasse très vite le million d’exemplaires vendus, et le second album, Sound & Color, déboule en tête du Billboard dès sa sortie en 2015, et rafle aussi quelques Grammys. Succès, tournées-fleuves : Brittany quitte son boulot à la Poste, et assume les impératifs de la promo, mais reste discrète sur sa sexualité, ses problèmes de santé et son histoire. Elle quitte l’Alabama pour s’installer entre Nashville, Tennessee et Taos, au Nouveau-Mexique.

Seule, sur le chemin de Georgia

Que faire après un tel succès, si fulgurant ? Le groupe peine à écrire son troisième album. « Je me demandais si j’allais chanter la même chose jusqu’à ma retraite. Ça fait peur de déconner avec le succès parce qu’Alabama Shakes cartonnait, mais j’avais besoin d’être secouée moi aussi. Je me suis demandée si je voulais que les gens me comprennent et me connaissent vraiment et si je voulais leur raconter mon histoire. » Explique-t-elle. Après des années sur le devant de la scène à la guitare Gibson et au chant, Brittany quitte Alabama Shakes pour poursuivre d’autres aventures, en 2017. Elle joue avec plusieurs groupes dont les Bermuda Triangle, formé avec Becca Mancari et Jesse Lafser, qui deviendra sa future femme. « Dans ce groupe, j’ai appris à écrire autrement, raconte Brittany. Les autres filles pouvaient jouer leurs propres chansons à la guitare sans avoir besoin d’un groupe. Ma musique est très orchestrée et cette expérience m’a poussée à écrire autrement, à me recentrer sur des choses plus personnelles, plus fortes. »

Brittany Howard, Jaime

Deux ans après avoir quitté Alabama Shakes, Brittany Howard sort Jaime, premier album solo de cette guitariste et chanteuse atypique. Malgré ses clins d’œil appuyés à un panthéon black tutélaire très large (D’Angelo, Sly and Family Stone, Gil Scott-Heron, Les Last Poets, Roseta Tharpe, Nina Simone), le vrai fantôme qui plane sur ce disque c’est avant tout celui de Brittany elle-même et de sa vie accidentée. Georgia est la première chanson qu’elle a composée pour ce disque écrit dans une maison louée près de L.A, dans un décor de luxe et de grandeurs comme seule la folie américaine sait les produire ! À Beverly Hills, on est à des kilomètres de l’aridité un peu plouc du sud. Et dans ce décor en forme de rêve américain, Brittany a rembobiné sa vie en commençant donc par parler à… Georgia ! Derrière la confession de son homosexualité et la difficulté de « faire avec » ces amours atypiques dans le sud des États-Unis, Brittany s’adresse aussi à une autre Georgia. C’est Georgia Anne Muldrow, une productrice et rappeuse qui gère ses affaires en dehors de sentiers battus de la gloire hip-hop égotrippée, mais qui possède un univers musical Nu soul fabuleux. Cette Georgia a collaboré avec Madlib et Mosdef (qui avouait dans le New York Times qu’elle était comme une religion pour lui !). Brittany, elle, aurait voulu attirer son attention…

Cet album évoque aussi une autre absente à qui Brittany voudrait parler. Comme Ray Charles, Brittany a été marquée par la mort de sa sœur, lorsqu’elle était encore enfant (Ray Charles, lui, a vu mourir son frère). « Jaime » (le titre de l’album) c’est le prénom de sa sœur, disparue trop tôt. Jaime lui avait appris le piano, l’art et la poésie. Comme elle, Brittany souffre de rétinoblastome, un cancer très rare qui peut rendre aveugle, et qui a déjà bien attaqué sa vision. Après la mort de Jaime, ses parents ont divorcé. Alors, Brittany s’est mise à manger. Trop. Et à grossir comme beaucoup de fans de malbouffe, au point de penser qu’elle ne pourrait jamais séduire, dans ce coin de l’Amérique où dire que l’on est gay est presque un acte politique. Aujourd’hui, elle fait de ce trouble une magnifique chanson, ce tube (sorti juste avant la pandémie) qui dit ce que l’on a tous traversé un jour : cette envie d’être remarqué pour ce que l’on est vraiment.

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