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« Georgia on My Mind » : l’esprit de Ray Charles revient en Géorgie
Ray Charles, Hamburger Musikhalle, Septembre 1971 © Heinrich Klaffs

« Georgia on My Mind » : l’esprit de Ray Charles revient en Géorgie

Pour célébrer le Black History month, chaque semaine, PAM revient sur un morceau phare de la musique noire américaine qui rencontre l’Histoire des États-Unis. Aujourd’hui, « Georgia on My Mind » par Ray Charles.

En 1960, quand il reprend cette ballade, Ray Charles offre une nouvelle lecture à cette chanson populaire américaine. Il chante l’état de Géorgie qui l’a vu grandir, un état ségrégationniste dont il subit alors encore la politique raciste. Soixante ans plus tard, en pleine campagne électorale américaine, la chanson qu’il a rendue célèbre résonnait encore dans les esprits…

60 ans plus tard, Georgia est toujours là 

3 novembre 2020, le jour des élections présidentielles américaines dans l’État de Géorgie, des files interminables s’étirent devant les bureaux de vote. Certains électeurs doivent patienter près de douze heures avant de glisser leur bulletin dans l’urne. Et ce n’est pas un accident. Dans les grandes villes comme Atlanta – largement afro-américaine —, le gouvernement républicain de l’état avait veillé à ce qu’il y ait beaucoup moins de lieux de vote par habitant dans les quartiers noirs, histoire de décourager les électeurs qui ont plutôt l’habitude de porter leurs suffrages vers le camp démocrate. Mais depuis cette élection, la Géorgie a désormais deux figures noires mondialement connues. Il y avait l’immense Ray Charles, éternellement associé à la chanson « Georgia on My Mind » qu’il chantait à chacun de ses concerts (il l’aurait chantée plus de 10 000 fois !), mais depuis 2020, la Géorgie a aussi Stacey Abrahams, une énergique avocate démocrate de 46 ans, qui a fait parler de son état en faisant basculer les élections, car depuis des années elle a poussé les Afro-Américains à voter ! Elle a définitivement mis Georgia on our minds, grâce son travail de longue haleine dans cet état du sud des États-Unis, autrefois siège d’une ségrégation terrible qui transparait encore dans les découpages électoraux. Le nouveau président élu Joe Biden et sa vice-présidente Kamala Harris, ouvertement fan de black music, ont d’ailleurs rendu hommage à la Géorgie et au Génius de cet état dans leur clip de victoire, réalisé par Lorraine O’Grady’s, héroïne des parades d’Harlem. On n’y voit aucune image des deux héros victorieux à Washington, mais uniquement des Américains moyens, qui apparaissaient dans un cadre doré, sur la chanson « America The Beautiful », interprétée par l’immense Ray Charles. Clin d’œil à l’unité retrouvée du pays. Et c’est tout un symbole car Ray Charles et sa chanson « Georgia on My Mind » ont vraiment été dans tous les esprits pendant cette campagne qui s’est en grande partie jouée dans cet état du sud, majoritairement républicain depuis des années.

Ray Charles – Georgia on My Mind live 1960
Sur la route de Georgia

« Géorgie, Géorgie, je n’ai pas trouvé la paix. C’est juste cette vieille chanson qui garde la Géorgie dans mon esprit » : c’est bien Ray Charles qui a su populariser ce refrain, même s’il n’en est pas l’auteur. Avec son style unique et sa voix renversante de crooner tranquille, il en a fait un hymne sur les fantômes qui hantent ceux qui ont connu le sud raciste des États-Unis « sans y trouver la paix ». À l’origine c’est une chanson jazzy qui a été écrite dans les années 30 par deux compositeurs blancs : Stuart Gorrel, (un banquier de New York) et Hoagy Carmichael (un songwriter à qui on doit aussi les titres « Startdust » et « Winter Moon »), mais c’est Ray Charles qui va lui donner la portée politique, mélancolique, étrange et si profonde qu’on lui connaît aujourd’hui (même si d’autres comme Louis Armstrong, Deep Purple, Billie Holiday ou James Brown l’ont aussi chantée). Pour le « Georgia on My Mind » de Ray Charles, tout commence en 1960. Le pianiste et chanteur aveugle a alors déjà signé quelques tubes, dont « What I’d Say », et il décide de reprendre cette ballade populaire pour l’intégrer à l’album The Genius Hits the Road qui est un « album concept » pour rendre hommage à différents lieux. L’idée de chanter la Géorgie lui aurait été soufflée par son chauffeur qui entendait le Genius fredonner ce morceau en permanence. Finalement, plus que « New York My Home » ou « Blue Hawaii » pressenti comme hit sur cet album, c’est « Georgia on My Mind » qui éclipse tous les autres morceaux par la puissance de son interprétation et l’émotion intense que Ray Charles y met. Quand on l’écoute, on comprend bien que ce qui hante son esprit, c’est son état, et pas une fille nommée Georgia (ce qui est peut-être le cas dans la chanson originale car c’était le prénom de la sœur d’un des auteurs). 

La couleur des sentiments… politiques

Un évènement politique va propulser la version de Ray Charles encore plus loin, à peine un an après sa sortie. En 1961, Ray Charles doit jouer à Augusta, en Géorgie, en pleine ère de ségrégation. Des militants le préviennent que la salle est strictement réservée à un public blanc. Ray Charles décide alors de ne pas jouer ce soir-là. Comme Sam Cooke et d’autres qui refusent de chanter devant un public uniquement composé de spectateur blancs, il est partagé entre sa célébrité mainstream et sa « condition inférieure » de noir que les lois ségrégationnistes maintiennent dans la relégation perpétuelle. Et comme eux, il jongle avec les contradictions d’une époque scandaleuse tout en conquérant un public charmé par son style et sa voix qui dépasse la communauté afro-américaine, qui, elle, est choquée par la sexualisation de son gospel à ses débuts. Après avoir refusé de faire le concert d’Augusta, l’artiste écope d’une amende de 700 dollars par le producteur du spectacle, et il ne jouera plus en Géorgie pendant des années. Mais cette chanson devient le symbole de son engagement, et Ray Charles devient une personnalité symbolique pour la communauté noire américaine et la lutte pour les droits civiques. Malgré les risques pour sa carrière, il se rapproche de Martin Luther King, et n’accepte plus de se produire dans les salles ségréguées. En 1975, dans l’émission Sounds Unlimited, il explique avoir beaucoup souffert de la ségrégation : « C’est quelque chose de très triste pour un pays comme les États-Unis. C’est la chose la plus abjecte avec laquelle j’ai dû vivre en grandissant dans le Sud. Le plus terrible c’était de ne pas pouvoir aller où je voulais, ni manger où je voulais. » Comme à tous ces concerts (y compris le dernier qu’il a donné à Paris en 2002), Ray Charles a joué « Georgia on My Mind » à la salle Pleyel à Paris en 1970. Quelques années plus tard, le titre va encore connaître une nouvelle vie politique. En 1979, alors que les lois Jim Crow ont déjà été abolies depuis quinze ans, la Géorgie présente ses excuses au chanteur et choisit cette chanson comme hymne officiel de l’état. En 2007, quatre ans après la mort de Ray Charles à Los Angeles, une statue de bronze à son effigie a été inaugurée en Géorgie, à Albany, la ville où il est né, sur une place flambant neuve à deux millions de dollars, qui porte son nom. Qu’il l’ait souhaité ou non, Ray Charles y réconcilie deux mondes qui ne pouvaient se côtoyer pendant longtemps en Géorgie : la culture consumériste blanche de masse et les communautés gospel afro-américaines des descendants d’esclaves qui travaillaient dans les plantations de Géorgie. Aujourd’hui, ils ont le droit de voter et… de consommer.

Introuvable durant plusieurs années, l’enregistrement original de cette chanson iconique est désormais disponible en streaming grâce à la Ray Charles Foundation, Exceleration Music, Tangerine Records et IDOL.

Ray Charles – Georgia on My Mind
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