Voilà maintenant sept ans que ces deux-là ont mis leur voix et leur voies au diapason. Lui, c’est JereM Boucris : un métis tunisien, fils de psychanalystes lacaniens. Amateur de « pulsation africaine » au « groove de cul blanc » (« African Discount »), ce chanteur espiègle joue d’une guitare au corps bidon d’huile.
Sa belle, c’est Oriane Lacaille : une chanteuse à la voix claire, douce et puissante qui est aussi une percussionniste sur batterie exemplaire unique (caisse en fer blanc, charley sac plastique). Issue d’une famille de musiciens réunionnais, elle a accompagné son père sur scène, René Lacaille, dès l’âge de 13 ans. Et si depuis plusieurs années, elle suit son propre chemin (avec Titi Zaro, Bonbon Vodou et son projet solo), inviter la « belle voix d’ogre aux incantations foutraques » et l’accordéon « charmeur de serpent » de son papa sur cet album (dans le titre « Rituel ») comme sur le précédent (dans « Face aux appartements »), s’est imposé comme une évidence : « c’est lui qui m’a appris la musique petite, il y a donc quelque chose de la reconnaissance, confie Oriane. Et puis il nous soutient beaucoup, il est vraiment fan de Bonbon vaudou. C’est drôle à dire, mais c’est très précieux, ça nous porte JereM et moi de sentir son enthousiasme ».
Au moment où, en 2014, le « joli piège amoureux s’est refermé sur eux » (« Konsécoincé »), JereM avait déjà commencé à enregistrer certains morceaux de ce qu’il pensait être son premier album solo, African Discount. Il cherchait une chanteuse-percussionniste pour l’accompagner sur scène, il a rencontré sa moitié. Dès lors, Orianne s’invite sur les 12 titres (textes, percussions, chœurs) et le tandem d’amoureux prend un nom de groupe, Bonbon vaudou. Un nom, à la fois doux et acide, suave et piquant. Un nom qui, en quelque sorte, les oblige : « c’est notre contrainte créatrice, explique Oriane. On a envie de faire se côtoyer le bonbon et le vaudou et d’aller toujours plus loin dans quelque chose d’à la fois très sucré et plein de fausse naïveté. »
Musique groovy pour texte cru
C’est chose faite dès l’ouverture de ce nouvel album avec « De Colère » qui aborde la question des violences conjugales : « c’est JereM qui a écrit ce texte, donc c’est vraiment quelque chose que l’on porte tous les deux entièrement. On l’a mis en ouverture parce que le sujet est très important pour nous, mais aussi pour la manière dont il est abordé : une musique un peu entrainante, groovy, et un texte qui est vraiment très cru. Ça représente bien ce qu’on voulait faire avec cet album. »
Un album qui se referme par un très joli hommage à Anne Sylvestre (« Si la pluie te mouille ») et qui est peut-être le « vrai » premier opus du duo, confie Oriane : « cette fois, on a tout fait à deux ». Sans perde de sa saveur, bien au contraire, ce Bonbon Vodou là fait chalouper les notes et les mots au rythme du maloya et du séga de La Réunion. À quatre mains et deux voix (agrémentées de celles d’invités de choix), Oriane et JereM racontent avec bienveillance et malice des histoires pleines de poésie. De sarcasme aussi, comme dans leur « Petit Palace (démocratie) »
Ça se pavane, ça bruit de bottes
Ça provoque, ça contraint, ça tue
Ça sermonne, ça crie, ça menotte
Ça ne dit pas vous, ça dit tuÇa fait tenir sur la menace
Un petit paquet bien cousu
Démocratie petit palace
Beaucoup d’appelés, peu d’élus
L’ensemble du disque réalisé par Jean Lamoot (Bashung, Salif Keita) est teinté d’une nostalgie joyeuse. À l’image du cimetière marin de la baie de Saint-Paul, sur l’île volcanique. Face à l’océan Indien, les carrés de terre couverts de fleurs multicolores remplacent les stèles de pierre. La mort côtoie la vie, la joie aussi. Ainsi, après nous avoir proposé sur African Discount de voyager sans bouger (« Le Tour Du Monde En Vélo D’Appartement »), le duo nous invite ici à célébrer la mort, pour mieux chanter la vie et…la danser !
Dansez sur nous
« L’un de nos objectifs, explique Oriane, c’était de réussir, à deux sur scène, à faire danser. Le thème de la danse a donc été l’un de nos fils rouges dans la fabrication de cet album et du nouveau spectacle. Pour le morceau « Le pied dans la tombe », on avait l’image de « Dansez sur moi » de Nougaro. « Suiv amoin mon dalon » (suis-moi mon ami) est né en atelier d’écriture. La contrainte, c’était de parler du point de vue d’un objet ou d’une chose. J’ai choisi la danse :
C’est moi la gardienne du temps où l’on est soi,
Où on laisse sa peau et son sang se parler
Suiv amoin mon dalon
« L’idée, c’était de parler de la danse dans ce qu’elle a de fédérateur, même dans des moments très douloureux comme le deuil. Quand tu vas à Nouvelle-Orléans, véritable terre créole, que tu vois les second line (procession qui suit la fanfare lors des cérémonies, comme les funérailles, NDLR), les gens qui accompagnent les morts en dansant, nous avec JereM ça nous bouleverse. »
La présence de Teddy Doris au trombone, Thierry Hesler à la trompette et Jim Célestin au sas n’est pas étrangère à cette émotion : « cela nous permettait de faire le lien entre La Nouvelle-Orléans et une tradition assez ancienne de l’ile de La Réunion, les fanfares créoles, appelées
« musiques en cuivre ». Ma famille vient de cette tradition- là. Mon grand-père jouait un peu d’accordéon, mais surtout du trombone et du sax lors des bals, des enterrements et des mariages. Avec la redécouverte et l’exportation du maloya, les percussions ont pris beaucoup de place et là j’ai l’impression que les cuivres reviennent, que la jeune génération se réapproprie cette tradition et c’est chouette, d’autant que ça se mélange ! »
Entre caillou et montagne, les racines
Se défaire des frontières musicales pour mieux tisser des liens, établir des correspondances, voilà qui résume bien la chanson française pimentée de Bonbon Vodou. C’est la musique qui a permis à Oriane de faire le pont entre la Haute-Savoie où elle a grandi et le caillou d’une partie de sa famille, perdu au milieu de l’océan Indien, où elle n’a jamais vécu.
C’est la musique qui lui permet aujourd’hui de tenter d’établir un dialogue avec l’une de ses ancêtres, esclave à la Réunion, sur le poignant Si Rogré : « Il y a un proverbe en créole qui dit « les regrets sont après la mort ». Donc je lui dis : si les regrets sont après la mort, libère-toi de tes chaînes. Je sens ta présence, je sens que tu es là, je t’aime, mais tu peux partir. »
Il paraît qu’à chaque fois qu’Oriane interprète cette chanson sur scène, elle présente au public son ancêtre et explique comment et pourquoi elle a fabriqué cette chanson avec la complicité de Piers Faccini. Venez donc rencontrer cette femme lors de leur prochaine veillée (à moins que ce ne soit un feu de joie ?) et entrez, en même temps et bien, dans la douce transe de ces amoureux joyeux.
Bonbon Vaudou, Cimetière Créole, disponible chez Heavenly Sweetness.