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The Pan African Music Magazine
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Lanquidity : Sun Ra, en route pour la joie

Le label Strut réédite Lanquidity, enregistré en 1978 alors que Sun Ra était au sommet de son art : « faire de la musique pour sauver le monde du chaos ». À (re)découvrir d’urgence.

« Je suis là devant la Maison Blanche et je ne vois pas de Maison Noire. » Cette sentence de Sun Ra, dans le bien nommé film A Joyful Noise, résume bien tout l’état d’esprit d’un musicien, qui n’a jamais cessé de s’interroger sur la place des Africains et de leur diaspora sur cette Terre qui ne tournait plus vraiment rond depuis déjà un bout de temps. Derrière les prétendus hommes verts sujets de tous les fantasmes et peurs se tramait, chez celui qui dit avoir été embarqué un jour à bord d’un ovni, la réalité des Noirs face à l’homme blanc. Derrière ses frasques et ses frusques, Sun Ra affichait à travers sa musique des ambitions messianiques : sauver le peuple blues en lui apportant une parole émancipatrice venue d’ailleurs. Ne jamais oublier qu’avant d’être ce messie d’une musique qui va au-delà des histoires de noires et de blanches, le compositeur et chef de bande était né à Birmingham en Alabama, l’état le plus raciste symbolisé par le gouverneur Wallace, dont il s’affranchit dès qu’il put en allant plus au Nord, à Washington DC puis Chicago.

« Ma musique va d’abord faire peur aux gens. Elle représente le bonheur, et ils n’en ont pas l’habitude. » Sun Ra, ne manquait pas d’humour pour stigmatiser les mauvais penchants des petits Hommes, égarés dans un monde dénué de spiritualité, centrés sur des problématiques raciales. Un constat auquel le touche-à-tous-les-claviers, prédicateur des pensées de W.E.B. Dubois et amateur de Cheikh Anta Diop, essaiera de remédier jusqu’à son trépas, en 1993, avec une musique sérieusement joyeuse (ou bien l’inverse, c’est selon), bouleversante et bouleversée, mélancolique et dramatique. C’est de cette oreille, bien ouverte, qu’il faut écouter son œuvre pléthorique, avec des passages parfois hermétiques aux non initiés, d’autres plus propices à faire pénétrer le néophyte. Lanquidity, dont Strut, label qui a déjà beaucoup œuvré pour la postérité du chef de l’Arkestra, vient de publier une nouvelle version, avec un disque complet de prises alternatives, est une de ces portes qui permet d’accéder sans flipper à l’univers de ce gourou en rien sectaire qui aimait entonner sur scène : « Space is the place ! » 

Sun Ra – Space is the Place (1974)

« L’humanité est sur la bonne route, mais dans la mauvaise direction. »

Sun Ra

Autoproclamée musicien de l’universel et inventeur de la world music, le visionnaire Sun Ra n’aura eu de cesse de creuser un singulier sillon, composé de toutes les musiques actuelles, passées, et à venir, et ce pour traquer une harmonie universelle susceptible de nous préserver de l’actuelle dystopie. Autrement dit, toujours selon lui : « Faire de la musique pour sauver le monde du Chaos. » À bien des égards, cet album capté après une performance au Saturday Night Live dans la nuit du 17 juillet 1978 au studio new-yorkais Blank Tape, lieu connu par les amateurs de disco et de punk, doit s’entendre comme la marque d’une prophétie musicale en passe d’être alors aboutie. Tout ce qui a fait le lustre de Sun Ra et des siens s’y retrouve, par bribes ou de manière plus clairement exposée. L’âme du blues comme l’esprit des grands orchestres, la liberté de sortir des grilles et le désir de tisser de formidables ritournelles, les sons du futur et ceux du passé… et ainsi de suite. La fin des années 1970 représente l’apothéose où toutes les trouvailles et merveilles sont réunies dans des albums pyramidaux. Parmi ceux-ci, on pourrait citer Sleeping Beauty avec ses très spirituelles “Doors Of Cosmos”, et On Jupiter , avec un “UFO”  total proto-disco… Reste que Lanquidity, tout en maniant le groove pendulaire, ajoute une salutaire note crépusculaire. Abrasif et jouissif, ce disque publié sur l’éphémère étiquète Philly Jazz aura même la vertu d’être reçu par les amateurs de fusion. Il n’en représente pourtant qu’une face résolument expérimentale et en rien pyrotechnique, le rapprochant des essais antérieurs du Miles électrique, la quiétude en plus, telle qu’annoncée en titre. « Comme son nom l’indique, l’album est liquide et langoureux, résume a posteriori Bob Blank, l’homme aux manettes de ce chef-d’œuvre. Musicalement c’était très instantané et libre. La plupart des morceaux sortaient de jams improvisés. » Le temps de cinq titres, l’aventurier de la Great Black Music, explorateur de sons et alchimiste de vibrations, nous rappelle que sa musique, pour avoir constitué un mystère pour les adeptes de la sacro-sainte verticalité, un danger déambulant pour les tenants de l’ordre bien établi, lui survivra tant il a essaimé de multiples pistes que d’autres pisteurs de sonorités non académiques ont suivies. Ne lit-on pas sur l’un des poèmes au dos de Supersonic Jazz : « La musique du futur est déjà mûre, mais les esprits des terriens doivent apprendre à l’accepter. » Écoutez-la, vous n’en reviendrez pas.  

Lanquidity de Sun Ra, disponible sur Philly Jazz/Strut Records.

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