Ravi de vous retrouver et de passer un nouvel été ensemble, à partager les vinyles de ma collection. Le soleil revient, les concerts reprennent, on sort enfin joyeusement de chez nous donc autant commencer (comme chaque année) par de la musique brésilienne. Après Jorge Ben et Marcos Valle, on passe à un autre géant de la musique brésilienne, quelque peu oublié depuis quelques années : Sérgio Mendes. Les puristes seront sans doute déçus, trouvant ce choix trop pop, trop lisse, trop « lounge », pas assez brésilien… mais on s’en fiche tant la musique du beau Sérgio est riche et a permis à la musique brésilienne de conquérir le monde.
C’est justement par un bel exercice de « soft power » que tout a commencé. En effet, le ministère des affaires étrangères brésilien décida en 1964 d’envoyer un groupe de musiciens jouer au Mexique et aux USA pour exporter la musique brésilienne alors en pleine effervescence de la vogue bossa nova. C’est le groupe d’un jeune pianiste de Rio, disciple de Antônio Carlos Jobim et féru de jazz, qui est choisi. En font d’ailleurs partie Jorge Ben et Rosinha de Valença. Sous le nom Sérgio Mendes & Brasil 65, le groupe va enregistrer deux albums et son leader profiter du long séjour américain pour collaborer avec des jazzmen comme Cannonball Adderley et Herbie Mann.
Après avoir analysé le peu de succès de ces deux albums, et trouvé un manager américain, Sérgio Mendes s’installe aux USA et met au point la « formule magique » qui va lui faire atteindre les sommets des charts mondiaux : une bossa nova plus arrangée, plus pop avec les harmonies vocales de deux chanteuses, chantant aussi bien en anglais qu’en portugais. Le talent d’arrangeur de Sérgio Mendes fera le reste. « Sérgio Mendes & Brasil ’66 » est né.
Herb Alpert Presents Sérgio Mendes & Brasil ’66 (1966)
J’ai choisi le premier album du groupe, mais les 7 autres albums sont tout aussi recommandables et appliquent la même formule : des reprises de standards brésiliens, mais aussi des hits pop de l’époque : qu’ils soient des Beatles, d’Otis Redding, Stan Getz, Burt Bacharach, Buffalo Springfield… le tout passé au filtre des arrangements de Sérgio Mendes et des harmonies vocales « Brasil ’66 ».
Cet album commence par le hit ultime du groupe, « Mas que Nada » qui popularisera à travers le monde ce morceau, composé par Jorge Ben quelques années plus tôt. On retrouve sur cet album d’autres classiques brésiliens comme « Agua de beber » ou « Berimbau » ainsi que (comme sur chaque album du groupe) une cover des Beatles (ici « Daytripper »). Sur ce disque, tout n’est que douceur, sucreries, harmonies et perfection. Un concentré, au gout brésilien, de la pop US des années 60.
À noter que pour être sûr d’optimiser les chances de succès de cet album, c’est le fondateur de A&M (label qui produit le disque), Herb Alpert lui-même, qui parraine le groupe.
Sérgio Mendes & Brasil ’77 – Primal Roots (1972)
À l’orée des années 70, Sérgio Mendes va changer de groupe et transformer son « Brasil ’66 » en « Brasil ’77 ». C’est un groupe plus large et plus instrumental que la formation 60’s, qui délaisse quelque peu le côté « hyper pop » et offre plus de place aux musiciens. Tout est dit dans le titre, cet album est un retour pour Sérgio Mendes à ses « racines primaires », aux percussions et aux rituels afro-brésiliens. Les chansons s’inspirent du folklore des pêcheurs de Salvador de Bahia, des chants du culte Candomblé. Mendes abandonne la production léchée d’Hollywood pour revenir à un son plus rugueux, plus percussif… plus brésilien en somme. Mais sa musique garde sa puissance mélodique comme le prouve le magnifique « After Sunrise ». 25 ans après sa première écoute, ce titre continue à m’obséder… c’est souvent le premier titre que je joue pour bien commencer une journée. À vous d’essayer, vous me direz !
La face B présente un visage plus rare et méconnu de la musique de Sérgio Mendes, un long morceau de 18 minutes, quasi expérimental et psychédélique, tout en restant très percussif (ce qui est sans doute dû à la présence de Airto Moreira sur ce disque).
À la fin des années 70, le pianiste évoluera vers un son de plus en plus jazz funk pour finir disco, avec toujours quelques petites perles au milieu d’albums sans grand intérêt.
Sérgio Mendes — Timeless (2006)
Je pense que la marque des plus grands artistes est de s’inscrire dans la durée. C’est ce qu’a réalisé Sérgio Mendes plus de 40 ans après ses débuts. Sur le papier, tout était fait pour me repousser dans ce Timeless… Collaboration avec les Black Eyed Peas, une liste de featurings qui ressemble à l’annuaire, un come-back qui sentait l’opportunisme…
C’était sans compter sur le talent de will.i.am qui est un grand producteur, non seulement de hip-hop, mais de musique en général. Le pari de sa collaboration avec Mendes est réussi et il arrive à marier avec talent musique brésilienne et production hip-hop/nu soul moderne.
Dès le premier titre, la reprise de « Mas que Nada » fonctionne et redonne un coup de jeune à ce hit. Cela donne le ton de ce projet, des reprises de classiques brésiliens, déjà repris dans les 60’s par Sérgio et reproduit par une nouvelle génération avec des featurings inspirés. Des artistes (Q-Tip, Erykah Badu, John Legend, Justin Timberlake, Black Thought…) qu’on sent heureux de participer à cette cure de jouvence brésilienne et de renvoyer la balle à ce musicien et arrangeur qui les a influencés. 40 ans après, la pop US renvoie l’ascenseur au petit brésilien qui était venu la chercher pour la marier subtilement à sa musique brésilienne. La boucle est bouclée ! Joli conte de fées.
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Petite nouveauté, chaque semaine je demande à un artiste, ou un proche de Heavenly Sweetness, de parler d’un vinyle qu’il affectionne. On commence cette semaine par le 2e homme du label : Hugo Guessaimi.
Disque bonus : Boogarins – Manual (2015)
Sélectionné par Hugo Guessaimi
Quand on m’a demandé d’évoquer un album brésilien en particulier, Manual de Boogarins m’est venu rapidement en tête. Un quartet de rock psychédélique et originaire de Goiânia, situé dans le centre-ouest du pays.
Dignes descendants de la scène Tropicália (ou Tropicalisme) apparue en 1967 au Brésil qui contestait le nationalisme, on devine leurs influences. Les ombres de Os Mutantes et de Caetano Veloso planent sur les compositions aérées des quatre compères. Mais Boogarins ne se contente pas d’une pâle copie, c’est frais et singulier, composé intelligemment, on entre dans leur propre univers et le groupe évite le piège de la nostalgie.
La voix est douce, les deux guitares en pleine harmonie, et la section rythmique efficace. L’album oscille entre pop-psyché et rythmes post bossa, entre riffs tranchants et ballades nonchalantes
L’album a été enregistré à Gijón, en Espagne. Toujours disponible chez Other Music Recordings.