Xalam, Youssou Ndour, Salif Keita, Cheikh Lo, Yande Codou Sene… le génial musicien français a joué avec les plus grands. Rencontré à Dakar, il raconte à PAM sa longue passion pour les musiques du continent.
Rencontrer Jean-Phillipe Rikyel, c’est croiser un des instrumentistes étrangers dont le talent a fortement influencé la musique et les artistes africains. Commencée à Dakar avant le Covid-19, l’interview qui suit n’a pu être bouclée qu’en plein confinement tant notre hôte a un calendrier démentiel. Au menu de l’entretien, le Xalam (Souleymane Faye et Seydina Insa Wade) et Prosper Niang, Youssou Ndour, Salif Keita, et bien sûr les musiques d’Afrique, qu’il a toujours au cœur. Interview d’un enfant blanc du continent noir.
Ta rencontre avec l’Afrique remonte à quand ?
Mon attachement au continent africain est un mystère. Mon premier séjour remonte à fin 1981, j’ai accompagné mon ami Freduah Agyemang au Ghana son pays natal. C’est l’envie de connaître l’Afrique qui m’a amené chez lui. Et quand nous sommes arrivés, il y a eu un coup d’État. Ce qui fait que tout ce qu’on voulait faire est tombé à l’eau, mais cela m’a permis de découvrir la vie en famille en Afrique.
Le confinement peut avoir de bons côtés finalement. Il t’a permis une immersion dans la famille africaine. Comment as-tu vécu celui-ci qui vient de se terminer ?
Au Ghana, nous n’étions pas réellement confinés. Certes, il y avait un couvre-feu, mais c’était uniquement pendant la nuit, de 20 heures jusqu’à 6 heures du matin si mes souvenirs sont exacts.
Donc je ne pense pas que la situation soit comparable à ce qu’on vient de vivre même si j’ai eu le temps de découvrir de l’intérieur la vie familiale africaine. Je ne pense pas toutefois que le confinement ait eu tellement de bons côtés, si ce n’est l’arrêt des automobiles et des avions, qui a occasionné un silence bienfaisant, bientôt comblé par le chant des oiseaux, et aussi, une purification notable de l’air ambiant, qui était devenu beaucoup plus agréable à respirer.
Mais la solitude et le manque de contacts m’ont été très pénibles.. Je suis heureux qu’on en soit sortis, J’espère définitivement.
Revenons à ce premier voyage en terre africaine. À ton retour du Ghana tu voulais en découvrir davantage sur ce continent…
À mon retour du Ghana j’ai commencé effectivement à rencontrer d’autres musiciens d’Afrique, et un jour je suis allé à un concert, un festival Porte de Pantin où il y avait plein de groupes parmi lesquels : Xalam. J’ai complètement flashé sur eux ! Ça m’a rendu fou. J’ai dit alors à Alain Agbo, un ami guitariste qui connaissait Prosper (Niang, batteur légendaire du Xalam — NDA) : « tu crois que je peux les rencontrer ? » J’étais tout timide. J’avais 22, 23 ans. Pour moi c’était des stars ces gens-là. J’obtiens son téléphone et dès le lendemain j’appelle timidement Prosper. Il me répond avec sa voix cassée et je me présente : « Bonjour je m’appelle Jean-Philippe Rikyel et je joue des claviers… » Et là, il ne me laisse pas terminer ma phrase : « … mais mon frère je te connais j’ai ton album ». Un album que j’avais sorti deux ans avant, que personne ne connaissait à l’époque, mais lui, il l’avait et connaissait ma musique. On est resté une heure au téléphone et le lendemain, il était chez moi avec des cassettes et des enregistrements. Il y avait l’album de Berlin qui était déjà sorti et des enregistrements de Doudou Ndiaye Rose, du Xalam, il m’a fait écouter des trucs insensés ! Il a passé tout un après-midi chez moi, et là on est devenus frères en deux jours.
Donc c’est vraiment Prosper Niang qui t’as fait découvrir la musique sénégalaise et le mbalakh ?
… Mais plus que cela ! Prosper m’a fait rencontrer Youssou Ndour, Ismaël Lo, Omar Pène, tous ces gens-là. Il m’a intégré au groupe Xalam un moment. Par exemple, ce que j’ai fait avec Youssou Ndour, c’est grâce à lui. Autre chose, un jour alors qu’on était dans un studio de répétition à Paris pour préparer un concert, juste en face de notre box, il y avait Salif Keita. Et Prosper me dit : tu veux rencontrer Salif Keita ? Il était comme ça Prosper, c’est-à-dire, il ne faisait que partager. Il ne voulait même pas me garder pour lui tout seul, ni rien du tout. Donc, il m’a fait connaître Salif Keita… toute ma connexion malienne, guinéenne et mandingue en général, tous les musiciens, maliens, guinéens que j’ai rencontrés, c’est grâce à Prosper. Tout ça vient de lui. C’est quelqu’un qui a énormément compté dans ma vie.
Prosper et le Xalam c’est un peu une deuxième famille ?
Oui, j’ai trouvé une deuxième famille dans le Xalam, et je n’ai pas honte de dire que j’ai considéré Prosper comme l’un de mes pères d’Afrique. Même s’il n’est pas le premier musicien africain que j’ai rencontré, c’est vraiment lui qui m’a ouvert toutes les portes. Au sein du Xalam aussi, l’accueil des autres membres, Henri Guillabert (claviers), Tafa Cissé (percussions et chants), Ibrahima Coundoul (percussions chants), Baye Babou (basse), Yigo et Cheikh Tidiane Tall (guitares), Yoro Gueye (trombone), Ansoumana (saxo) et même Obo l’ingénieur du son, tous m’ont vraiment mis à mon aise et m’ont intégré dans ce nouvel univers que je découvrais. Même les membres de leurs familles respectives m’ont très bien accueilli.
Tu as travaillé sur plusieurs projets avec notamment deux des plus grandes voix du continent, Youssou Ndour et Salif Keita. De quelle production, pour chacun des deux, es-tu le plus fier ?
Avec Salif Keita, mon plus grand souvenir a été l’autre première rencontre. Il était venu chez moi avec son percussionniste Solo Doumbouya, et ils n’avaient pas apporté d’instruments. Salif s’est mis à me chanter une de ses chansons en a cappella… (là, on sent JP Rykiel nostalgique et heureux du souvenir, NDA). Solo me mimait les rythmes que j’ai commencés à programmer sur une boîte à rythmes.
Il n’avait aucun accompagnement harmonique et sa voix était d’une justesse et d’une puissance extraordinaire. C’est à la suite de cette rencontre que j’ai arrangé trois morceaux dans l’album Soro.
Pour Youssou, le moment le plus fort que j’ai vécu était l’enregistrement de l’album Xipi Eyes Open. Avoir vécu trois mois au Sénégal chez lui en compagnie de son groupe a été une expérience extraordinaire. J’ai particulièrement apprécié la chaleur de son accueil, et sa volonté d’expérimenter de nouvelles choses en musique. Dans une certaine mesure, cette expérience avec Youssou était comparable à celle que j’ai vécue avec Xalam, sauf qu’elle s’est déroulée pendant un temps beaucoup plus court, même si on l’a renouvelée deux ans plus tard sur Womat The Guid, toujours avec autant de plaisir et qu’il y a eu plein d’autres enregistrements et concerts par la suite.
Quelles sont les qualités qui les ont tous deux amenés à ce niveau ?
Tu sais, Salif et Youssou sont deux personnalités tout à fait différentes. Youssou est un homme posé, professionnel et très organisé. Salif est un écorché vif avec une sensibilité à fleur de peau. J’ai eu beaucoup de joie à travailler avec chacun d’eux, pour des raisons différentes. Salif, plus dans l’émotion, Youssou, plus dans l’invention et l’expérimentation, mais l’émotion était aussi au rendez-vous, comme lorsqu’on a enregistré Africa Remembers en presque live au studio avec tout le groupe. J’ai eu des frissons pendant que je jouais. Et je dois dire aussi que Youssou a fait preuve d’une grande humanité à mon égard, lorsque j’ai perdu un ami cher, le conteur Mamadou Diallo. J’ai appris la nouvelle de son décès lors de la tournée Jololi en compagnie de Cheikh Lo et Yandé Codou Sene, j’étais tellement triste que j’ai voulu tout arrêter, mais Youssou a su trouver les mots justes pour me consoler et me remettre en forme.
Vois-tu parmi, la jeune génération, une relève et des héritiers pour Youssou et Salif ?
La nouvelle génération africaine a malheureusement trop tendance à se complaire dans les musiques de danse et elle est en train de s’uniformiser d’une manière dangereuse. Mais il y a encore des gens qui cherchent. Au Sénégal, il y a eu des groupes comme le Missal et Waflash, il y a des chanteurs comme Wally Seck qui m’a surpris lorsqu’il a fait appel à moi pour une séance d’enregistrement qui a duré toute une après-midi. Je pensais qu’il ne faisait que du Marimba et j’ai découvert qu’il partait dans plein de directions musicales différentes et c’est très encourageant. Carlou D m’impressionne beaucoup aussi, dans sa volonté de ne pas faire la musique de tout le monde et j’en oublie certainement d’autres…
Tu as côtoyé Yandé Codou Sène, quelles sont les autres divas avec lesquelles tu aurais aimé travailler ?
Coumba Gaolo Seck est une grande chanteuse avec qui j’aurais aimé travailler. En plus, elle a été charmante avec moi quand on s’est rencontré sur le plateau de l’émission Téléfood, c’était en 1996 je crois. Kiné Lam est super aussi, plus dans la tradition. Et feue Aminata Fall, elle était incroyable. Qui sait ce qu’on aurait pu faire ensemble. Il faut dire que la première rencontre que j’ai faite avec la musique africaine traditionnelle, c’était avec la griotte malienne Mah Damba Sissoko, une chanteuse extraordinaire de musicalité et de gentillesse. Nous sommes toujours amis d’ailleurs.
Aujourd’hui tu travailles avec un balafoniste, Lansiné Kouyaté. Parle-nous de ce projet et de tes autres collaborations récentes …
Avec Lansiné, c’est un album acoustique qu’on a sorti. Moi qui suis plutôt joueur de synthés, je me suis mis au piano et en fait ça fait quelques années que je reviens au piano. J’ai sorti aussi un disque en 2012 avec un magnifique chanteur guinéen qui s’appelle Mory Djely Deen Kouyaté qui malheureusement est tombé malade. Il a eu un AVC et je pense qu’il ne chantera plus… (Il se tait et reste pensif)
Tu collabores (entre autres) avec des Maliens, des Guinéens et même des Tibétains, on dirait que tu ne connais pas les frontières…
C’est exactement cela. J’aime ce qui vient de loin. Voilà !
L’apport des instruments traditionnels dans les musiques d’aujourd’hui est remarquable. Ces instruments t’ont beaucoup influencé ?
Tu as remarqué qu’avec mes synthétiseurs j’essaie souvent d’imiter la kora, le xalam ou le balafon. Je suis très influencé par les instruments traditionnels c’est vrai. J’ai cela en moi. D’ailleurs, j’espère que les vrais koristes, les vrais balafonistes ou vrais joueurs de xalam ne m’en veulent pas de faire ça… Je m’inspire des sons des instruments traditionnels, je m’imprègne de leur culture et je l’aime tellement que j’ai envie d’entrer dans leur peau. Le synthétiseur c’est une espèce de baguette magique qui permet de tout transformer. Tu peux être batteur, saxophoniste, koriste, violoncelliste, tu peux être tout. Tu peux aussi dépasser l’instrument. Par exemple la kora dans son état actuel n’a pas assez de cordes pour pouvoir faire tous les demi-tons de la gamme. Avec un clavier tu as un son de kora, mais tu peux en jouer avec tous les demi-tons, donc tu peux faire autre chose que ce que fait la kora.
Donc le synthé peut dépasser ce que fait la kora?
Dépasser… oui, mais en même temps, tu ne pourras jamais faire ce que fait exactement un koriste ou un balafoniste. Tu ne peux jamais être tout parfaitement, en revanche le synthé rend hommage, plutôt. La tradition et la technologie, pour moi, c’est comme si j’avais un pied dans chaque domaine. Un pied à la Nasa et un pied dans la brousse.
De quel instrument traditionnel te sens-tu le plus proche? Celui qui te donne le plus de frissons ?
Pour les instruments là tu me poses une colle. C’est très difficile de choisir, ils ont tous leur caractère et leur personnalité. Le sabar me donne de la force, le balafon me met en joie, la Kora m’apaise, le xalam me fait pleurer, les flûtes me donnent des frissons, je ne sais que choisir, ils sont tous indispensables.
À t’entendre parler donc, les instruments traditionnels ne seraient pas sous la menace de la technologie ?
Non ! Comme je t’ai dit, la technologie ne peut faire ce que fait le koriste ou le balafoniste. Elle ne peut pas imiter et suivre le koriste ou le flûtiste avec une exactitude infaillible. En revanche, je suis désolé de dire ça, il y a souvent une mauvaise utilisation des synthés et de la technologie. Je ne supporte pas d’entendre toutes ces productions actuelles de rap, de coupé-décalé, R’N’B avec ce qu’on fait faire aux voix. Je n’aime pas tellement les trucs où les rythmes sont programmés sauf quand c’est très, très bien fait et ça, ce n’est pas donné à tout le monde. Mais sinon, en général, il y a une mauvaise utilisation de la technologie.
Les musiciens et producteurs cherchent la facilité ?
Si tu veux, ça peut être une solution de facilité, c’est-à-dire que des gens bidouillent avec leur souris sur leur ordinateur et ils arrivent à sortir des sons. Mais malheureusement, ce sont les mêmes sons. On arrive à une standardisation une dépersonnalisation de la musique à cause de la technologie.
Le dernier album de Youssou Ndour, ‘History’, va un peu dans ce sens en mettant en avant les nouvelles technologies. Il a cherché la facilité aussi ?
Je le trouve très très intelligent Youssou Ndour, parce qu’il s’adapte à tout. Il sait s’adapter à tout. Par exemple, son album jazz avec le pianiste aveugle Moncef Genoud, un album que peu de gens connaissent, est très réussi. Son album aux sonorités orientales (Egypt) est aussi excellent. Youssou, il sait toucher à tout. Il sait comment le faire et tout lui réussit. Je souhaite que ça continue parce que c’est quelqu’un pour qui j’ai une grande admiration. Pour revenir à ta question concernant son dernier album, c’est assez drôle, parce que c’est une musique que je n’aime pas, sauf que, comme y’a Youssou Ndour… j’aime. J’aime, parce que Youssou chante toujours aussi merveilleusement bien et je dois dire également que la production est bien faite.